Apprendre vivre ensemble
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1 Apprendre à vivre ensemble
22/03/2007



APPRENDRE A VIVRE ENSEMBLE
Jean-François Mattei
Ancien ministre, Président de la Croix-Rouge française





Introduction

Notre société est sans doute la première à magnifier à ce point le
devoir de tolérance et de respect de la différence. Le racisme et la
xénophobie sont condamnés comme ils ne l’avaient jamais été dans le
passé et le principe de la liberté d’expression a été poussé à son niveau
maximal. Il y a de quoi être heureux et même fiers d’une telle évolution.

Pourtant, dans le même temps, deux observations s’imposent :
-D’abord, ce qui est valorisé dans les discours ambiants n’est pas
toujours suivi d’effets. Le devoir de respecter les valeurs et la dignité de
l’autre sont plus souvent affirmés solennellement que mis en œuvre
concrètement. Force est de constater que les hommes ont toujours
autant de mal à pratiquer ce qu’ils disent et à dire ce qu’ils pratiquent.
L’incantation est une chose, la réalité en est une autre. Sur de tels sujets
le décalage est source d’une grande ambigüité et souvent de malaise. 2 Apprendre à vivre ensemble
-Ensuite, la tolérance recouvre souvent une sorte de dépit. On
tolère finalement plus par lassitude que par souci de lutter contre ce qui
nous paraît contraire à la moralité. Tolérer l’autre, c’est souvent se
résoudre à ...

