Les associations de consommateurs de santé aux États-Unis - article ; n°2 ; vol.8, pg 137-147
11 pages
Français

Les associations de consommateurs de santé aux États-Unis - article ; n°2 ; vol.8, pg 137-147

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
11 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Santé, Société et Solidarité - Année 2009 - Volume 8 - Numéro 2 - Pages 137-147
Although the medical profession is supposed to act as an agent for patients, this professional standard does not guarantee the latter a voice in the care delivered to them or its underlying policies (Rothman, 1978). This article describes the efforts made in the United States to increase the role of patients in the development of health policies, by emphasizing more particularly the role of patient associations. The introduction sets out the reasons and values which push patients to get involved in health policies and the benefits expected from this involvement. It then examines some of the most emblematic actions taken on behalf of patients while illustrating the guiding principles and efforts made by the state to institutionalize the role of patients in the process of developing health policies. Lastly, the article discusses some positive and negative aspects of different forms of representation (direct or through the intermediary of “professional” spokespersons for the associations). To conclude, it appears that the role of patients in health policies and the results of actions taken by associations must be assessed in a qualified way because, although the associative movement can rightly boast about important victories for patients and their families, its voice still remains little heard both in the political process and the field of clinical practice.
La profession médicale est supposée agir en tant qu’agent des patients, mais cette norme professionnelle ne garantit pas que ces derniers puissent s’exprimer sur la nature des soins qui leurs sont délivrés ou sur les politiques qui les fondent. Cet article décrit les efforts réalisés aux États-Unis pour accroître le rôle des patients dans la construction des politiques de santé, en insistant plus particulièrement sur le rôle des associations de malades. Les motifs et les valeurs qui poussent les malades à s’engager dans les politiques de la santé sont présentées en introduction de même que les avantages qu’on peut en attendre. Nous analysons ensuite certaines de leurs actions les plus emblématiques menées en leur nom tout en illustrant les grandes lignes de forces et les efforts de l’État pour institutionnaliser cette place des patients dans le processus de construction des politiques de santé. Enfin, une discussion est engagée sur certains aspects positifs et négatifs que peuvent avoir des formes différentes de représentation (directe ou par l’intermédiaire de porte-parole «professionnels» appartenant aux associations). En conclusion, il apparaît que le jugement sur le rôle des patients dans les politiques de santé et sur les résultats de l’action des associations doit être nuancé, car si le mouvement associatif peut se targuer de victoires importantes pour les patients et leurs familles, sa voix demeure encore trop peu audible tant au niveau du processus politique que dans le champ des pratiques cliniques.
11 pages

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2009
Nombre de lectures 16
Langue Français

Extrait

Échos d’ailleurs
Les associations de consommateurs de santé aux États-Unis
Michael K. GusmanoÉTATS-UNIS Professeur-chercheur, The Hastings Center
La profession médicale Résumé est supposée agir en tant qu’agent des patients, mais cette norme professionnelle ne garantit pas que ces derniers puissent s’exprimer sur la nature des soins qui leurs sont délivrés ou sur les politiques qui les fondent. Cet article décrit les efforts réalisés aux États-Unis pour accroître le rôle des patients dans la construction des politiques de santé, en insistant plus particulièrement sur le rôle des associations de malades. Les motifs et les valeurs qui poussent les malades à s’engager dans les politiques de la santé sont présentées en introduction de même que les avantages qu’on peut en attendre. Nous analysons ensuite certaines de leurs actions les plus emblématiques menées en leur nom tout en illustrant les grandes lignes de forces et les efforts de l’État pour institutionnaliser cette place des patients dans le processus de construction des poli-tiques de santé. Enfin, une discussion est engagée sur certains aspects positifs et négatifs que peuvent avoir des formes dif-férentes de représentation (directe ou par l’intermédiaire de porte-parole « profes-sionnels » appartenant aux associations). En conclusion, il apparaît que le jugement sur le rôle des patients dans les politiques de santé et sur les résultats de l’action des associations doit être nuancé, car si le mou-vement associatif peut se targuer de vic-toires importantes pour les patients et leurs familles, sa voix demeure encore trop peu audible tant au niveau du processus politique que dans le champ des pratiques cliniques.
Although the medical pro-Abstract fessionis supposed to act as an agent for patients, this professional standard does not guarantee the latter a voice in the care delivered to them or its underly-ing policies (Rothman, 1978). This article describes the efforts made in the United States to increase the role of patients in the develop-ment of health policies, by emphasizing more particularly the role of patient associations. The introduction sets out the reasons and values which push patients to get involved in health policies and the benefits expected from this involvement. It then examines some of the most emblematic actions taken on behalf of patients while illustrating the guiding principles and efforts made by the state to institutionalize the role of patients in the process of developing health policies. Lastly, the article discusses some positive and negative aspects of different forms of representation (direct or through the inter-mediary of “professional” spokespersons for the associations). To conclude, it appears that the role of patients in health policies and the results of actions taken by associa-tions must be assessed in a qualified way because, although the associative movement can rightly boast about important victories for patients and their families, its voice still remains little heard both in the political process and the field of clinical practice.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
137 N° 2, 2009
138 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
Quels sont les bénéfices attendus de l’expression des patients pour la politique de santé ?
