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Les doubles appellations dans l'Histoire Ecclésiastique d'Orderic Vital et la christianisation des noms de baptême aux 11e et 12e siècles

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Publié par
Publié le 18 mars 2013
Nombre de lectures 74
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Extrait

Pierre Yves Quémener



A situation nouvelle
nom nouveau







Les doubles appellations dans l’Histoire
Ecclésiastique d’Orderic Vital et la christianisation
e edes noms de baptême aux 11 et 12 siècles


2013



































« Les noms propres perdent leur sens s’il leur arrive
de s’éloigner de leur perfection »
(Lettre de Roscelin à Abélard, vers 1120)
2 Introduction
















Pourquoi nomme-t-on ? Pour identifier bien sûr. Mais chacun sait aussi par sa propre
expérience que ce n’est pas que cela. Un nom n’est pas un numéro, nous le chargeons de nos
espoirs, de nos idéaux, de notre passé ou de ce que nous aurions aimé être. La démarche n’est
pas nouvelle et les noms peuvent ainsi nous en dire long sur les espoirs de ceux qui les ont
autrefois portés ou choisis.

Les premiers siècles du second millénaire sont à cet égard assez révélateurs des
transformations importantes des sociétés occidentales. Partout en Europe, les populations
adoptent peu à peu des noms chrétiens, avec cependant une préférence affirmée dans la
plupart des régions pour les noms de saints du Nouveau Testament. Le répertoire onomastique
e
va ainsi se christianiser sans bruit et sans pression jusqu’au 16 siècle avant qu’il subisse les
remous des réformes protestantes et catholiques.

e eLes 11 et 12 siècles sont par ailleurs marqués par un phénomène assez étrange qui est
celui de la binomie ou double appellation. Nombreux en effet sont les individus de cette
époque à être connus sous deux noms propres, mentionnés quelquefois conjointement mais
bien souvent séparément, signe d’une perception du nom vraisemblablement différente de la
nôtre, sans doute plus complexe mais aussi plus élargie.

L’Histoire Ecclésiastique d’Orderic Vital, composée dans les années 1114-1141 au
monastère normand de Saint-Evroult, va nous permettre d’aborder ce phénomène d’une
manière particulièrement intéressante. Cette œuvre considérable, qui relate principalement
el’histoire de la Normandie du règne de Guillaume le Conquérant au milieu du 12 siècle,
constitue un réservoir onomastique de première importance si l’on en juge par le volume de
son index des noms de personnes, qui ne couvre pas moins de deux cent trente pages, soit
plusieurs milliers de noms d’hommes et de femmes, issus tant de l’aristocratie que du milieu
monastique. Par ailleurs, à la différence des cartulaires, très riches quantitativement mais
souvent avares de renseignements personnels, la chronique d’Orderic Vital nous décrit
fréquemment la composition des familles et nous apporte à plusieurs reprises des
commentaires particulièrement intéressants sur l’origine des appellations utilisées. En dépit
des multiples erreurs de faits ou de dates, son œuvre constitue ainsi un témoignage
exceptionnel des mœurs et des mentalités de son époque.

3 On y trouve une quarantaine de doubles appellations. Ce chiffre est peu élevé en
regard des milliers de noms cités par Orderic mais il est néanmoins suffisant pour
appréhender les principaux tenants et aboutissants de notre problématique. Nous chercherons
à comprendre ce qui a pu motiver l’attribution de plusieurs noms à un même individu : les
deux noms ont-ils été attribués simultanément ou s’agit-il de plusieurs attributions à des temps
différents ? Le cas échéant, nous essaierons d’en préciser les circonstances et les motivations.
Est-ce que les différents noms se situent sur un même registre onomastique ? Les porteurs
relèvent-ils d’un profil social particulier ou avons-nous affaire à un phénomène qui touche
toutes les catégories de la population ?

