Aceh et les lectures de l'histoire - article ; n°1 ; vol.64, pg 181-198

Claude Guillot

Description

Archipel - Année 2002 - Volume 64 - Numéro 1 - Pages 181-198
Claude Guillot
Aceh's present critical situation has recently prompted the publication of a number of books. This short article endeavours to compare the memory of Aceh's past as preserved by the authors of these books with the history of the region as we know it. By pointing to the basic discrepancy between historical reality and its perception, this comparison may help to better understand the difficulties met by the people of Aceh when contemplating their own future in a concrete way.
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: ARCHIPEL0
• Publié le: 01 janvier 2002
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Extrait

Claude Guillot
Aceh et les lectures de l'histoire
In: Archipel. Volume 64, 2002. pp. 181-198.
Abstract
Claude Guillot
Aceh's present critical situation has recently prompted the publication of a number of books. This short article endeavours to
compare the memory of Aceh's past as preserved by the authors of these books with the history of the region as we know it. By
pointing to the basic discrepancy between historical reality and its perception, this comparison may help to better understand the
difficulties met by the people of Aceh when contemplating their own future in a concrete way.
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Guillot Claude. Aceh et les lectures de l'histoire. In: Archipel. Volume 64, 2002. pp. 181-198.
doi : 10.3406/arch.2002.3733
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arch_0044-8613_2002_num_64_1_3733REGIONALISME
Claude Guillot
Aceh et les lectures de l'histoire
Depuis 1976, date commode correspondant à la «Proclamation de l'ind
épendance d'Aceh» par Hasan Muhammad TiroO), existe dans la population
acihaise une aspiration séparatiste qui a pris au cours des dernières années
écoulées une ampleur jusque là jamais atteinte. Le même courant centrifuge
se retrouvait au même moment à Timor oriental et en Irian Jaya au point que
cette simultanéité a pu faire penser à certains observateurs qu'on assistait à
une désintégration de l'Indonésie à partir de la périphérie. On peut soutenir
avec autant d'arguments, tous aussi convaincants, que ces trois mouvements
sont de nature identique ou au contraire fondamentalement différents. Par
manque de compétence, on ne prendra pas parti dans un tel débat qu'on lais
sera aux politologues. Si la question identitaire soulevée par les populations
d' Irian Jaya et de Timor oriental, incorporées tardivement dans l'ensemble
indonésien, se comprend assez aisément, il n'en va pas de même à propos
d'Aceh qui apparaît plutôt comme un des centres où s'est forgée la culture
indonésienne. Il m'a semblé qu'il ne serait pas inintéressant d'examiner ce
que tenants et opposants au séparatisme entendaient par « identité acihaise »
et à partir de quelles références historiques ils pouvaient définir celle-ci, cet
exercice pouvant éventuellement aider à une meilleure compréhension du
problème acihais.
L'étude des inscriptions islamiques d'Aceh qui exigeait de séjourner sur
place m'apparaissait comme une excellente occasion pour mener une brève
1. Tengku Hasan di Tiro, The Price of Freedom. The Unfinished Diary ofT. Hasan di Tiro,
stencil, 1984, p. 17.
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enquête auprès de différentes composantes de la population. Deux années de
suite, le projet ne put se réaliser en raison de la situation trop instable régnant
à Aceh. Une visite dans deux grandes librairies de la capitale m'incita à ten
ter l'expérience à partir des publications alors en vente. En effet, ce problè
me, majeur pour l'Indonésie, avait suscité la publication d'ouvrages assez
nombreux, représentant une grande diversité d'opinions et disponibles en
librairie grâce à la liberté d'expression régnant dans le pays depuis la fin de
l'Orde Baru. Douze livres étaient alors en vente (2), dont les auteurs allaient
du ministre d'État Susilo Bambang Yudhoyono pour la vision gouvernement
ale à des partisans affichés du séparatisme tels que Yusra Habib Abdul
Ghani, membre du mouvement de Hasan Tiro, ou Abu Jihad (pseudonyme
de Tgk Fauzi Hasbi Geudong) dirigeant du «Front Mujahidin Republik
Islam Aceh». À cette liste, furent ajoutés à Paris plusieurs textes non publiés
comme celui d'Otto Nur Abdullah sur l'affaire Bantaqiah (écrit en 2001 ?),