Échos d’ailleurs
Le principe selon lequel les personnes devraient pouvoir avoir leur place dans les décisions qui concernent directement leur vie est au cœur du concept de démocratie politique. L’extension de ce principe a été la cible et l’objectif du mouvement associa-tif dans le champ de la santé. La participa-tion des patients à la politique de santé peut en effet contribuer à son amélioration pour diverses raisons. Le fait qu’ils s’expriment et soient entendus peut contribuer à une meilleure connaissance, et donccompréhen-sion, de ce que sont réellement ces associations et mener à une meilleure interaction entre les professionnels de santé et les patients (Gutmann, Thompson, 1999). Un processus politique plus inclusif peut concourir à évi-ter les erreurs du passé : inclure des patients dans les délibérations fournit l’occasion de tirer des enseignements des échecs des politiques et actions menées (Fearon, 1998). L’accroissement de l’éventail des participants aux débats politiques peut alors révéler qu’il n’existe pas de possibilités de compro-mis fondées sur les alternatives existantes et pousser à l’élaboration de solutions nou-velles (Sunstein, 2003). Enfin, les décisions politiques émergeant d’un processus plus ouvert et étendu acquièrent une plus forte légitimité que celles résultant d’un proces-sus fermé (Young, 2000). Comme l’exprime Dresser, « la bioéthique est fondée sur le principe que les valeurs du public et des patients ont de l’importance — et que les médecins, les scientifiques et les décideurs publics ne devraient pas être les seuls à pouvoir définir la manière dont la médecine et la recherche doivent être pratiquées. On peut donc estimer que les défenseurs des intérêts des patients ont apporté à la méde-cine et à la recherche une forme de parti-cipation publique que la communauté bioéthique promouvait » (Dresser, 2001).
Les problèmes liés à l’engagement des patients dans la politique de santé
Donner la parole aux patients en matière de politique de santé peut donc contribuer à l’améliorer et à la légitimer, mais leur
N° 2, 2009
influence peut parfois ne pas s’avérer posi-tive. Ainsi, leur focalisation sur l’obtention de bénéfices cliniques peut orienter la recherche clinique dans de mauvaises direc-tions. Si leurs porte-parole parviennent à diriger les ressources de la recherche fonda-mentale vers une recherche plus appliquée en vue d’aboutir plus rapidement à unbéné-fice clinique, un des effets peut être d’affaiblir le savoir scientifique nécessaire à l’obtention d’amélioration clinique de nature vérita-blement innovante (Dresser, 2001). Ainsi, au début des années 1990, les associations de malades du cancer du sein ont fortement milité pour l’usage de chimiothérapie à haute dose et de la greffe de moelle qui constituaient des alternatives très coûteuses comparés aux traitements standards. L’usage étendu qui en a résulté a rendu difficile de tester l’efficacité de ces nouveaux traitements au moyen d’essais cliniques randomisés. Lors-que les recherches ont permis de montrer leur non supériorité, il était trop tard pour les femmes traitées à tort (Dresser, 2001).
Inversement, la mobilisation des patients peut être limitée du fait que tous ne sont pas en capacité de s’engager dans ce genre de processus politique faute de disposer des ressources nécessaires pour ce type d’action (Evans, McGaha, 1998). Par ailleurs, il se peut que les succès obtenus ne résultent pas directement de la justesse de la demande ou de leurs efforts directs. Parfois, en effet, c’est l’intervention de certaines vedettes ou de décideurs politiques qui, du fait de leur expérience personnelle les amenant à devenir les défenseurs de leur cause, va favoriser leur succès. Ainsi, le support bipartisan du congrès américain obtenu par les promoteurs d’un accès au traitement plus égalitaire pour les malades mentaux tient beaucoup aux expé-riences personnelles de certains de ses membres. Pour expliquer son soutien à la loi proposée, le représentant Jim Ramstad déclarait : « Patrick Kennedy et moi-même ne serions pas sobres aujourd’hui, voire vivants, si nous n’avions pas eu accès à des traite-ments auxquels beaucoup n’ont toujours pas droit » (Petersen-Perlman, 2007).
L’intérêt de ce type de connexions est parfois mis en avant parce qu’il peut per-mettre d’aboutir à une convergence de l’ensemble des forces politiques permettant
Échos d’ailleurs
d’élaborer de meilleures politiques de santé et pratiques de soins. Mais Béatrice Hoffman soulève le point suivant : « Comme toutes les réformes incrémentales, la ques-tion du droit des patients mène à celle de savoir : certains d’entre eux méritent-ils plus que d’autres un meilleur accès aux soins ? ». Répondant par la négative, elle propose de passer d’une politique sectorielle s’adressant à certains types de patients vers une autre, plus globale, qui se fixerait comme but d’obtenir des changements en matière d’accès pour tous parce que « seul ce type de poli-tique permettra d’unir plutôt que de séparer tous ceux qui militent pour un même objec-tif » (Hoffman, 2003).
Survol des mobilisations de patients dans le champ de la santé
Les précurseurs
La mobilisation en faveur des patients aux États-Unis est une histoire vieille de plus d’un siècle. Comme en attestent les exemples les plus anciens, l’action des « activistes de la santé » s’est d’abord construite « autour de groupes sociaux stigmatisés » ou à l’inverse « à l’intérieur d’organisations déjà bien ins-tituées » (Halpern, 2004).
En 1860, Elizabeth Packard fut internée de force dans un asile d’aliénés par son mari parce qu’elle ne partageait pas ses convictions religieuses. À cette époque, cela pouvait être fait légalement sans avoir à s’en justifier. Après qu’elle ait été libérée par les médecins de l’asile, mais jugée incurable, son mari la retint prisonnière dans sa chambre. Étant parvenue à communiquer avec un ami à l’extérieur, celui-ci réussit à faire passer en jugement son affaire en s’appuyant sur la législation de l’habeas corpus. Son procès gagné, elle se lança alors activement dans une campagne en faveur des personnes « consi-dérées comme aliénées ». Elle fut ainsi à l’origine de la création de la Société contre les asiles d’aliénés. Son action aboutit à la promulgation, dans l’État de l’Illinois, d’une loi garantissant aux personnes considérées comme souffrant d’aliénation le droit à un procès public devant jury (Ozarin, 2001). Plus de trente ans après l’action de Packard, en 1908, le livre de Clifford Beers,A Mind that Found Itself(Un esprit qui se retrouva),
exerça une forte influence dans la lutte contre les traitements abusifs appliqués aux malades mentaux. Beers, qui avait passé trois ans dans un asile après une tentative de suicide, contri-bua à la création d’une puissante coalition regroupant des personnalités influentes mili-tant en faveur des droits pour les malades mentaux.