L’analyse de ces doubles appellations va tout naturellement nous engager dans une
e e
réflexion plus large sur la christianisation des noms de baptême aux 11 et 12 siècles. Par
quel(s) processus cette évolution majeure de l’anthroponymie occidentale a-t-elle pu être
menée à terme ? Nous nous intéresserons ici à la manière dont Orderic Vital évoque la
question du baptême et celle du parrainage afin de voir dans quelle mesure ces pratiques ont
pu influencer les choix de prénomination. Peut-on dire que la christianisation du répertoire
onomastique est le pendant d’une christianisation de la population et, plus spécifiquement,
est-ce que les choix effectués reflètent la popularité ou la vitalité du culte des saints
concernés ?

Cette courte étude n’a pas la prétention d’apporter des réponses définitives à toutes ces
questions. A partir de l’œuvre d’Orderic Vital, elle vise simplement à apporter un éclairage
parmi d’autres sur la manière dont notre société s’est construite.



Guillaume de Jumièges remet son manuscrit à Guillaume le Conquérant
e
(copie de la main d’Orderic Vital, 12 siècle, BM Rouen)
4



Première partie : Eléments d’anthroponymie
médiévale



Né an Angleterre en 1075 d’un père français et d’une mère anglaise, Orderic est dès
l’âge de dix ans confié par son père au monastère normand de Saint-Evroult dans le pays
d’Ouche. C’est là qu’il reçoit son nouveau nom, Vital, dans des circonstances que nous
préciserons plus tard.

En 1114, à la demande de son abbé, il entreprend d’écrire une histoire du monastère,
e
fondé d’après la tradition au 7 siècle par saint Evroult puis restauré vers 1050 par deux
familles de la moyenne aristocratie normande, les Giroie et les Grandmesnil. Peu à peu la
perspective s’élargit au point de s’étendre finalement à une histoire générale de la Chrétienté
depuis les origines. En son état définitif, l’Histoire Ecclésiastique d’Orderic Vital se compose
de treize livres dont le contenu peut se répartir comme suit :

• Livres 1 à 2 Chronique universelle de l’an 1 à 1142
• Livres 3 à 5 Expéditions normandes en Angleterre et en Italie (de 1050
environ à 1080)
• Livre 6 Histoire de l’abbaye de Saint-Evroult
• Livres 7 à 13 Histoire du monde chrétien de 1080 à 1140

Le texte original a été publié en cinq volumes par Auguste Le Prévost de 1838 à 1855
sous le titre Orderici Vitalis Historiae ecclesiasticae libri tredecim. Dans cette étude, les
références à cet ouvrage seront abrégées de la façon suivante : HE 2,236 pour Historia
Ecclesiastica, tome 2, page 236. Léopold Delisle a rédigé pour le cinquième volume de cette
édition une Notice sur Orderic Vital très complète et bien documentée (pages I – CVI).

L’œuvre d’Orderic avait été traduite en français par Louis de Bois dès 1825 et publiée
en quatre volumes par François Guizot dans la Collection des Mémoires relatifs à l’histoire de
France sous le titre un peu réducteur d’Histoire de Normandie (HN en abrégé dans cette
1étude).

A quelques exceptions près, tous les personnages cités dans ce travail sont mentionnés
dans les livres 3 à 13 de l’Histoire Ecclésiastique. Il s’agit donc d’hommes et de femmes nés
e eau 11 siècle ou dans la première moitié du 12 siècle.



1
Les textes latins et français sont accessibles en ligne sur Gallica ou sur d’autres sites. Sur la vie et l’œuvre
d’Orderic Vital, on pourra consulter également « L’horizon géographique, moral et intellectuel d’Orderic Vital »
par LUCIEN MUSSET dans La Chronique et l’histoire au Moyen Age, 1984, p. 101-122 ; « Orderic Vital, lecteur
e ecritique de Guillaume de Poitiers » par PIERRE BOUET dans Mediavalia christiana (11 – 1

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