ou l'étonnant journal de Tengku Hasan di Tiro, The price of freedom. The
unfinished diary ofT. Hasan di Tiro, stencil, 1984, ainsi que quelques numér
os de la revue indépendantiste, Suara Aceh Merdeka, publiée par son mou
vement (3).
Certains de ces livres n'ont à première vue aucun rapport direct avec la
situation actuelle comme celui de Nazaruddin Sjamsuddin ouvrage universi
taire traitant de la «révolution physique» à Aceh ou comme les «Mémoires»
éditées de Teuku Mohamad Isa, nommé gouverneur de Sumatra par
2. Les ouvrages sont les suivants :
Teuku Mohamad Isa (éd.), Mr Teuku Moehamad Hasan. Dari Aceh ke Pemersatu Bangsa,
Jakarta, 1999.
Nazaruddin Sjamsuddin, Revolusi di Serambi Mekah, Perjuangan Kemerdekaan dan Perta-
rungan Politik di Aceh 1945-1949, Jakarta, 1998.
Daniel Dhakidae (éd.), Akar Permasalahan dan Alternatif Proses Penyelesaian Konflik,
Aceh, Jakarta, Papua, Jakarta 2001.
Amran Zamzami, Tragedi Anak Bangsa. Pembantaian Teungku Bantaqiah, Jakarta, 2001.
Tulus Widjanarko & Asep S. Sambodja (éds.), Aceh Merdeka Dalam Perdebatan, Jakarta,
1999.
Abu Jihad, Pemikiran-Pemikiran Hasan Tiro dalam Gerakan Aceh Merdeka, Jakarta, 2000.
Otto Syamsudin Ishak, Dari Maaf ke Panik. Aceh, Sebuah Sketsa Sosiologi-Politik, Jakarta,
2000.
M. Isa Sulaiman, Aceh Merdeka. Ideologi, Kepemimpinan dan Gerakan, Jakarta, 2000.
Yusra Habib Abdul Ghani, Mengapa Sumatera Menggugat, Jakarta, 2000.
Fikar W. Eda & S. Satya Dharma (eds.), Sebuah Kesaksian Aceh Menggugat, Jakarta, 1999.
—, Identifikasi Kebutuhan dan Keinginan Rakyat Aceh. Suara dari Aceh, Jakarta, 2001.
Susilo Bambang Yudhoyono, Aceh Perlu Keadilan, Kesejahteraan dan Keamanan, Jakarta,
2001.
Syarifudin Tippe, El-Hurr. Nurani Untuk Aceh, Banda Aceh, 2001.
3. Ces dernières publications m'ont été fournies par Jim Siegel que je remercie chaleureuse
ment ici.
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Soekarno. On a néanmoins jugé bon de ne pas les écarter dans la mesure où
le moment critique de leur parution n'a pas pu ne pas orienter le discours de
leurs auteurs ou «éditeurs».
On constate que, malgré leurs orientations très diverses et même oppo
sées pour certains, tous les auteurs de ces ouvrages sont convaincus de
l'existence d'une spécificité acihaise et qu'ils ont été en rechercher les fon
dements dans le passé, proche ou lointain. L'histoire est en effet abondam
ment sollicitée par toutes les parties comme garante du bien-fondé de leurs
prises de position respectives - en général peu argumentées - qu'il s'agisse
de justifier un particularisme régional ou une identité nationale. On ne
s'attardera pas ici sur cette démarche, commune à toute réflexion identitaire.
Plus digne d'intérêt, en revanche, paraît être la comparaison entre le passé tel
qu'il est perçu par ces auteurs et tel que le connaissent les historiens, moins
ou pas engagés dans les luttes partisanes du moment, dans la mesure où le
décalage entre mémoire et histoire pourrait peut-être expliquer les raisons
qui ont poussé les uns et les autres dans des camps différents.
Aceh et la mémoire
À la lecture de ce petit corpus, on constate tout d'abord que deux express
ions, apparemment des plus anodines, sont appliquées de façon récurrente à
Aceh : «Tanah rencong» et «Serambi Mekah». On pourrait certes considér
er que ces qualificatifs, affectionnés dans le Monde malais, n'ont guère de
signification et n'ont d'autre utilité que d'éviter des répétitions lassantes.
Ainsi en va-t-il pour l'Australie qu'aucun journaliste ne manquerait de quali
fier de «negeri kanguru». Cependant, dans le cas d'Aceh, les références aux
quelles renvoient les deux expressions n'ont rien d'insignifiant puisque la
première fait allusion à une arme et l'autre à l'islam. Or les deux traits
saillants, pour ne pas dire caricaturaux, de l'identité acihaise tels qu'ils appa
raissent dans ces ouvrages - et bien au-delà dans le public indonésien en
général - sont assurément la farouche ardeur à la lutte du peuple acihais et
son irréductibilité face à l'ennemi, ainsi que son attachement à la religion
musulmane qu'il estime beaucoup plus profond dans sa contrée que dans
n'importe quelle autre région des alentours.
Bien entendu, cette irréductibilité au combat trouve sa principale illustra
tion dans la longue résistance, si onéreuse en victimes, opposée par les
Acihais aux Hollandais après la brutale annexion par ces derniers du sultanat
aux Indes néerlandaises en 1874. De large