Ces actions se sont déroulées dans un contexte que l’on peut qualifier de « favorable aux idées progressistes » et à une période où l’autorité de la médecine organisée a été remise en question (Starr , 1984). Parallèle-ment à ces actions ponctuelles, les « activistes de la santé » ont aussi milité en faveur de réformes plus globales du système de santé (Hoffman, 2003). Deux organismes notam-ment militèrent dès cette époque en faveur d’un système d’assurance obligatoire : le syn-dicatThe International Ladies’ Garment Workers’ Union(ILGWU), qui avait ouvert un centre de santé à New York en réponse au nombre élevé de tuberculoses et autres maladies qui affectaient ses membres, et la Western Miners’ Federation(Fédération des Mineurs de l’Ouest), qui avait créé au début e duXXsiècle un système d’hôpitaux gérés en direct et destinés à ses mandants (Hoffman, 2003).
L’après guerre
À partir des années 1950, les réformateurs ont utilisé les tribunaux comme des outils d’extension du droit des patients (Rodwin, 1994), parfois directement à l’initiative des malades, d’autres fois par l’intermédiaire d’avocats (Rothman, 2001). Les résultats qui en découlèrent furent l’obligation pour les médecins d’informer leurs patients sur les bénéfices et risques des traitements (Canter-bury, 1972), le droit pour les patients de refuser un traitement même si ce refus pou-vait avoir des conséquences mortelles (Cru-zan, 1990), ainsi qu’une garantie d’accès aux soins d’urgence pour tous, même en l’absence de solvabilité. Mais la mise en place d’une politique visant à transformer le système de soins et ses pratiques ne date que des années 1970 alors que les modalités d’action de nombreuses associations, de mouvements de malades mentaux et de féministes (Hal-phern, 2004) s’inspirèrent des méthodes des militants des droits civiques.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
139 N° 2, 2009
140 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
Les mouvements féministes dans la santé
Échos d’ailleurs
Longtemps, la profession médicale s’est désintéressée des problèmes de santé spé-cifiques des femmes, voire s’est parfois engagée dans des pratiques mettant leur vie en danger (Rodwin, 1994). Il en est allé ainsi de la prescription d’un dérivé œstrogénique, le distilbène, comme traitement préventif des fausses couches, lequel s’est révélé nocif pour les enfants exposésin utero, et surtout pour les filles. Les médecins ont également réalisé des hystérectomies non justifiées sans discuter des alternatives possibles avec leurs patientes. Il était aussi quasiment impos-sible pour les femmes de devenir médecin et de lutter contre la domination masculine dans cette profession. C’est pour essayer de mettre fin à ces comportements jugés « sexistes » que le mouvement féministe a développé ses actions (Hoffman, 2003).
Le mouvement féministe s’est notamment mobilisé pour que les femmes puissentdis-poser d’informations et de lieux de traitements où elles pourraient se faire soigner diffé-remment. Avant la légalisation de l’avorte-ment en 1973, le syndicat de Chicago pour la libération des femmes fit en sorte qu’elles puissent bénéficier de lieux où se faire avor-ter en toute sécurité (Starr, Paul, 1984). Une association de Boston, leBoston Women’s Health Book Collective, en collaboration avec certaines facultés de médecine, œuvra pour modifier le programme de formation des gynécologues obstétriciens (Rodwin, 1994). Et comme le dit Rodwin, « les féministes se sont aussi organisées afin de suivre l’action des pouvoirs publics et mener un travail de lobbying auprès de ses représentants ». Le Réseau national pour la santé des femmes, la Ligue pour le droit à l’avortement et à la contraception et le Fonds de défense des femmes ont lutté ensemble afin d’inscrire les problèmes de santé des femmes en bonne place sur l’agenda politique et obtenir davan-tage d’argent pour financer des recherches sur ces sujets. En 1990, la création au sein du National Health Service(NHS) d’une entité dévolue à la recherche sur la santé des femmes a couronné leurs efforts (Rodwin, 1994).
De nouveaux problèmes, tels que les mas-tectomies et les « accouchements minute » à la suite desquelles les femmes étaient renvoyées
N° 2, 2009
chez elles, sans que les soins les plus élé-mentaires ne leurs aient été prodigués, et abandonnées à elles-mêmes sans informa-tion, sont apparus avec le développement du Managed Caredans les années 1990. Ces effets indésirables (ainsi que d’autres) ont entrainé un véritable mouvement de révolte et suscité une demande pour de nouveaux droits. Mais les promoteurs de ces luttes n’ont pas les mêmes objectifs ni les mêmes modes d’action. Ces luttes ont résulté d’un ensemble d’initiatives individuelles non coordonnées qui, dans un second temps, ont reçu l’appui des professionnels de santé. Mais ces derniers, se présentant comme des défenseurs des droits des patients, cher-chaient d’abord à se légitimer et à préserver leur autonomie face à l’industrie duManaged Carequi la menaçait (Halpern, 2004).
La santé mentale
En dépit des actions emblématiques menées par Packard et Beers mentionnées précédem-ment, pendant des décennies, les associations de patients atteints de maladies mentales n’ont pas eu de véritable influence. Il a fallu attendre le début des années 1960 pour que la Fondation nationale de santé mentale, créée en 1943 pour les malades, et l’Association nationale pour la santé mentale, association de professionnels, cosignent avec laJoint Commission on Mental Healthun rapport qui servira de fondement à la loi aboutissant à la création des centres de santé mentaux communautaires (CMHC) en 1963. Ces der-niers ont permis de soigner en ambulatoire les centaines de milliers de patients sortant des hôpitaux psychiatriques.