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1 Apprendre à vivre ensemble 22/03/2007 APPRENDRE A VIVRE ENSEMBLE Jean-François Mattei Ancien ministre, Président de la Croix-Rouge française Introduction Notre société est sans doute la première à magnifier à ce point le devoir de tolérance et de respect de la différence. Le racisme et la xénophobie sont condamnés comme ils ne l’avaient jamais été dans le passé et le principe de la liberté d’expression a été poussé à son niveau maximal. Il y a de quoi être heureux et même fiers d’une telle évolution. Pourtant, dans le même temps, deux observations s’imposent : -D’abord, ce qui est valorisé dans les discours ambiants n’est pas toujours suivi d’effets. Le devoir de respecter les valeurs et la dignité de l’autre sont plus souvent affirmés solennellement que mis en œuvre concrètement. Force est de constater que les hommes ont toujours autant de mal à pratiquer ce qu’ils disent et à dire ce qu’ils pratiquent. L’incantation est une chose, la réalité en est une autre. Sur de tels sujets le décalage est source d’une grande ambigüité et souvent de malaise. 2 Apprendre à vivre ensemble -Ensuite, la tolérance recouvre souvent une sorte de dépit. On tolère finalement plus par lassitude que par souci de lutter contre ce qui nous paraît contraire à la moralité. Tolérer l’autre, c’est souvent se résoudre à l’accepter tel qu’il est, bon gré, mal gré. Ce n’est pas l’aimer, c'est-à-dire le vouloir tel qu’il est. Comment une telle tolérance qui n’est qu’un autre nom de l’indifférence pourrait-elle concourir à la création d’un véritable vivre-ensemble ? La situation est-elle différente au sein des communautés spirituelles ? Les hommes de foi parviennent-ils mieux que leurs concitoyens éloignés de la religion, à créer un authentique lien de fraternité ? Il existe à Marseille une association originale répondant au nom de Marseille-Espérance et dont le Maire m’a confié la charge de l’accompagner. Je dis « originale » car elle regroupe les chefs religieux des principales religions pratiquées à Marseille. Sont ainsi réunis les catholiques, les protestants, les orthodoxes, l’église arménienne, les musulmans, les juifs et les bouddhistes. Ils se retrouvent chaque mois pour échanger, organiser des manifestations communes, colloques ou spectacles. Ils se rejoignent pour s’exprimer d’une même voix dans toute période difficile ou après tout événement susceptible de blesser les uns ou les autres : violation de sépulture, incendie de lieux de culte, assassinat insensé d’un enfant issu d’une communauté, attentats du 11 septembre, ou tout autre drame. Ils rappellent alors l’inconditionnelle dignité de la personne humaine et le respect qu’on lui doit. Née au moment de la guerre du Koweït, voilà quinze ans que Marseille- Espérance vit sa vie, trace son chemin. Les choses sont difficiles à 3 Apprendre à vivre ensemble définir : Marseille-Espérance n’est pas un lieu politique, pas un lieu de relation hiérarchique, pas un service municipal, ni même une association selon la loi 1901. C’est le résultat informel d’une même volonté qui vise à mieux se connaître pour mieux vivre ensemble et pour partager des valeurs communes autour de l’homme dans sa globalité, corps et esprit, autour de l’homme dans sa relation à Dieu, quel que soit son nom. D’autres municipalités, de France et de l’étranger sont venues nous visiter et ont tenté de reproduire une telle organisation. Jusqu’à présent sans succès. Il ne m’appartient pas de juger, ni d’en apprécier les raisons, bien sûr. Mais, dés qu’on élargit l’horizon, les faits nous contraignent à reconnaître que le principe universel de l’amour du prochain demeure souvent lettre morte. A tel point qu’on serait tenté de suivre Freud lorsqu’il écrivait que le précepte évangélique « aime ton prochain comme toi-même » était une maxime irréaliste, impropre à fonder une morale à échelle humaine. Chacun a pu constater qu’il s’en faut parfois de peu pour que la meilleure des relations ne tourne au rapport de forces. L’intensité du lien est la même, à ceci près qu’au lieu de nourrir l’amour, elle alimente la haine... La clé de cette disparité entre l’idéal et le réel, entre la grandeur des discours et la petitesse des pratiques, cette clé tient selon moi en un mot : altérité. Car même avec le plus proche d’entre les proches, nous faisons tôt ou tard la découverte que l’autre est vraiment un autre et non pas un prolongement de soi-même. L’altérité, c’est le fait que l’autre n’est pas un autre moi mais un autre que moi. Et ce fait n’a rien d’anormal. C’est le contraire qui serait surprenant. Pour comprendre l’impossibilité que l’autre soit un « alter 4 Apprendre à vivre ensemble ego », il suffit de songer un instant aux innombrables paramètres qui concourent à façonner nos identités respectives, du passé familial au mode d’éducation, en passant par la culture religieuse ou les épisodes qui ont marqué nos histoires singulières. Personne ne sera jamais le miroir d’un autre, pas même de vrais jumeaux que la vie finit par faire diverger en intercalant d’irréductibles différences. Découvrir l’altérité de l’autre, c’est prendre conscience que vivre ensemble ne va pas de soi. C’est un motif toujours renouvelé de déconvenue, pour chacun d’entre nous, pour les couples, pour les membres d’associations, pour les frères d’une communauté, voire pour les meilleurs amis du monde. Alors qu’il me semblait être en accord sur tous les points avec autrui, je découvre des différences qui troublent notre parfaite entente… Je m’aperçois, au détour d’une conversation, qu’il déteste un artiste que j’admire, que l’exposition de peinture qui m’a laissé la plus fâcheuse impression fut pour lui une source d’enchantement, que son inclination le porte vers un autre candidat que celui de mon choix, par exemple. Ce peut être alors l’incompréhension, l’amertume, la déception. Dans le lien d’amitié, la situation peut aller, parfois, jusqu’à la rupture complète de la relation lorsque des divergences nous séparent sur des questions de politique ou d’éthique qui nous tiennent trop à cœur et sont ancrées au plus profond de nous. Ainsi, nous avons beau ressasser nos devoirs de « respecter les différences », de « tolérer » l’opinion des autres, nous avons beau nous répéter que « des goûts et des couleurs on ne discute pas », il 5 Apprendre à vivre ensemble n’empêche : nous pouvons être blessés, déçus et quelquefois même prêts à réagir par la colère face à la révélation de l’altérité. En un instant, la vivacité des émotions peut transformer nos valeurs en coquilles vides et nos principes éthiques en abstractions sans contenu. La question est alors de savoir si nous sommes vraiment démunis face à de telles déconvenues ? Je ne le crois pas pour peu que nous sachions les anticiper au moyen de la réflexion. Nous avons toujours le pouvoir de nous questionner, comme nous le faisons aujourd'hui : comment nous accorder en dépit de la découverte de notre altérité ? Comment faire pour que la différence de l’autre ne soit pas vécue comme un appauvrissement de notre relation à lui ? Peut-on aller jusqu’à concevoir cette différence comme une richesse ? On connaît à ce sujet la fameuse parole que Saint-Exupéry fait prononcer à son « petit prince » : « si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis ». La force de cette formule nous interroge : comment peut-on arriver à voir dans la différence de l’autre une source personnelle d’enrichissement ? On comprend bien que lorsque l’autre m’apporte des compléments d’information, des éclairages nouveaux qui me faisaient défaut sur une question, la différence de son point de vue est un enrichissement pour le mien. Il est certain que l’autre m’enrichit en rectifiant mon erreur d’appréciation et je lui en suis volontiers reconnaissant. Mais qu’en est-il lorsque nous n’avons pas les mêmes croyances ? Quand nos points de vue se heurtent frontalement ? Faudrait-il renoncer à ses convictions personnelles pour arriver à considérer la différence de l’autre comme un enrichissement pour soi ? 6 Apprendre à vivre ensemble Pour aborder ce type de problématique, il n’est jamais superflu de revenir aux sources, de s’interroger sur ce qu’en pensaient les premiers philosophes qui y consacraient une bonne part de leurs méditations. C’est pourquoi j’aimerais aborder cette question de l’être-ensemble, en prenant pour fil conducteur quelques éléments empruntés à la pensée des philosophes de la Grèce antique. Les grands penseurs d’hier, ceux qui ont jeté les bases de notre culture, nous ont légué des matériaux de réflexion précieux sur l’altérité et le travail d’apprentissage pour une vie en commun. On constate, en consultant leurs écrits, que la question de savoir comment apprendre à vivre ensemble n’était pas dissociable de ce qu’ils appelaient l’acquisition de la vertu. Je voudrais vous proposer de réfléchir, d’abord, sur les conditions du vivre ensemble et, ensuite, sur l’apprentissage du vivre ensemble. 1) Les conditions du vivre-ensemble. L’idée maîtresse des philosophes grecs, c’est qu’on peut changer sa manière d’agir si l’on modifie sa façon de penser. Pour pacifier nos relations avec les autres, il faut d’abord pacifier notre esprit. Instaurons la paix dans nos pensées pour pouvoir la faire naître dans la réalité. Instaurer la paix dans nos pensées, c’est hiérarchiser nos priorités, nous demander ce que nous voulons faire de notre vie. Qu’est-ce qui est essentiel pour moi ? Est-ce avoir du pouvoir, gagner de l’argent, domin
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