Critères de vérité. Leurs conséquences pour la linguistique - article ; n°89 ; vol.23, pg 51-64
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Description

Langages - Année 1988 - Volume 23 - Numéro 89 - Pages 51-64
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 60
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Witold Manczak
Critères de vérité. Leurs conséquences pour la linguistique
In: Langages, 23e année, n°89, 1988. pp. 51-64.
Citer ce document / Cite this document :
Manczak Witold. Critères de vérité. Leurs conséquences pour la linguistique. In: Langages, 23e année, n°89, 1988. pp. 51-64.
doi : 10.3406/lgge.1988.1981
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1988_num_23_89_1981Witold MaŇCZAK
Université de Cracovie
CRITÈRES DE VÉRITÉ
LEURS CONSÉQUENCES POUR LA LINGUISTIQUE
Dans la linguistique, il y a un problème tabou : c'est celui des critères de vérité.
Étant donné que la linguistique existe depuis deux mille ans et que la Bibliographie
linguistique a enregistré, pour l'année 1983, 15 000 travaux, il en résulte que les li
nguistes en ont publié, au total, plusieurs centaines de milliers, et pourtant aucun d'eux
n'a été consacré aux critères de vérité. Même le terme « critères de vérité » n'est
jamais employé par les linguistes. C'est une chose extrêmement étrange, si l'on consi
dère que tout le monde est persuadé que 1°) la science n'est autre chose qu'une
recherche de la vérité ; 2°) la linguistique est une science. Pourquoi donc les linguis
tes ne s'intéressent-ils pas au problème de savoir comment on peut distinguer le vrai
du faux dans leur discipline ?
Il est évident que, dans d'autres sciences, la situation est diamétralement opposée.
Par exemple, en médecine, il est d'habitude de vérifier de nouveaux médicaments.
Même si un laboratoire pharmaceutique de renommée mondiale produit un nouveau
médicament, les cliniques lui font subir des tests. Le nouveau médicament est donné à
un groupe composé d'au moins 25 malades. En même temps, un autre groupe de
malades, dit groupe de contrôle, ne reçoit aucun médicament ou un médicament ano
din. Une fois le traitement terminé, les malades des deux groupes sont examinés pour
établir dans combien de cas leur état de santé s'est amélioré, s'est détérioré ou est
resté stationnaire. En comparant les performances des deux groupes de malades, il est
décidé si l'application du nouveau médicament est indiquée ou non. La nécessité de
vérifier les nouveaux médicaments paraît aux médecins à tel point évidente que les
maisons pharmaceutiques elles-mêmes demandent aux cliniques d'examiner leurs pro
duits et prennent en charge les frais qu'entraîne cette vérification. Il en est de même
dans les autres sciences de la nature. Si un chimiste ou un physicien publie les résul
tats d'une nouvelle expérience, d'autres chimistes ou physiciens les vérifieront et
aucun chercheur, même un prix Nobel, n'en sera vexé.
Dans cet état de choses, il nous est venu à l'esprit de réfléchir sur les critères de
vérité susceptibles d'être employés en linguistique. Il est évident que la pratique, qui
assure la survie aux théories vraies et condamne à mort les fausses, est le plus parfait
critère de vérité. En voici un exemple. Imaginons qu'un mathématicien arrive un jour
à la conclusion qu'il faille « réformer » la table de multiplication, étant donné qu'elle
est bien plus vieille encore que la théorie des néo-grammairiens. Imaginons que ce
mathématicien avance que 2 X 2 = 3 (et non 4), que 2 X 3 = 7 (et non 6), etc.
Imaginons enfin qu'un ingénieur applique la table de multiplication « réformée » à la
construction d'une maison. Il ne serait pas difficile d'en prévoir le résultat : la maison
s'écroulerait. Imaginons enfin qu'un pharmacien applique la table de multiplication
« réformée » à la préparation des médicaments. Il ne serait pas non plus difficile d'en
prévoir le résultat : la mortalité parmi les malades serait beaucoup plus élevée que la
normale. Au point que même les profanes sans idée aucune s'apercevraient que quel
que chose ne va pas. Mais cela ne serait pas tout : un procureur général s'intéresserait
à ces accidents, et l'ingénieur et le pharmacien qui auraient eu l'idée fatale d'appli-
51 la table de multiplication « réformée » seraient emprisonnés. Ainsi la pratique quer
mettrait de suite fin à la « réforme » de la table de multiplication.