Cependant, la première organisation « moderne » de défense des droits des malades mentaux, l’Oregon Insane Libération Front, ne fut créée qu’en 1969 dans l’État d’Oregon. Aujourd’hui, il en existe une dou-zaine dont les méthodes de lutte continuent de s’inspirer de celles des organisations de défense des droits civiques. LaNational Alliance on Mental Illness(NAMI) fut créée à l’instigation de deux mères d’enfants schi-zophrènes. Critiquant fortement les concep-tions des professionnels faisant des familles les responsables de la maladie de leurs enfants, elles ont plaidé pour un changement d’orientation des pratiques thérapeutiques
Échos d’ailleurs
(Foulks, 2000). En 1999, le ministre de la Santé a reconnu dans un rapport l’impor-tance du rôle des associations de malades mentaux (les survivants et leurs familles) dans la restructuration de la politique de santé mentale. Mais d’autres commentateurs sont d’avis que la communauté des professionnels de santé mentale et les décideurs publics ne sont que « superficiellement d’accord avec ce mouvement d’émancipation des malades » (Bernstein, 2006) et désignent ces militants sous le vocable de « manipulateurs noncom-pliant».ou manquant de capacité réflexive Ils estiment que « l’usage de tactiques coer-citives permet aux médecins, encore aujour-d’hui, de traiter les malades de manière plus expéditive que thérapeutique» (Bernstein, 2006). Ainsi que l’écrit Foulks (2000), « après cent cinquante ans de mobilisation en faveur de réformes destinées à améliorer les soins délivrés aux malades mentaux, beaucoup d’efforts restent à faire ». Les trente dernières années ont aussi été marquées par un certain nombre de mobilisations de patients atteints de pathologies spécifiques.
Les activistes du cancer du sein
Avant les années 1970, le cancer du sein n’était ni un thème de débat public, ni un sujet porteur pour les médias, et donc pas une question d’intérêt pour les décideurs. Le livreOur Bodies, Ourselves(Notre corps, nous mêmes), publié en 1973 par leBoston Women’s Health Book Collectiveprovoqua un premier regain d’intérêt. Néanmoins, ce fut surtout la volonté conjointe de Betty Ford,First Ladyde l’époque, et de Mary Todhunter Clark, épouse du gouverneur de l’État de New York Nelson Rockefeller, de rendre public leur combat contre cette maladie qui incitèrent d’autres femmes à faire partager leurs expériences. Elles furent ainsi à l’origine de campagnes destinées à recueillir des fonds pour la recherche et la défense des femmes atteintes d’un cancer du sein.
La Fondation Susan G. Komen fut créée en 1982 et laNational Alliance for Breast Cancer Organization, organisme fédérant des centaines d’associations, vit le jour en 1986 (Brower, 2005). Lui succédèrent, au début des années 1990, laNational Breast Cancer Coalitionet laBreast Cancer Action,
alors que d’autres organisations regroupant des associations locales se créaient sur tout le territoire. En plus de mener des actions de soutien, ces associations firent preuve d’un grand activisme politique pour inciter à uti-liser de nouveaux traitements ou améliorer l’efficacité de ceux existant. Leurs efforts contribuèrent à ce que le budget fédéral de la recherche sur le cancer du sein soit qua-druplé et laNational Breast Cancer Coali-tionréussit à convaincre le Congrès de consacrer sur une ligne budgétaire du minis-tère de la Défense un crédit de plus d’un milliard de dollars (Riter, 2009 ; Braun, 2001). Au sein des pouvoirs publics et des avocats de malades d’autres pathologies, ce succès a engendré la crainte que ces mesures se fassent au détriment de leurs propres situations et qu’elles ne correspondent pas à une bonne politique de santé globale. Car si les financements de la recherche, des traitements et de la formation ne doivent pas nécessairement être proportionnels au nombre de personnes atteintes d’une maladie ou à sa contribution spécifique au taux de mortalité, comme le dit Brower, « la manière dont le problème et la crainte du cancer du sein sont parvenus à occuper une place proéminente dans la conscience des femmes partout dans le monde, alors que le cancer du poumon est devenu insidieuse-ment le nouveau tueur, illustre bien le pouvoir de persuasion des campagnes de communication focalisées et l’activisme des patients. »
Les militants du SIDA
En mai 1981, leCenter for Disease’s Control (CDC) d’Atlanta constata l’apparition d’une nouvelle maladie frappant des gens jeunes, de race blanche, appartenant aux commu-nautés homosexuelles de Los Angeles, New York City et San Francisco. Parce qu’elle se manifestait fréquemment par une série de tumeurs de la peau, associée antérieurement au sarcome de Kaposi, elle fut dénommée le « cancer gay ». Personne n’en connaissait la cause et son extension rapide alarma la communauté homosexuelle.
Un grand nombre de personnes se mobi-lisa très rapidement dans tout le pays pour soutenir les malades, accélérer la recherche de traitements efficaces et la prise de
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
141 N° 2, 2009
142 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
conscience de l’État afin qu’il se saisisse du problème. L’écrivain new-yorkais, Larry Kramer, organisa en 1982 une réunion dans son appartement afin de réunir des fonds pour la recherche. Son action aboutit la même année à la création d’une première association, laGay Men’s Health Crisis. La AIDS Medical Foundation(AMF) fut créée en 1983 avec pour objectif de réunir des fonds pour la recherche et son premier appel d’offre parut en 1984. L’AMF tra-vailla aussi à diffuser de l’information sur la maladie aux décideurs et au public. En septembre 1985, l’AMF fusionna avec la National AIDS Research Foundation, créée en Californie en 1985, pour formerl’Ameri-can Foundation for AIDS Research(AMFAR), la plus grande organisation de patients. Celle-ci eut un rôle majeur dans la prise de conscience du problème par le public et dans la nécessité de financer la recherche. Cependant, leur contribution essentielle a résidé dans leur capacité à influer sur les politiques de la recherche, les essais théra-peutiques, l’évaluation et la mise sur le marché rapide de nouveaux traitements médicamenteux, en se plongeant au cœur de la technique et du langage de ces procé-dures. Les membres de ces groupes contri-buèrent non seulement à en transformer les méthodes, mais aussi à accroître, au-delà des experts, le cercle des profanes jugés aptes à se mêler aux débats (Epstein, 1996). Leurs connaissances spécifiques et intimes de la maladie, parce qu’elle leur conférait une véritable crédibilité auprès de la com-munauté des chercheurs et des décideurs publics, contribua à accentuer l’efficacité de leurs actions de lobbying (Dresser, 2001).
