Automation et crise de la société de travail - article ; n°1 ; vol.30, pg 7-24

André Gorz

Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1985 - Volume 30 - Numéro 1 - Pages 7-24
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: LES_CAHIERS_DU_GRIF
• Publié le: 01 janvier 1985
• Nombre de lectures: 45
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

André Gorz
Automation et crise de la société de travail
In: Les Cahiers du GRIF, N. 30, 1985. Nouvelle pauvreté nouvelle société. pp. 7-24.
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Gorz André. Automation et crise de la société de travail. In: Les Cahiers du GRIF, N. 30, 1985. Nouvelle pauvreté nouvelle
société. pp. 7-24.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1985_num_30_1_1647Automation et crise
de la société de travail
André Gorz
Nos sociétés sont actuellement travaillées par une
double mutation :
D'une part, le travail direct est éliminé du processus
de production social avec une rapidité qui est le plus
souvent sous-estimée tant à gauche qu'à droite.
D'autre part, depuis une dizaine d'années, le travail
cesse d'être le centre de gravité dans la vie d'une pro
portion croissante de gens.
Les deux aspects de cette double mutation sont sans
lien direct l'un avec l'autre. Mais ils concourent à ce que
des sociologues allemands et britanniques ont analysé
comme « la fin de la société de travail »* « l'effondr
ement de l'éthique du travail » : c'est tout le système des
identités et des hiérarchies sociales fondées sur le travail
qui se désintègre. Il en résulte une crise tout à la fois
sociale et économique, morale et politique.
Je traiterai ces deux aspects successivement, en com
mençant par quelques données économiques. Il est im
portant de montrer, en effet, que la crise de la société de
travail et du travail socialement déterminé n'est pas
simplement un phénomène conjoncturel qu'une
« bonne » politique de l'emploi pourrait conjurer. Cette
crise est d'abord un processus historique porté par une
mutation technologique de longue portée.
1. Révolution
technologique et
emploi Voici tout d'abord ce qu'écrit un auteur américain, Pat
Choate, principal analyste écconomique du groupe in
dustriel T.R.W. Inc. et ancien administrateur régional de Y Economie Development Administration, dont il a aussi
dirigé le service de recherches économiques :
1. « L'actuelle mutation technologique promet de transthe American Pat Choate, Work « Retooling Force »,
former l'économie et la société américaine au moins Northeast-Midwest Institute,
autant que la révolution industrielle de la fin du 19e et 1982, reproduit dans Impact,
périodique des Services d'In du début du 20e siècles. La robotisation accomplira dans
formation des ambassades
l'ensemble de l'industrie ce que la mécanisation a acaméricaines, 1983/1. Voir
compli dans l'agriculture. Elle ne sera pas limitée à aussi Michel Melnikoff, pro
fesseur à l'Université de Cali l'industrie. Les banques, assurances, transports et comfornie à Los Angeles, « Les
munications commencent seulement à introduire des Applications de l'informatique
auront des conséquences incal technologies avancées qui révolutionneront les activités
culables sur la situation de de service et y élimineront des millions d'emplois. La l'emploi dans les quinze pro
rapidité et la force de cette mutation seront terrifianchaines années », dans Les
Echos, 7 février 1982. tes '. »
De même que la plupart des économistes de terrain,
Pat Choate rejette l'argument macro-économique selon
lequel la révolution technologique actuelle finira, comme
celles du passé, par engendrer plus d'emplois qu'elle n'en
supprime dans un premier temps. La mutation actuelle,
en effet, se distingue des précédentes tant par sa rapidité
que par la largeur du front sur lequel elle avance.
L'automatisation ne s'effectue pas seulement dans la
production matérielle proprement dite mais aussi dans
les activités en amont et en aval que la rationalisation de
la industrielle avait fait croître très fortement
