Des politiques familiales généreuses malgré la crise – Entretien avec deux responsables du domaine - article ; n°2 ; vol.9, pg 117-125
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Santé, Société et Solidarité - Année 2010 - Volume 9 - Numéro 2 - Pages 117-125
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Publié le 01 janvier 2010
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I N T E R V I E W
dossierPolitiques familiales et fécondité
Des politiques familiales généreuses malgré la crise – Entretien avec deux responsables du domaine
Line BérubéQUÉBEC Sousministre, ministère de la Famille et des Aînés
Sabine FourcadeFRANCE Directrice générale de la cohésion sociale, ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale, Déléguée interministérielle à la famille
1 Peuton être satisfait des efforts consa crés à la politique familiale en France/ au Québec ? L. BÉRUBÉ:La politique familiale québé coise contribue efficacement au mieuxêtre des familles et des enfants. Nous pouvons être satisfaits des efforts réalisés pour créer des conditions favorables à la réalisation du désir d’enfant, aider les parents à concilier leurs responsabilités professionnelles et fami liales, soutenir financièrement les familles et apporter une aide particulière aux familles vulnérables.
Les mesures mises en œuvre portent fruit. Depuis le début des années 2000, on observe une progression du nombre de nais 1 sances . L’implantation des services de garde éducatifs à contribution réduite a contribué à l’augmentation du taux d’emploi des femmes québécoises de 25 à 44 ans, dépassant celui des femmes canadiennes. Cette augmentation touche plus particulièrement les femmes ayant des enfants d’âge préscolaire et d’âge scolaire. Les mesures de soutien financier mises en œuvre pour aider les familles sont, pour leur part, efficaces. En plus de com penser une part significative des charges inhérentes aux enfants, elles ont contribué à réduire la pauvreté des enfants en améliorant le revenu disponible des parents.
Bien que généreuse, notre politique familiale demeure perfectible. Nous devons demeurer attentifs aux besoins des familles.
S. FOURCADE:Comme le port sur les familles, leur
montre un rap bienêtre et les
Line Bérubé
Sabine Fourcade
mesures publiques consacrées à cet effet dans ses 34 pays membres publié Nous pouvons être par l’OCDE en avril 2011, dans bien satisfaits des efforts des domaines, la France se situe au dessus de la moyenne avec un taux deréalisés pour créer des fécondité de 2,0 enfants par femme conditions favorables (contre 1,74 en moyenne), ou encore à la réalisation du désir des dépenses publiques consacrées aux prestations familiales qui s’élèvent d’enfant […] à 3,8 % du PIB (contre à peine 2,4 % L.B. en moyenne). En réalité, si l’on tient compte de toutes les dépenses en faveur des familles, l’effort public aujourd’hui avoisine même 5 % du PIB, soit près de 100 milliards d’euros. Les pays nor diques et la France figurent dans le peloton de tête en la matière. Les prestations et les autres dépenses en faveur des familles représentent En réalité, si l’on tient 99,7 milliards d’euros en 2010, soit compte de toutes les 5,1 % du PIB, contre 4,7 % en 2008. Cet effort inclut les aides indirectesdépenses en faveur apportées par l’État, la Caisse nationale des familles, l’effort d’allocations familiales (CNAF) ou les public aujourd’hui collectivités territoriales, en particulier le développement de l’accueil du jeune%avoisine même 5 enfant. Il dénote un effort financier du PIB, soit près de exceptionnel en contexte de crise inter nationale et se décline en cinq grandes 100 milliards d’euros. catégories d’aides à la famille : S.F. £ près de 44 milliards en prestations familiales (allocations logement, allocations familiales, prestation d’accueil du jeune enfant) versées par la CNAF, £ 7,3 milliards liés aux congés et soins de maternité et aux congés de paternité versés par l’assurance maladie,
1. Voir le tableau « Naissances et taux de natalité, Québec, 19002010 » de l’Institut de la statistique du Québec. En ligne : <http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/demographie/naisn_deces/naissance/401.htm>.
