De l androgyne au misogyne : l infernale dialectique des décadents - article ; n°1 ; vol.47, pg 75-86
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De l'androgyne au misogyne : l'infernale dialectique des décadents - article ; n°1 ; vol.47, pg 75-86

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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1993 - Volume 47 - Numéro 1 - Pages 75-86
To any reader, as learned as he or she could be, the « fin de siècle » period, in France and Britain, is a very surprising period. Indeed, when art and literature are fascinated by androgyny, it could be considered as a strange paradox that they put forth at the same time a virulent misogyny. This paradox has been noticed and described but has never been explained away. Yet, if the androgynous ideal and the misogynistic discourse belong to different fields - the former to the field of pictural representation and the latter to the field of literature - one should ask how and why a figure who can be interpreted as a figure of reconciliation of the opposites can match with a discourse which exasperates them even more.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 29
Langue Français

Extrait

Frédéric Monneyron
De l'androgyne au misogyne : l'infernale dialectique des
décadents
In: Les Cahiers du GRIF, N. 47, 1993. Misogynies. pp. 75-86.
Abstract
To any reader, as learned as he or she could be, the « fin de siècle » period, in France and Britain, is a very surprising period.
Indeed, when art and literature are fascinated by androgyny, it could be considered as a strange paradox that they put forth at the
same time a virulent misogyny. This paradox has been noticed and described but has never been explained away. Yet, if the
androgynous ideal and the misogynistic discourse belong to different fields - the former to the field of pictural representation and
the latter to the field of literature - one should ask how and why a figure who can be interpreted as a figure of reconciliation of the
opposites can match with a discourse which exasperates them even more.
Citer ce document / Cite this document :
Monneyron Frédéric. De l'androgyne au misogyne : l'infernale dialectique des décadents. In: Les Cahiers du GRIF, N. 47, 1993.
Misogynies. pp. 75-86.
doi : 10.3406/grif.1993.1873
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1993_num_47_1_1873De l'androgyne au misogyne :
l'infernale dialectique des décadents
Frédéric Monneyron
De prime abord, pour tout lecteur aussi averti soit-il, l'imaginaire de la fin du
siècle dernier, en France comme en Angleterre, a de quoi surprendre.
On peut s'étonner en effet, à une période où l'art et la littérature cultivent l'inte
rférence des sexes et s'inscrivent sous le signe de l'androgyne - au point où le cri
tique italien Mario Praz peut considérer à juste titre l'idéal androgyne comme une
véritable obsession de la littérature décadente ' - que, bien souvent, ils soient aussi
un espace propre à l'expression d'une misogynie outrancière. Car « alors que se
glisse partout l'image incertaine de l'être douteux aux hanches fines, à la poitrine à
peine esquissée, voici qu'apparaît l'écurement de la femme 2 ». Si cette juxtaposi
tion a parfois été constatée et décrite, on ne s'est jamais vraiment donné la peine
d'en proposer une explication. Or, même si l'idéal androgyne et l'expression de la
misogynie semblent devoir se lire a priori dans deux registres différents - le pre
mier plutôt dans l'ordre de la représentation picturale et littéraire, la seconde plutôt
dans celui du discours - il y a pourtant lieu de se demander comment et pourquoi
une figure qui, originellement, peut être interprétée comme celle de la réconcilia
tion des contraires, de l'apaisement des différences s'accommode d'un discours qui
les exaspère.
Ce sont les mécanismes de cet apparent paradoxe que je voudrais m'efforcer
d'analyser ici.
La fin du xixe siècle est une période de crise culturelle générale. Les normes les
mieux établies commencent d'être remises en question et les sociétés dans leur
ensemble subissent une transformation accélérée. Les valeurs religieuses tradition
nelles s'affaissent -\ la foi en le progrès qui a guidé tout le xixe siècle est battue en
brèche, les systèmes de pensée ¦+- philosophique, esthétique, scientifique - chancell
ent et se renouvellent. Cette crise s'accompagne ou accompagne - selon la lecture
idéaliste ou matérialiste que l'on juge bon d'adopter - de profonds bouleversements
sociaux et économiques parmi lesquels la reconsidération du rôle des sexes n'est
sans doute pas le moindre. 75 On sait en effet que l'époque est celle où commence à se répandre d'une manière
significative le travail des femmes et où à voir le jour les premières
revendications féministes. L'on s'interroge sur le rôle traditionnel des sexes à la
suite d'un John Stuart Mill qui, dès 1869, vitupérait leur fonctionnement en deux
sphères séparées et étanches : « Je considère », écrivait-il dans The Subjection of
women, « que le principe qui régit les relations existant entre les deux sexes - la
subordination légale d'un sexe à l'autre - est mauvais en soi et représente, à l'heure
actuelle, l'un des principaux obstacles au progrès de l'humanité ; je considère qu'il
doit être remplacé par un principe d'égalité totale qui refuse tout pouvoir ou privi
lège pour l'un des deux sexes, toute incapacité pour l'autre4 ». Bien des ouvrages de
l'époque en portent témoignage et la dénonciation de ce cloisonnement et le souhait
d'une évolution s'affirment, comme dans L'Eve nouvelle de Jules Bois qui, en 1896,
s'écrie : « Tout est à gagner pour la société et pour l'homme dans cette orientation
de la femme vers un but que les préjugés, que les lois, les caprices virils ne lui
imposaient plus mais que lui désigneraient, seules, sa vraie nature et sa cons
cience 5 ».
Sans doute, l'obsession de l'androgyne propre à toute la fin du xixe siècle trouve-
t-elle ici un fondement de première importance. L'aspiration à l'unité androgynique
tient son origine dans la trop grande séparation des sexes dont elle apparaît dans
l'imaginaire comme un révélateur et une réponse tout à la fois. Et elle peut être
interprétée, dès lors, comme le rêve d'une réduction des différences.
Toutefois, ce rêve prend, à l'évidence, des formes qui sont loin d'être celles de la
conciliation qu'on serait en droit d'attendre. En effet, l'androgyne des décadents ne se
donne plus comme cette entité idéale qui constitue les termes ab initio et in fine du
mythe que Platon développe dans Le Banquet ou comme cette promesse d'une féli
cité dans l'au-delà figurée à l'occasion par le couple humain uni corps et âme, stade
ultime dans les traditions ésotériques d'une réintégration du divin. Il n'est plus ce rêve
absolu d'unité mais, du fait d'une révolution de l'esthétique qui a été durant tout le
xixe siècle la voie d'accès privilégiée à la pensée de l'androgyne 6, il se présente,
actualisé dans la réalité de l'époque, sous la forme de deux figures concurrentes : le
jeune homme efféminé et la femme masculine, qui envahissent tout le champ litté
raire et artistique de la décadence. Cette descente de l'androgyne - l'idée - dans la
réalité pourrait paraître anodine et sans conséquence aucune, sorte de querelle pro
fane sur le sexe des anges, si dans la crise culturelle dont cette indifférenciation génér
alisée est le signe, la femme ne devenait un bouc émissaire obligé - pour reprendre
les termes de R. Girard dont les théories sont particulièrement opérantes ici 7.
De fait, l'incarnation de l'androgyne en un personnage de chair et d'os ne se fait
pas identiquement selon les sexes. S'inscrivant sur des structures culturelles où
l'homme reste le pivot autour duquel s'organise la société, la femme ne constituant
76 au mieux qu'une référence esthétique, le processus s'effectue invariablement en la du premier. L'hermaphrodite de la statuaire grecque qui, depuis Winckel- faveur
mann en passant par Gautier, a pu être considéré comme l'idéal de la forme, le beau
en soi 8, dès qu'il descend dans le monde phénoménal trouve sa meilleure approxi
mation dans le jeune homme à l'aspect féminin. Car, en ajoutant à un esprit mascul
in, intellectuellement valorisé, une forme féminine, esthétiquement valorisée,
celui-ci tend vers une plénitude totale tandis que la femme, en se masculinisant,
combine deux négativités et dessine une figure de la répulsion.
C'est sans doute - et le paradoxe n'est pas mince - le roman d'une femme qui
fournit en 1888 la meilleure illustration de cette différence fonctionnelle, preuve de
sa prégnance fantasmatique. Dans Madame Adonis de Rachilde 9, Marcelle
Désambres est une femme qui aime donner le change. Aussi se présente-t-elle tour à
tour sous une identité et un costume masculins et féminins. Or, bien qu'ils ne remett
ent pas en question le sexe selon lequel elle leur apparaît, les autres protagonistes
du roman ont à son physique des réactions fort différentes si elle est Marcel, jeune
homme féminin ou Marcelle, femme masculine. Qu'on en juge ! Aux

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