L’effort d’institutionnalisation de la voix des patients dans le champ sanitaire
Les programmes de participation des patients
Échos d’ailleurs
Si l’implication des malades et de leurs asso-ciations dans le processus de construction des politiques de santé consiste en général à agir hors des structures institutionnelles, simultanément, des réformateurs au sein
du gouvernement se sont efforcés d’« insti-tutionnaliser la voix des patients ». Le Neighborhood Health Center Program, créé en 1960, ainsi que laHealth Systems Agency, dans les années 1970, ont chacune déve-loppé des programmes dans lesquels des profanes pouvaient se faire entendre. Plus récemment, certains états ont essayé de faciliter le rôle des organisations de malades en soutenant l’action de leurs réseaux. La première organisation citée était issue de l’Economic Opportunity Act(EOA) de 1964 qui constituait le noyau central de la poli-tique de lutte contre la pauvreté du président Lyndon B. Johnson. L’EOA a financé des agences communautaires destinées à fournir aux indigents une formation, des stages, des soins et d’autres types de services sociaux (Morone, 1990). LesNeighborhood Health Center Modelsdevaient ainsi combiner la délivrance de soins extensifs avec la forma-tion des étudiants en médecine en les impli-quant dans des programmes de santé communautaires (Sardell, 1988). Ces pro-grammes ont reçu en 1966 l’appui du séna-teur Edward Kennedy qui a obtenu un financement de 50 millions de dollars pour des centres situés dans les zones rurales ou défavorisées (Sardell, 1988). La recherche de la participation de la communauté cons-titua une des conditions du financement par l’État fédéral desCommunity Health Centres(CHC). Et quand le Congrès mit en place lesNeighborhood Health Centers (NHC) en 1964, puis les CHC suivis des centres de santé mentale en 1975, la loi insista sur l’importance de la participation des 1 consommateurs dans leur fonctionnement . Du fait de la localisation de ces centres dans les zones défavorisées et souffrant d’une sous-consommation médicale, la grande majorité de leurs utilisateurs était des personnes affiliées àMedicaidou des non assurés (Gus-manoet al., 2002). Les autres membres du conseil d’administration (CA) ou du mana-gement étaient souvent issus de minorités reflétant sa composition raciale ou ethnique. LaNational Association of CHC(NACHC), fondée en 1973, était aussi fortement repré-sentée par ses usagers. Ces derniers béné-ficiaient de 50 % des votes de la Chambre
1. « Chaque CHC devait avoir un conseil d’administration (CA) organisé de telle sorte que les consommateurs aient un poids dominant dans l’usage des fonds fédéraux. Ce conseil devait définir les orientations straté-giques, voter le budget et choisir un directeur exécutif. La majorité du CA devrait être des usagers du centre représentant la composition de la population des utilisateurs du centre. » (P .L. 94-63) (Sardell, 1988).
N° 2, 2009
Échos d’ailleurs
des délégués, instance décisionnaire ultime en matière de choix des politiques, des pro-grammes, du budget et de la nomination des responsables d’associations (Grogan, Gus-mano, 2007) Ceci contribua à en faire les représentants naturels des personnes défavo-risées sur le plan politique et les porteurs des intérêts. Les CHC et la NACHC devinrent ainsi de véritables instances politiques. Dès 1976, cette dernière créa en son sein un département d’analyse politique pour aug-menter son influence sur les législations concernant les politiques de santé en direc-tion des personnes défavorisées.
Mais si le NACHC a effectivement influé sur la nature de ces politiques dans diffé-rents domaines, son système de gouvernance a posé problème en raison du nombre insuf-fisant de représentants d’usagers au sein du CA pour pouvoir en assurer le contrôle effectif et aussi du fait de l’attitude de cer-tains médecins qui ont mené une lutte féroce pour protéger leur pré carré. Même ceux plus enclins à accepter que des profanes de la communauté participent aux décisions ont eu des difficultés à mettre en pratique ce principe. Les raisons évoquées sont des différences de langage et de cultures ainsi que des stratégies utilisées pour recruter certains représentants des minorités. Selon Sardell, les CHC se sont montrés plus effi-caces dans la délivrance « classique » des soins. Ils ont moins réussi à construire des formes d’interventions innovantes permettant de toucher des groupes ayant des besoins spécifiques ou ayant de fortes barrières à l’accès.
La création des agences de santé
En 1969, les décideurs politiques ont eu à affronter l’inflation des coûts de la santé déjà existante avant la création, en 1965, des programmes d’assuranceMedicare(destiné aux personnes de plus de 65 ans) and Medicaid(destiné aux personnes à faible revenu).Mais, de ce fait, l’État fédéral a eu à supporter une part beaucoup plus impor-tante des dépenses de santé de la nation avec un quasi triplement en dix ans. Devenu responsable de plus de 40 % des dépenses, il envisagea une palette de solutions, dont la planification. Un réseau national d’agences
de santé, leNational Health Planning and Resources Development Act, fut alors initié en 1974. Son objectif était de coordonner les ressources privées et publiques de façon à en rationaliser l’usage, mais sans affecter l’organisation du système. La participation des consommateurs était un des piliers des Health Saving Accounts(HAS) dont la com-position des instances de gouvernance devait traduire celle de la communauté avec une majorité au CA afin de limiter la domi-nation des offreurs. Les critiques émises ont alors porté sur la non représentativité du CA mais aussi sur l’incapacité des usagers à remettre en cause le pouvoir des offreurs en raison de leur manque de connaissances. De fait, les enquêtes réalisées montrèrent que les professionnels de santé avaient gardé le leadership. Les HSA n’avaient pas le pouvoir de rendre opposables leurs déci-sions et, quand ils s’efforcèrent de les mettre en œuvre alors qu’elles étaient contraires aux intérêts des professionnels de santé ou de l’exécutif local, ceux-ci engagèrent des pour-suites judiciaires visant à limiter encore plus leurs pouvoirs. Ce qui n’empêche pas J. Morone d’affirmer que « l’incapacité des HSA à contrôler les coûts est moins impor-tante que le fait qu’ils aient contribué à transformer la manière dont les Américains pensent la politique de santé » (Morone, 1990).