Malheureusement, la pratique ne joue aucun rôle en linguistique. L'exemple sui
vant illustre le fait qui vient d'être avancé. Un beau jour de l'an de grâce 1435 à Flo
rence, quelques humanistes que personne n'oserait considérer comme linguistes atten
daient une audience auprès du pape. C'est alors qu'ils ont commencé à discuter de
l'origine de l'italien. N'oublions pas que cela se passait bien avant le XIX' siècle, qui a
eu le grand mérite d'introduire la notion d'évolution dans différentes sciences, y comp
ris la linguistique. Avant le XIX' siècle, la vision du monde était sensiblement stat
ique, posant, par exemple, que toutes les espèces végétales et animales existaient dès le
début du monde. Or, les humanistes florentins étaient conscients d'une différence
entre l'italien et le latin, l'un étant, comme on dirait aujourd'hui, une langue analyti
que et l'autre, une langue synthétique. De même qu'ils étaient incapables de s'imagi
ner que les plantes et les animaux sont le résultat d'une évolution, de même il leur
paraissait inconcevable qu'une langue synthétique puisse se transformer en une langue
analytique, et, sachant que chez des auteurs romains il y avait quelques vagues allu
sions à un vulgaris sermo, ils en sont arrivés à la conclusion que, dans l'ancienne
Home, il y aurait eu deux langues : le latin classique, langue synthétique, et le latin
vulgaire, langue analytique et source de l'italien. Les arguments que nos humanistes
alléguaient à l'appui de leur thèse étaient extrêmement naïfs (ils estimaient, par exemp
le, qu'une femme du peuple n'aurait pas été capable d'apprendre à décliner un subs
tantif comme suppellex, gén. suppellectilis), mais, à force d'être répétée pendant des
siècles, l'opinion formulée en 1435 par quelques dilettantes est devenue un dogme. Si
cela a été possible, c'est pour la simple raison que la répétition de cette erreur pendant
plus de 500 ans n'a eu aucune répercussion dans la pratique : pas une seule maison ne
s'est écroulée, pas un seul homme n'est mort à cause de cela.
Comme la pratique, malheureusement, ne corrige pas leurs opinions, les linguistes
peuvent recourir uniquement à deux autres critères de vérité : statistique et, excep
tionnellement, expérimentation (pour plus de détails, voir Manczak 1980 et 1977). Le
présent article a pour but de montrer comment nous avons essayé de résoudre diffé
rents problèmes au moyen de la statistique ou de l'expérimentation.
1. Lois de l'analogie. Kurylowicz (1949) a formulé les lois suivantes du dévelop
pement analogique :
I. Un morphème bipartite tend à s'assimiler un morphème isofonctionnel consis
tant uniquement en un des deux éléments, c.-à-d. le composé remplace le
morphème simple.
II. Les actions dites analogiques suivent la direction : formes de fondation — fo
rmes fondées, dont le rapport découle de leurs sphères d'emploi.
III. Une structure consistant en membre constitutif plus membre subordonné
forme le fondement du membre constitutif isolé, mais isofonctionnel.
IV. Quant à la suite d'une transformation morphologique une forme subit la diffé
renciation, la forme nouvelle correspond à sa fonction primaire (de fondation), la
forme ancienne est réservée pour la fonction secondaire (fondée).
V. Pour rétablir une différence d'ordre central, la langue abandonne une diffé
rence d'ordre marginal.
VI. Le premier et le second terme d'une proportion appartiennent à l'origine à des
systèmes différents : l'un appartient au parler imité, l'autre au parler imitant.
52 Étant arrivé à la conclusion que les lois de Kurylowicz sont ou bien fausses ou bien
formulées d'une manière tellement vague qu'il est impossible de les vérifier, nous
avons

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