dans le passé : études, conception et design, gestion des
stocks, expédition et commercialisation sont, tout
comme la formation et les soins médicaux, en voie
d'automatisation et d'informatisation. A elle seule, l'i
ntroduction de la monnaie électronique peut réduire de
25 % les effectifs employés dans le commerce de détail.
Selon Peter F. Drucker, l'un des conseils en gestion les
plus renommés des Etats-Unis, le nombre d'emplois dans
l'industrie américaine diminuera de 10 à 15 millions d'ici
à la fin du siècle et la population active dans l'industrie
tombera de 21 % actuellement à moins de 10 %. Simulta
nément, « un nombre au moins égal d'emplois seront
supprimés dans le secteur tertiaire ».
8 Au total, c'est la suppression de 20 à 30 millions
d'emplois qui est ainsi prédite pour les Etats-Unis,
c'est-à-dire 20 à 30 % du total des emplois actuels.
Compte tenu des 10 % de chômeurs actuels, le taux de
chômage à envisager pour la fin du siècle serait donc de
30 à 40 % auxquels il convient d'ajouter 5 à 10 % dus à
la démographie et/ou à la croissance de l'offre de travail
de la part de la population féminine.
On aurait tort de chercher à se rassurer en tenant ces
évaluations pour excessives et non transposables à
2. Evaluations citées dans l'Europe. D'Allemagne fédérale, l'un des rares pays M. Bolle et P. Grotian (éd.),
européens à posséder d'excellents instituts indépendants Arbeit schaffen-jetzt!, Rowohlt,
1983. Les prévisions de croisd'observation et de prévision économique, des évalua
sance sont optimistes de l'aveu tions convergentes nous sont fournies sur la base des même des auteurs, les prévi
données macro-économiques suivantes pour la période sions d'accroissement de la
1983-20002 : productivité modérées.
a) Croissance annuelle moyenne de la production
marchande : 2 à 2,5 %.
b) Accroissement annuel de la productivité du tra
vail : 3 à 3,5 %.
c) Baisse annuelle de la quantité de travail demandée
(a-b) : 1 à 1,5 %, soit pour la période 1983-2000 :
17 à 25,5 %.
d) Evolution de la quantité de travail offerte : + 5 à
10 % dus à la démographie et/ou à l'offre de travail
féminin et à l'exode rural.
e) Taux de chômage en 1983 : 8 % (Allemagne fédé
rale) à 16,5 % (Espagne).
f) Taux de chômage prévisible en l'absence d'une
réduction programmée de la durée du travail :
(c + d + e = ) 30 à 52 % en l'an 2000.
Le chiffre de 52 % est vraisemblablement trop élevé,
car toutes les grandeurs de la fourchette haute des
estimations ne s'additionnent pas. Il n'en est pas moins
remarquable qu'on retrouve pour l'Europe occidentale
un taux de chômage prévisible très proche de celui des
Etats-Unis. Ce même taux de plus de 30 % à 40 % se
retrouve dans les prévisions du M.I.T.I. (Ministère de
l'industrie et du commerce extérieur) pour le Japon, .
qu'on tienne compte du fait que le nombre des pourvu
chômeurs réels y est deux fois plus élevé que celui des recensés. .
Le parallélisme des évolutions en Europe et aux
Etats-Unis peut enfin être apprécié grâce aux données
suivantes : d'après le service des recherches économiques
du syndicat américain des ouvriers de l'automobile
(U.A.W.), 250 000 emplois ont été supprimés entre 1978
et 1981 dans l'industrie automobile américaine, soit un
quart du total. De 1981 à 1985, près d'un tiers des
emplois restants, soit 225 000, seront définitivement
3. Daniel Luria, « Technol supprimés à leur tour. L'industrie automobile américaine
ogy, Employment and the Fac sera alors capable de fournir une production accrue avec tory of the Future »» Auto-
fact III, Detroit, 1982. des effectifs réduits de moitié par rapport à 1978 V
On peut comparer ces chiffres avec ceux fournis par
le président de Renault dans le Monde du 31 août 1983 :
Renault produit actuellement avec 45 heures de travail
le même nombre de voitures pour lequel il lui fallait
100 heures de travail il y a huit ans. Et le président de
la firme ajoute : « C'est là une évolution historique
lourde qui va continuer. »
2. Conséquences
socio-politiques Cette évolution nous place devant l'alternative sui
vante :