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£ 24,6 milliards d’effort en allègements fis caux qui sont à la charge de l’État ; la plus grosse partie est constituée par le quo tient familial, avec près de 14 milliards, qui constitue une particularité du système fiscal français, £ 8 milliards de dépenses supportées par les collectivités locales pour l’action sociale en direction des familles, dont l’essentiel (près de 6 milliards) concerne la protection de l’enfance, £ 13,2 milliards pour les avantages familiaux de retraite, dont 5,4 milliards pour majo ration de pension de 10 % quand on a élevé trois enfants et 4,6 milliards pour l’assurance vieillesse du parent au foyer et la cotisation retraite prise en charge par la CNAF. À cela s’ajoutent les aides en nature (par exemple la carte famille nombreuse) et les aides indirectes (développement de l’accueil du jeune enfant, dispositifs de soutien à la parentalité, etc.) apportées par l’État, la CNAF ou les collectivités locales.
2 La politique familiale Selon vous, le principal objectif québécoise […] vise de la politique familiale estil social (aider les familles les plus certes une inflexion de modestes avec des programmes la courbe démographique, sous conditions de ressources)ou mais également ledémographique (programmes des tinés?à toutes les familles) bienêtre des familles L. BÉRUBÉ:La politique familiale et des enfants. québécoise poursuit plusieurs objec L.B. tifs. Elle vise à créer les conditions favorables à la réalisation du désir d’enfant, à favoriser le développement optimal des enfants et à soutenir les parents dans la conciliation de leurs responsabilités professionnelles et familiales. Elle cherche également à lutter contre la pauvreté et lexclusionsocialeensoutenantdefaçon particulière les familles vulnérables. Enfin, elle appuie les partenaires qui contribuent à la création d’environnements favorables aux familles. Un bon nombre des mesures mises en œuvre pour atteindre ces objectifs sont uni verselles, c’estàdire qu’elles s’adressent à tous. C’est le cas, notamment, du crédit
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d’impôt remboursable pour Soutien aux enfants (ciaprès le Soutien aux enfants), des services de garde à contribution réduite, du congé parental et du crédit d’impôt rem boursable pour frais de garde. Bien qu’uni versel, le Soutien aux enfants est modulé selon le revenu familial et la situation fami liale. II est donc plus généreux pour les familles nombreuses et les familles à faibles revenus. Il prévoit également un supplé ment pour les familles monoparentales et les familles avec enfants handicapés. Par ailleurs, l’accès aux places en services de garde à contribution réduite est universel. Toutefois, un enfant dont le parent reçoit une prestation en application de l’aide finan cière de dernier recours peut fréquenter gratuitement un service de garde à contri bution réduite pour un maximum de deux journées et demie ou cinq demijournées de garde par semaine.
À ces mesures universelles s’ajoutent des mesures plus ciblées. Parmi cellesci, la Prime au travail vise à inciter les personnes à quitter l’aide de dernier recours pour inté grer le marché du travail. Ainsi, depuis janvier 2005, un supplément au revenu de travail est versé aux travailleurs à faible ou à moyen revenu. Ce supplément est plus généreux pour les familles ayant des enfants.
Ainsi, la politique familiale québécoise est composée à la fois de mesures s’adressant à toutes les familles et de mesures ciblant les familles à faibles revenus. Elle vise certes une inflexion de la courbe démographique, mais également le bienêtre des familles et des enfants.
S. FOURCADE:Il est important de ne pas assigner un objectif unique à la politique familiale et de privilégier une approche uni versaliste, comme cela a été toujours été le cas en France, même si, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’objectif de repeuplement inspirait cette politique.
Ainsi, la politique familiale française est universaliste avec des objectifs clairs. Elle est adaptée aux évolutions de la société et assure la redistribution des richesses. Elle s’appuie sur des acteurs multiples et des dépenses publiques pour verser des presta tions sociales, apporter des aides financières indirectes (réduction ou crédit d’impôt) et
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mettre en œuvre des mesures d’accompa gnement et d’action sociale (crèches, aides pour l’emploi des assistantes maternelles, dispositifs de soutien à la parentalité, etc.) en faveur des familles.
Outre des allocations familiales assez géné reuses et diversifiées, la France met donc en œuvre des politiques de soutien aux parents dans l’exercice de leur rôle et des dispositions qui facilitent la conciliation entre l’activité professionnelle et la vie familiale, un aspect important de la politique familiale qui contri bue au fort taux de fécondité et d’activité féminine.
La politique familiale française consiste à intégrer systématiquement le fait familial, les réalités familiales et les intérêts familiaux aux politiques économiques, sociales et cultu relles développées par les pouvoirs publics dans chacun de leurs volets spécifiques complémentaires. Elle ne se limite donc pas au versement de prestations ; elle vise aussi à créer les conditions d’un environnement favorable permettant à chaque famille de réaliser son projet de vie.
Par ailleurs, la société doit accompagner et, si nécessaire, aider les familles dans laccomplissementdeleursresponsabilités éducatives. Elle doit également conforter les solidarités intra familiales et intergénération nelles et prendre le relais car ces solidarités ne sauraient se suffire à ellesmêmes, dautantquellessontextrêmementdiversifiées et inégales. Plus largement, il s’agit de répondre aux besoins concrets des familles et de permettre aux hommes et aux femmes de réaliser leur désir de famille.
C’est grâce à cette approche que des mesures de politique familiale à caractère transversal sont entreprises depuis des années, en direction par exemple des solidarités intergénérationnelles, des aidants familiaux, de l’adolescence, de la lutte contre l’absen téisme scolaire, de la protection des mineurs sur Internet, de l’éducation budgétaire, etc..
Actuellement, les objectifs principaux de la politique familiale sont de contribuer à la natalité, d’assurer une compensation finan cièrecohérente des charges de famille, d’aider plus spécialement les familles vulnérables et de permettre la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle des parents.
La politique familiale française est généralement considérée plutôt comme une réussite, tant en termes de taux de natalité, de compensation des écarts de niveau de vie, que de taux d’acti vité des femmes ou de réduction de la pauvreté.
À la base, le principe de la poli tique familiale française a été celui de la solidarité horizontale : opérer des transferts des ménages sans enfants vers les familles avec enfants, afin de compenser les écarts de revenus entre les ménages qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas. À cette logique s’est ajouté peu à peu, en particulier depuis les années 1970, le principe de solidarité verticale, des plus aisés vers les plus en difficulté, vers les familles les plus vulnérables.
De fait, le système actuel se situe entre sélectivité et universalité, la question se posant généralement de savoir jusqu’où combiner les deux dans un double objectif de cohérence et d’efficacité des dépenses publiques. Ce système se caractérise également par sa « neutralité » visàvis de la situation juridique des familles.
3 Trouvezvous que la politique familiale en France/au Québec a eu une influence notable sur l’évolution démographique par ses effets positifs sur la fécondité ? L. BÉRUBÉ:Le nombre de naissances au Québec est en hausse. En outre, l’indice synthétique de fécondité a lui aussi aug menté. Pour l’instant, aucune évaluation formelle de l’effet des mesures mises en œuvre au Québec pour soutenir le désir d’enfant n’a été réalisée. Toutefois, la recherche nous apprend que certaines conditions favorisent la fécondité, notam ment un congé parental rémunéré, le développement des services de garde et le soutien financier direct aux familles. Ainsi, nous pouvons affirmer que les mesures déployées au cours des dernières années, notamment le Soutien aux enfants, le réseau de services de garde éducatifs à contribution réduite et le Régime québécois d’assurance
La politique familiale
française […] vise aussi
à créer les conditions
d’un environnement
favorable permettant
à chaque famille de
réaliser son projet de vie.
S.F.
Nous pouvons affirmer
que les mesures
déployées au cours des
dernières années […]
figurent au nombre des
conditions favorisant la réalisation du désir d’enfant.
L.B.
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parentale, figurent au nombre des Même s’il est difficileconditions favorisant la réalisation du désir d’enfant. d’établir un lien direct S. FOURCADE:Il y a eu 828 000 nais entre la politique familiale sancesen 2010. La fécondité augmente, et le niveau de fécondité, essentiellement grâce aux femmes le modèle français a faitde plus de 30 ans ; les femmes ont en moyenne 2,01 enfants, niveau le plus ses preuves. élevé depuis la fin du babyboom. En 1990, le taux de fécondité était de S.F. 1,7 enfant par femme. La population totale devrait continuer à croître jusquen2050etatténuerlevieillissement de la population (27 % de la population aura plus de 65 ans en 2050 – 17 % aujourd’hui – contre 31 % en moyenne pour les pays du sud de l’Europe, 33 % en Allemagne ou 38 % au Japon). Même s’il est difficile d’établir un lien direct entre la politique familiale et le niveau de fécondité, le modèle français a fait ses preuves et la situation est plutôt positive par rapport à d’autres pays industrialisés. D’ail leurs, la France est prise comme exemple par nombre d’autres pays car son taux de fécondité est élevé et stable. Les pays asia tiques ou d’Europe de l’Est sont davantage intéressés par son modèle que par celui des pays nordiques, car la diver Les retombéessité des aides est plus importante et le système plus souple. C’est certaine économiques de ment l’un des facteurs positifs de la certaines mesures de la politique familiale française qui agit le plus sur le niveau de fécondité. politique familiale sont si importantes qu’ellesAinsi, près de 48 % des enfants de moins de 3 ans fréquentaient des ser compensent leurs coûts. vices de garde organisés ou financés C’est le cas des services par la collectivité en 2010. Ce pour centage, très supérieur à celui de la de garde éducatifs à moyenne de l’OCDE (31 %), est en contribution réduite. partie lié à la possibilité d’accéder à la L.B.maternelle (gratuite) dès l’âge de 2 ans. Toutefois, l’accès à la maternelle à cet âge est en diminution régulière depuis 2005 et le taux de préscolarisation de ces enfants est passé de 35 % à 21 % aujour d’hui. Mais la poursuite continue des efforts de développement de la garde d’enfants per met largement de compenser cet effet.
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Les aides directes, notamment les alloca tions familiales et les aides au logement, sont autant d’autres facteurs de succès favorables à la fécondité.
4 Compte tenu des contraintes finan cières et budgétaires auxquelles les gouvernements devront faire face dans les prochaines années, estce que les engagements (à l’intérieur du gouverne ment mais aussi dans la population) en faveur de la politique familiale sont suffisamment forts pour résister aux compressions ?
L. BÉRUBÉ:La générosité de la politique familiale est appréciée par les familles québé coiseset cellesci comptent sur la continuité de mesures qui répondent le mieux possible à leurs besoins.
La politique familiale québécoise est plus qu’un ensemble de mesures de soutien des tinées aux familles. Elle est également un outil contribuant à la fois à l’égalité entre les hommes et les femmes, au développement durable du Québec et au développement économique de la société québécoise.
Par ailleurs, les retombées économiques de certaines mesures de la politique familiale sont si importantes qu’elles compensent leurs coûts. C’est le cas des services de garde éducatifs à contribution réduite. Comme l’ont démontré récemment les chercheurs Luc 2 Godbout, Pierre Fortin et Suzie StCerny , les services de garde ont un impact positif sur la participation des mères sur le mar ché du travail (augmentation de près de 70 000 mères), sur l’activité économique demême que sur les revenus et les dépenses sociales de l’État. Selon les données de 2008, les chercheurs concluent que le réseau de services de garde éducatifs à contribution réduite s’autofinance.
Conscient que la politique familiale contribue grandement au développement socioéconomique du Québec, nous avons toutes les raisons de croire que le gouverne
2. Godbout L., Fortin P., StCerny S., La participation accrue des femmes au marché du travail : impacts macroéconomiques et budgétaires des services de garde à contribution réduite, présentation dans le cadre du colloque? L’éclairage: où en sommesnous 13 ans plus tard La politique québécoise des services de garde des statistiques sociales, ACFAS, Sherbrooke, 10 mai 2011.
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ment maintiendra, au cours des prochaines années, ses engagements en faveur de la politique familiale. D’ailleurs, lors du der nier budget, le gouvernement a annoncé son intention de poursuivre le développement des services de garde éducatifs à contribution réduite, qui compte actuellement plus de 215 000 places, par la création de 15 000 nou velles places d’ici 20152016. Il a également bonifié les budgets consacrés au soutien aux organismes communautaires Famille et aux haltesgarderies communautaires.
S. FOURCADE:Il existe un très large consen sus, qui transcende tous les clivages, en faveur du maintien des efforts pour la politique fami liale. La branche famille, comme toutes les autres branches de la sécurité sociale, a été très fortement touchée par la crise écono mique et financière et par son corollaire, une chute des recettes d’une ampleur exception nelle. En effet, le financement de la branche famille repose largement sur les cotisations patronales, assises sur la masse salariale, laquelle s’est contractée de 1,3 % en 2009, soit dans des proportions inconnues depuis 1945. Aussi, alors que la branche famille était quasiment à l’équilibre en 2008, elle présente en 2010 un déficit de 2,9 milliards d’euros en raison de ce choc économique. Le retour à l’équilibre n’est pas prévu avant 2017, selon les travaux récents du Haut Conseil de la famille.
Néanmoins, grâce à la reprise observée depuis fin 2009, les comptes de la branche famille sortent de la crise moins fragilisés que prévu. L’accélération de l’évolution de la masse salariale contribuera ainsi à leur redressement. Par ailleurs, les dépenses de la branche famille, qui augmentent globale ment au rythme de l’inflation, évoluent ten danciellement moins vite que ses ressources, lesquelles sont globalement assises sur la masse salariale. Par conséquent, la branche se situe bien spontanément sur la voie du retour à l’équilibre.
Dans ces conditions, la stratégie du Gou vernement est double. D’une part, il doit veiller à conforter et à sécuriser les recettes de la branche famille. En effet, si le schéma
de reprise de dette sociale voté en loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 touche à ses recettes, il lui est favorable pour 3 20112012 . Ce constat s’inversant à comp ter de 2013, le Gouvernement s’est engagé à prendre les mesures complémentaires néces saires afin de supprimer l’aléa pesant sur les recettes de la CNAF. Cette dernière bénéfi ciera ainsi, dans les prochaines années, de ressources nouvelles grâce à la poursuite d’une politique affirmée de réduction des niches fiscales et sociales. En outre, à compterde2013,lexcédentdupanierde compensation des allègements généraux de cotisations sociales sera, de façon prépon dérante, affecté à la branche famille, laquelle bénéficiera ainsi d’un surcroît de ressources de près de un milliard d’euros.
D’autre part, il est important de poursuivre les efforts menés en faveur La stratégie du d’une plus grande maîtrise de la Gouvernement est dépense. Ainsi, par exemple, la loi de financement de la sécurité socialedouble […] sécuriser les pour 2011 a déjà prévu 120 millions recettes de la branche d’économies en année pleine pour la famille […] poursuivre branche famille grâce à la suppression de la rétroactivité de trois mois lorsles efforts menés de la demande d’aide au logement. en faveur d’une D’ores et déjà, en ne tenant compte plus grande maîtrise que des mesures prévues par la loi de financement de la sécurité sociale de la dépense. pour 2011, le solde de la branche S.F. famille sera amélioré de 600 millions à l’horizon 2014 par rapport à 2010. Les mesures complémentaires qui interviendront postérieurement permet tront encore d’accélérer le retour à l’équilibre de la branche, lequel est d’ores et déjà prévu avant 2020.
Enfin, il faut rappeler qu’au vu de la situa tion des comptes de la branche famille, il est extrêmement important de continuer à faire porter l’effort sur l’optimisation et la rationa lisation de la gestion des prestations. Il est essentiel de payer à bon droit et à boncompte et donc de travailler sur la lutte contre la fraude aux prestations, mais aussi sur l’accès aux droits des bénéficiaires. Par ailleurs, un des axes d’amélioration consistera à unifier
3. Pour 20112012, la branche famille se verra affecter trois nouvelles mesures en recettes portant sur le secteur des assurances, en contrepartie d’un transfert de recettes à la Caisse d’amortissement de la dette sociale.
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Le gouvernement ne privilégie pas des interventions à but
nataliste, il opte plutôt
pour le déploiement d’un
ensemble de mesures de
soutien aux familles.
L.B.
Les pouvoirs publics
n’ont pas vocation
à influencer très
directement les choix des
familles. Leur rôle est de
faciliter la concrétisation
de ce désir d’enfant.
S.F.
Le taux d’emploi faible des mères d’un enfant de moins de 3 ans et des mères de famille nombreuse […] préoccupe le gouvernement.
S.F.
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dossierPolitiques familiales et fécondité
le versement des prestations familiales en le concentrant entre les mains des caisses d’allocationfamiliales et des caisses de la mutualitésociale agricole.
5 Estce que le gouvernement doit se donner un objectif explicite quant au niveau de fécondité et quel devrait être cet objectif ?
L. BÉRUBÉ:Comme il est indiqué dans laStratégie québécoise de dévelop pement durable 20082013, le gouver nement souhaite améliorer le bilan démographique du Québec, notam mentpar une hausse de la natalité. Pource faire, le gouvernement ne pri vilégie pas des interventions à but nataliste, il opte plutôt pour le déploie ment d’un ensemble de mesures de soutien aux familles : aide financière aux familles, services de garde éducatifs à contribution réduite, congé parental, mesures de conciliation travailfamille, appui aux acteurs des milieux de vie. Il estime ces diverses mesures suscep tibles d’encourager la réalisation du désir d’avoir des enfants.
S. FOURCADE:Le désir d’enfant est un choix éminemment individuel. Les pouvoirs publics n’ont pas vocation à influencer très directement les choix des familles. Leur rôle est de faciliter la concrétisation de ce désir d’enfant. C’est en tout cas la voie empruntée en France. Les différentes aides destinées aux familles, qu’elles soient directes sous formes de prestations monétaires ou indirectes sous forme de mise à disposition de prestations et de services, sont notamment conçues dans cette perspective, mais ce n’est pas l’unique but recherché.
6 Quelles améliorations pourraient être apportées à la politique fami liale pour soutenir la fécondité ? Dans quels domaines ? L. BÉRUBÉ:Dans une optique de développement continu de la poli tique familiale québécoise, le gouver nement démontre sa volonté d’agir
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dans plusieurs domaines d’intervention sus ceptibles de soutenir la fécondité. Il entend notamment poursuivre la création de nou velles places en services de garde éducatifs à contribution réduite, encourager les entreprisesàintégrerlaconciliationtravailfamille dans leur mode de gestion et favo riser l’engagement des acteurs de la communauté dans des actions contribuant au mieuxêtre des familles.
S. FOURCADE:À plus de 76 %, le taux demploidesfemmesde25à54ansest nettementsupérieuràlamoyennedespays de l’OCDE. En revanche, la France fait figure de mauvais élève en ce qui concerne le taux d’emploi faible des mères d’un enfant de moins de 3 ans et des mères de famille nombreuse. « Une meilleure répar tition du travail domestique entre les pères et les mères les aiderait à reprendre le tra vail » pointe le rapport de l’OCDE, qui pré conise d’instaurer un congé paternel bien rémunéré et non transférable à la mère pour inciter les pères à s’occuper davantage de leurs enfants.
Le sujet préoccupe le gouvernement, qui a engagé un débat public sur le congé paren tal. Par ailleurs, la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale a commandé un rapport sur la participation des hommes aux responsabilités parentales, lequel a été rendu public le 7 juin 2011. Le rapport propose ainsi de créer, en plus d’un congé de mater nité de douze semaines, un congé d’accueil de l’enfant de huit semaines, à partager éga lement entre les deux parents. Ces proposi tions ont été présentées le 28 juin 2011 lors d’une conférence sur le partage des respon sabilités présidée par la ministre. Un groupe de travail sera installé dès la rentrée pour réfléchir à leur éventuelle mise en œuvre.
Par ailleurs, le gouvernement poursuit l’effort engagé depuis le début des années 2000 pour développer l’offre d’accueil de la petite enfance et soutenir les parents pour mieux exercer leur rôle.
7.1 Quel rôle pensezvous que les acteurs sociaux des milieux de travail (syndicats et employeurs) pourraient jouer dans leur sphère d’activité, dans le cadre de la politique familiale ?
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dossierPolitiques familiales et fécondité
L. BÉRUBÉ:Les entreprises évoluent dans un marché concurrentiel et elles sont aux prises avec des enjeux majeurs en ce qui a trait au recrutement et à la rétention d’une maind’œuvre qualifiée. La mise en place de mesures de conciliation travailfamille (CTF) devient un outil indispensable pour assurer leur compétitivité dans un contexte où beau coup de Québécoises et de Québécois se définissent à la fois comme des travailleurs, des parents et des proches aidants.
Lorsqu’ils sont interrogés à ce sujet, les employeurs notent que la mise en place de mesures de CTF est un investissement qui rapporte : diminution du stress dans lorganisation,diminutiondesretardsetde l’absentéisme, diminution du roulement du personnel, augmentation de la motivation et de l’engagement du personnel, augmenta tion du rendement et recrutement plus aisé. Malgré ces constats, les milieux de travail offrent encore trop peu de mesures de sou tien en matière de CTF. Des efforts restent donc à faire pour que les acteurs du mar ché du travail jouent un rôle plus important dans ce domaine.
Convaincu, depuis plusieurs années, de l’importance de soutenir les familles dans la conciliation de leurs responsabilités fami liales et professionnelles, le gouvernement du Québec a adopté des politiques et mis en œuvre des mesures pour faciliter la CTF. Certaines de ces mesures visent à soutenir financièrement les milieux de travail dans leur démarche à l’égard de la CTF, d’autres à reconnaître les pratiques de CTF présentes dans les milieux de travail (développement d’une norme et création dePrix Reconnais sance). Il est à noter que des représentants des milieux syndical et patronal ont participé au développement de la « Norme concilia tion travailfamille » qui est unique au monde. En outre, les jeunes chambres de commerce sont impliquées dans le processus d’attribution desPrix Reconnaissance « conciliation travailfamille ».
Considérant qu’une maind’œuvre active et productive est essentielle à la prospérité de la société québécoise, le gouvernement continuera, au cours des prochaines années, à promouvoir la CTF auprès des entreprises et à soutenir leurs efforts en la matière.
S. FOURCADE:Plusieurs leviers permettent de mobiliser les acteurs sociauxdes milieux de travail. En apportant des solutions aux familles, on permet une meilleure implica tion des femmes sur le marché du travail. Les entreprises de 50 salariés et plus ont ainsi l’obligation de produire tous les ans un rapport de la situation comparée des hommes et des femmes. Ce document permet de mesurer, pour chacune des catégories professionnelles dans l’en treprise, la situation respective des femmes et des hommes, notamment en matièred’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la res ponsabilité familiale.
Les milieux de travail
offrent encore trop peu
de mesures de soutien
en matière de CTF.
L.B.
Malheureusement, il demeure encore difficile de mobiliser les PME Il demeure encore qui emploient pourtant plus de 88 % des salariés (80 % pour les PME de moins difficile de mobiliser de 250 salariés et 8 % pour les PME les PME qui emploient de 250 à 500 salariés). Des mesures visant à faciliter leurs démarches ontpourtantplus de 88 % été mises en place. Par exemple, elles des salariés. peuvent se regrouper pour mandater un prestataire pour le montage de S.F. projets de création de crèches. Aussi, le crédit d’impôt famille a été porté à 50 % des dépenses (dans la limite de deux millions d’euros) pour la mise en place de crèches ou la réservation de places dans des crèches existantes. Également, un « Club crèches et entreprises », lancé avec l’appui de l’État, permet aux entreprises qui ont mis en place des crèches d’aider celles qui sou haitent le faire en apportant toute leur expérience.
7.2 Et les organismes communautaires et municipalités au Québec ou les collec tivités locales en France ? L. BÉRUBÉ:La contribution des commu nautés au mieuxêtre des familles représente l’un des axes importants de la politique familiale québécoise. Les milieux de vie (par exemple les municipalités, les organismes du milieu, etc.) contribuent à créer des condi tions facilitant la vie des familles québécoises, notamment en adaptant leurs services aux besoins de cellesci et en offrant des services de soutien aux parents et aux proches aidants.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
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En 2002, le gouvernement a mis en
place un programme de soutien favorisant l’établissement de
politiques familiales
municipales à travers le Québec.
L.B.
Deux grandes questions
se posent […] qu’estce
qui explique les choix
que font les jeunes
couples québécois au
regard de la fécondité
et comment, par des
interventions publiques,
pouvonsnous
influencer leurs
comportements ?
L.B.
124 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
dossierPolitiques familiales et fécondité
Pour cette raison, un appui est accordé aux acteurs de la communauté enga gés dans des actions favorables aux familles.
En 2002, le gouvernement a mis en place un programme de soutien favori sant l’établissement de politiques fami liales municipales à travers le Québec. Ce programme a pour objectif d’inci ter les municipalités à développer des services et des infrastructures amélio rant les conditions de vie des familles (pistes cyclables, aménagement de parcs récréatifs sécuritaires, tarifs familiaux pour les loisirs municipaux, ouverture prolongée des bibliothèques, etc.). Actuellement, le programme rejoint près de 81 % de la population québécoise.
De plus, le gouvernement soutient également l’apport des organismes communautaires Famille et des haltes garderies communautaires au mieux être et au développement social des collectivités. Lors du dernier budget, il a d’ailleurs annoncé la bonification des sommes consacrées à ceuxci.
S. FOURCADE:Les collectivités locales, principalement les départements et les communes, interviennent dans l’accueil du jeune enfant et la protection de l’en fance (compétence du département).
En 2001, la Cour des comptes évaluait à un milliard d’euros les dépenses en faveur de l’accueil du jeune enfant. Cette somme inclut également les mesures d’aides édu catives. L’aide sociale à l’enfance absorbait 5,9 milliards d’euros en 2008. Cette somme recouvre les dépenses pour les enfants confiés à l’ASE ou placés directement par le juge, de même que des frais inhérents à ce placement (149 000 enfants en 2009), les aides financières et celles concernant l’appui de travailleuses familiales.
8 Qu’attendent les gouvernements de la part de la communauté scientifique ? Y atil des questions ou des problèmes auxquels les chercheurs devraient essayer
N° 2, 2010
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de répondre ? Autrement dit, comment la recherche peutelle contribuer à l’amélio ration de la politique familiale, notamment dans ses liens avec la fécondité ?
L. BÉRUBÉ:Créer un environnement per mettant de réaliser pleinement le désir d’enfants des individus constitue une entre prise considérable à relever pour ceux habilités à prendre les décisions concernant les politiques publiques québécoises et pour tous ceux qui prennent part aux débats démo cratiques tenus sur ce sujet. De manière récurrente, deux grandes questions se posent auxquelles les décideurs souhaitent obtenir des réponses : qu’estce qui explique les choix que font les jeunes couples québécois au regard de la fécondité et comment, par des interventions publiques, pouvonsnous influencer leurs comportements ?
Parmi les écrits portant sur l’action de l’État en matière de fécondité, on mentionne fréquemment que les politiques visant à modifier le niveau actuel de la fécondité doivent s’inscrire dans le contexte où se réalisentlesprojetsdefécondité.Ilest donc primordial de prendre appui, dans la mesuredupossible,suruneconnaissance précise, actuelle et personnalisée de la population en cause en ce qui a trait tout d’abord aux intentions des individus relati vement à leur fécondité, mais également aux facteurs associés à la réalisation ou non de ces intentions. Le milieu québécois de la recherche pourrait continuer d’apporter une contribution importante faceà ces questions en développant une meilleurecompréhen sion du processus conduisant à donner naissance à un enfant au Québec.
Des recherches pourraient également être conduites afin d’évaluer avec davantage de précisions les conditions apparaissant nécessaires aux couples pour prendre la déci sion d’avoir un enfant (ou un de plus). Quels sont les conditions favorables déterminantes et les principaux obstacles à la venue d’un enfant ? Quelles raisons motivent la déci sion d’avoir un enfant ? Quelle importance attachentilsàlenfantou,autrementdit,que représente l’enfant en termes d’avantages, de coûts et de privations ?
D’autres questions sont également suscep tibles de demander des réponses dans une
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dossierPolitiques familiales et fécondité
perspective d’amélioration de la politique familiale. Quelles sont les connaissances, les perceptions et le degré de satisfaction des mesures de soutien à l’égard des familles ? Quel autre type de support souhaiteraient les parents de la part de l’État, de la part des milieux de travail, des milieux de vie ? Sous quelle forme ?
Enfin, d’autres sujets mériteraient davan tage d’attention de la part des chercheurs, notamment le rôle joué par l’implication des hommes à l’intérieur de la sphère familiale dans les décisions des couples de réaliser leur désir d’avoir un enfant, en interaction avec d’autres facteurs importants de la CTF.
S. FOURCADE:Une meilleure connaissance du lien entre politique familiale et fécondité ainsi que des besoins précis des familles, particulièrementencequiconcerneles servicesetprestationsenmatièredéducation et d’accueil du jeune enfant, constitue certainement des pistes de travail qui méritent
encore d’être explorées de façon plus approfondie. L’identification précise des besoins des familles, qui sont très évolutifs, est sûrement l’une des prin cipales attentes des pouvoirs publics à la recherche constante de meilleures politiques de soutien aux parents.
En outre, les besoins des familles et des enfants de même que les structures des familles étant évolutifs dans le temps, il faut que la politique familiale puisse s’adapter. Mais il est important de ne pas la bouleverser car une cer taine stabilité est aussi un facteur de succès de cette politique.
Enfin, je rappelle que l’objectif d’amé lioration de la fécondité ne doit pas être l’unique objectif de la politique familiale. Elle doit, plus largement, viser le bienêtre et l’épanouissement des familles et des enfants.
L’identification précise
des besoins des familles,
qui sont très évolutifs,
est sûrement l’une des
principales attentes des
pouvoirs publics à la
recherche constante de meilleures politiques de soutien aux parents.
S.F.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
125 N° 2, 2010
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