Les limites de la représentation directe ou par des experts professionnalisés
Questionnés sur la manière dont ils se représentent l’action des organisations de patients dans la politique de la santé, les personnes interrogées répondent souvent qu’il s’agit de malades en cours de traite-ments ou de membres de leurs familles qui mènent des actions de terrain afin que les politiques et les pratiques de soins soient plus adaptées à leurs besoins. Cette vision d’une action de terrain n’est qu’en partie exacte car, aux plans fédéral et de l’État, ce sont le plus souvent des experts profession-nels, membres d’organisations bénévoles, qui agissent et s’expriment au nom des patients. Ce choix de représentation serait justifié du fait que ces porte-parole dis-posent d’une forte expertise dans la gestion du processus politique et sont donc jugés
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
143 N° 2, 2009
144 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
Échos d’ailleurs
plus aptes à contrer les arguments et les intérêts portés par les autres acteurs sociaux. Le mouvement féministe est ainsi passé d’un activisme de terrain dans les années 1970 à ce type de militantisme professionnalisé dans les années 1990 (Ruzek, Becker, 1999). De même, le débat sur la réforme Clinton concernant les services de santé a été dominé par « des groupes de militants compétents en matière de lobbying interne plutôt que par une mobilisation populaire » (Hoffman, 2003) et il en va de même concernant le processus de réforme en cours.
Ces différences dans les capacités de per-suasion des différents acteurs constituent un des facteurs décisifs de l’élaboration et des résultats des politiques publiques. Le fait que des malades soient représentés par des professionnels parlant en leur nom a des avantages permettant de dépasser les diffi-cultés d’implication directe des patients dans l’arène politique, notamment sur le plan de leur manque de ressources « cogni-tives ». Les groupes « subordonnés » sont en effet peu à l’aise pour parler de leurs pro-blèmes, voire ont parfois tendance à les présenter de manière inadaptée à leurs inté-rêts. Ils peuvent minimiser leurs capacités de persuasion et, pour ne pas être margina-lisés, avoir tendance à se rallier aux plus puissants. Les diverses corporations com-merciales et les associations professionnelles peuvent alors chercher à en profiter en leur fournissant des ressources financières ou de formation. En échange, elles peuvent en attendre un soutien en faveur de leurs « pro-duits » ou des politiques qu’elles préconisent. Si ces organisations acceptent de changer leurs priorités, elles risquent alors de perdre toute légitimité. Les associations font valoir que certains de ces engagements sont conformes à leurs objectifs spécifiques et ne les placent pas en situation de conflits d’inté-rêts. Mais le risque existe néanmoins de voir s’installer une méfiance sourde concernant leur légitimité à représenter l’opinion et l’intérêt des patients et peut limiter leur capacité à constituer un lobby efficace (Simon, 1999). Et même dans les cas où elles ne changeraient pas de positions ou de ligne de conduite, la seule perception de l’existence de conflits d’intérêts potentiels peut suffire à miner la confiance du public et des décideurs.
N° 2, 2009
Un moyen de résoudre cette difficulté consiste à utiliser des représentants capables de faire valoir les points de vue de façon indépendante et forte. Mais il est important là aussi de reconnaître les limites de ce mode de représentation. Berry et Arons font remarquer que dans le domaine de la santé, comme dans d’autres secteurs, la représen-tation des personnes défavorisées est majo-ritairement issue d’associations du secteur bénévole (Berry, Arons, 2005). Plusieurs changements législatifs – particulièrement dans les années 1960 – ont permis d’aug-menter de façon significative la confiance du gouvernement en la capacité de ces asso-ciations à fournir un ensemble de services médicaux et sociaux aux pauvres. Ainsi, une grande partie de la mise en œuvre des pro-grammes deWelfarereposent sur leurs épaules. Dans les années 1990, durant les-quelles le programmeMedicaida transformé son mode de remboursement pour l’adap-ter à celui desManaged Care, elles ont su critiquer les nouvelles politiques des états qui entraient en conflits avec l’intérêt des patients alors même que leur existence dépendait largement des subsides des déci-deurs politiques (Grogan, Gusmano, 2007). Mais il existe aussi de nombreuses limita-tions de ce type de représentation. Dans le Connecticut, beaucoup de ces associations, dans le cadre d’un programme de soins de Medicaid, ont été incitées à entrer en com-pétition avec des organisations à but lucratif. Les motivations de ces organisations comme leur légitimité en tant que représentantes des démunis ont alors été remises en question par des officiels de l’État. Qui plus est, certaines de ces organisations ont freiné la poursuite d’objectifs de peur que des conflits d’intérêt – réels et perceptibles – ne viennent entamer leur crédibilité et leur efficience. Bien que la structure particu-lière de la politique de réforme deMedicaid (et de ses non-dits idéologiques) aient été la cause principale de ces difficultés, cet exemple souligne à quel point le fait de ne compter que sur des tierces parties pour représenter les points de vue des patients dans les débats de politiques publiques pose problème.
Mais cette possibilité de conflits d’inté-rêt, voire de collusion, est encore plus forte dans l’industrie qui a parfois réussi à créer
Échos d’ailleurs
des « associations écrans ». Sans aller jusqu’à cette extrémité, le seul fait, pour une asso-ciation représentant des malades, d’accepter des subsides de l’industrie peut aboutir à une situation « faustienne » (Moynihan, Cassels, 2005). Le cas de Rose Kushner, journaliste et éminente activiste dans le domaine du cancer du sein, en fournit un exemple emblématique. Au début des années 1970, elle a mené une campagne pour stopper la mastectomie radicale prônée par Halsted ; puis dans les années 1980, elle s’est intéressée au cas des femmes pré ménopausées et atteintes d’un cancer du sein métastasé. Critiquant les trai-tements castrateurs chirurgicaux, elle a recommandé la chimiothérapie classique ainsi que l’usage d’une hormonothérapie par le tamoxifène dont l’efficacité a été reconnue par laFood and Drug Administration(FDA). Nombre d’oncologistes ont critiqué son inter-prétation des données épidémiologiques, estimant que ses écrits pouvaient décourager des femmes à bénéficier aussi d’une chimio-thérapie adjuvante. Une pareille situation ne serait guère possible aujourd’hui : elle serait considéré comme très discutable etinterpré-tée comme le signe de l’influence de l’industrie pharmaceutique sur les groupes défendant les intérêts de patients (Lerner, 2007).
Une alternative au parrainage par l’indus-trie est le soutien par des fonds publics. Dans certains états, l’exécutif a tenté de créer une infrastructure qui faciliterait la coopération entre groupes de défense des malades. Par exemple, le réseauStatewide Consumer Networks(SCN) destiné aux patients atteints de troubles mentaux a été mis en place avec succès. Des approches similaires peuvent encourager un plus large éventail de patients à participer au progrès de la politique (Miller, Moore, 2009).
Conclusion : quelle influence des patients sur la politique de santé et les pratiques ?
Alors que jusqu’à la fin des années 1960, la plupart des décideurs politiques et des pro-fessionnels de santé étaient d’avis que les patients ne devaient pas intervenir dans l’élaboration des politiques de santé et les pratiques de soins, qu’ils puissent aujour-d’hui avoir voix au chapitre est une opinion largement admise (Rodwin, 2003). Rothman
affirme qu’ils prennent très largement leur part dans la décision de traitements (Rothman, 2001) et de nombreux exemples illustrent leur influence. Les membres de HIV/AIDES ont contraint la FDA à adop-ter des changements importants dans les procédures de mise sur le marché des médi-caments. Les activistes du cancer du sein ont contribué faire évoluer les priorités du gouvernement fédéral en matière de recherche et de traitement. Que les patients jouissent à présent de meilleurs droits légaux et que leur voix soit plus écoutée grâce à leurs porte-parole ne fait aucun doute. Mais si la mobilisation des patients a contribué, surtout depuis les années 1960, à transformer les politiques de santé aux États-Unis, elle continue à affronter les cri-tiques des instances des professionnels de santé, des assureurs, des firmes technolo-giques et des laboratoires pharmaceutiques. Tous partisans d’un marché libre, ils béné-ficient d’importants moyens financiers et d’entregent politique pour faire valoir leurs positions. Ils préfèrent que ce soit le pouvoir des consommateurs qui augmente et que ceux-ci se substituent aux défenseurs des malades. Bien que les associations ne soient pas opposées par principe à ce que les consommateurs participent à la gouver-nance du système de santé, les porte-parole des malades atteints de maladies chroniques s’inquiètent de ce que le point de vue des consommateurs puisse l’emporter sur la nécessité d’être plus à l’écoute des besoins des malades.
De plus, même lorsque les réglementa-tions l’exigent, les professionnels de santé ne respectent pas toujours le point de vue des patients. Les soins palliatifs en fournissent un bon exemple dans le domaine du non achar-nement thérapeutique. Ainsi, un médecin qui voulait nourrir par sonde un homme en phase terminale à la suite d’une attaque cérébrale a agressé verbalement sa conjointe qui lui transmettait l’opposition de son mari à ce traitement ; il refusait en disant : « Je ne peux pas laisser un malade mourir de faim » (Brody, 2009). Il en va de même duPacte Self Determination Actadopté en 1990 qui fait obligation aux institutions médicales d’informer les patients sur les lois dont le but est de rétablir « le pouvoir et le contrôle du patient et des siens ». Il exige que le point
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
145 N° 2, 2009
146 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
Échos d’ailleurs
de vue des patients concernant les décisions éventuelles à prendre en matière de traite-ments soit systématiquement répertorié, obligation qui n’est pas souvent suivie d’effet (Norman, 2009).
Le débat actuel aux États-Unis sur la réforme du système de santé met aussi en lumière le rôle limité des défenseurs des patients à influer sur la politique de santé américaine du fait, notamment, de la non existence d’un mouvement capable de fédé-rer les points de vue des patients et des consommateurs en la matière. Tant que le gouvernement ne soutiendra pas véritable-ment le développement de réseaux d’asso-ciations de patients ou n’instituera pas de nouveaux mécanismes pour aider les groupes de patients à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent dans les arènes politiques, la voix des patients restera « un remède
négligeable » de la rénovation de la politique des soins de santé (Rodwin, 1997). Nancy Tomes prétend même que leurs droits ont diminué durant les dernières décades car les détenteurs d’enjeux puissants (compagnies d’assurance, firmes de technologies, labora-toires pharmaceutiques) disposent de fonds suffisants pour influencer de manière domi-nante les politiques de santé en leur faveur. David Mechanic doute que l’action des défenseurs des patients ait permis de dimi-nuer le pouvoir des professionnels de la santé, les médecins s’estimant toujours les seuls à « définir ce qui caractérise le proces-sus morbide et dire comment agir en consé-quence ». Surmonter les résistances par une meilleure intégration des points de vue des patients dans l’élaboration des politiques et des pratiques de soins risque de demeurer encore longtemps difficile.
Bibliographie Bernstein R. (2006). “A Seat at the Table: Trend or an Illusion?”,Health Affairs, 25 (3) : 730-733. Berry J., Arons D.F. (2005).A Voice for nonprofits, Washington, DC, Brookings Institution Press, 224 p. Braun S. (2001). “The History of Breast Cancer Advocacy”,The Breast Journal: S101-, 9 (s2) S103. Brody J.E. (2009). “End-of-Life Issues Need to be Addressed”,New York Times: D7., August 18 Brower V. (2005). “The Squeaky Wheel Gets the Grease”,EMBO Reports: 1014-1017., 6 (11) Dresser R. (2001).Address Presented at Installation Ceremony, Washington University, St. Louis, November 16. Epstein S. (1996). Impure Science: AIDS, Activism and the Politics of Knowledge, Berkeley, University of California Press, 480 p. Evans C.J., McGaha A.C. (1998). “A survey of mental health consumers’ and family mem-bers’ involvement in advocacy”,Community Mental Health Journal: 615-623., 34 (6) Fearon J.D. (1998). “Deliberation as Discussion”,inElster J. (éd.),Deliberative Democracy, New York, Cambridge University Press, 19-43. Foulks E. (2000). “Advocating for Persons Who are Mentally Ill: A History of Mutual Empowerment of Patients and Profession”,Administration and Policy in Mental Health, 27 (5) : 353-367. Grogan C.M., Gusmano M.K. (2007). Healthy Voices/Unhealthy Silence: Advocacy and Health Policy for the Poor, Washington (DC), Georgetown University Press. Gusmano M.K., Fairbrother G., Park H. (2002). “Exploring the Limits of the Safety-Net: Community Health Centers and Care for the Uninsured”,Health Affairs: 188-194., 21 (6) Gutmann A., Thompson D. (1999). “Democratic Disagreement”,inMacedo S. (éd.),Delib-erative Politics: Essays on Democracy and Disagreement, New York, Oxford University Press, 243-280. Halpern S.A. (2004). “Medical Authority and the Culture of Rights”,Journal of Health Politics, Policy and Law, 29 (4-5) : 835-852.
N° 2, 2009
Échos d’ailleurs
Hoffman B. (2003). “Health Care Reform and Social Movements in the United States”, American Journal of Public Health, 93 : 75-85. Lerner B. (2007). “Ill Patient, Public Activist: Rose Kushner’s Attack on Breast Cancer Chemotherapy”,Bulletin of the History of Medicine, 81 : 224-240. Miller L.D., Moore L.R. (2009). “State Mental Health Policy: Developing Statewide Consumer Networks”,Psychiatric Services: 291-293., 60 Morone J.A. (1990).The Democratic Wish: Popular Participation and the limits of American Government, New York, Basic Books. Moynihan R., Cassels A. (2005).Selling Sickness: How the World’s Biggest Pharmaceutical Companies are Turning Us All into Patients, Vancouver/Toronto, Greystone Books. Norman T. (2009). “End-of Life experts Call ‘Death Panel’ Claims ‘Lies’”,CQ HealthBeat, August 21. Ozarin L. (2001). “Pioneer for Patient’s Rights”,Psychiatric News: 40., 36 (23) Petersen-Perlman N. (2007). “Mental Health Parity Bill Gains Steam in Congress”,Star Tribune, November 1. Riter B. (2009).“History of Breast Cancer Advocacy Movement” En ligne : <http://www.crcfl.net/content/view/history-of-breast-cancer-advocacy.html>. Rodwin M.A. (1994). “Patient Accountability and Quality of Care: Lessons from Medical Consumerism and the Patients’ Rights, Women’s Health and Disability Rights Movements”,American Journal of Law and Medicine: 147-167., XX (1-2) Rodwin M.A. (1997). “The Neglected Remedy: Strengthening Consumer Voice in Managed Care”,The American Prospect: 45-50., 34 Rodwin M.A. (2003). “The Dark Side of a Consumer-Driven Health System”,Frontiers in Health Services Management, 19 (4) : 31-34. Rothman D. (2001). “The Origins and Consequences of Patient Autonomy: A 25-Year Retrospective”,Health Care Analysis: 255-264., 9 Ruzek S.B., Becker J. (1999). “The Women’s Health Movement in the United States: From Grass-Roots Activism to Professional Agendas”,Journal of the American Medical Women’s Association, 54 (4-8) : 40. Sardell A. (1988).The U.S. Experiment in Social Medicine: The Community Health Center Program, 1965-1986, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press. Simon W.H. (1999). “Three Limitations of Deliberative Democracy: Identity Politics, Bad Faith, and Indeterminacy”,inMacedo S. (éd.),Deliberative politics: Essays on democracy and disagreement, New York, Oxford University Press, 49-57. Starr P. (1984).The Social Transformation of American Medicine, New York, Basic Books. Sunstein C.R. (2003).Why Societies Need Dissent?, Cambridge (MA), Harvard University Press. Young I.M. (2000).Inclusion and Democracy, Oxford, Oxford University Press.
Jurisprudence Canterbury v. Spence, 464 F. 2d 772 (D.C. Cir. 1972), cert denied, 409 U.S. 1064 (1972) ; Salgo v. Leland Stanford Jr. Univ. Bd. Of Trustees, 317 P.2d 1093 (Cal. Dist.Ct. App. 1960) ; Natanson v. Kline, 350 P.2d 1093 (Kan. 1960). Cruzan v. Director Missouri Dept. of Health, 497 U.S. 261 (1990) ; Superintendent of Belchertown State Sch. v. Saikewicz, 370 N.E.2d. 417 (Mass. 1977) ; In re Karen Quinlan, 355 A.2d. 647 (N.J.) cert denied, 429 U.S. 922 (1976).
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
147 N° 2, 2009
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents