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Lire, oui mais comment lire ?
Posons-nous la question: les hommes ont-ils toujours lu de la même façon, sur les
mêmes supports ? Quelle peut-être l'influence du support sur l'acte de lire ?

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Publié le 02 février 2015
Nombre de lectures 13
Langue Français

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Lire, oui mais comment lire ?
Posons-nous la question: les hommes ont-ils toujours lu de la même façon, sur les mêmes supports ? Quelle peut-être l'influence du support sur l'acte de lire ?
 Pour chacun d'entre nous, la lecture est une activité plutôt privée, et surtout silencieuse. Allongé dons nos lits ou sur nos canapés confortables, nous plongeons dans nos livres et dans le silence. Le bourdonnement monocorde des enfants récitant leur alphabet ne résonne plus dans les écoles, au printemps, quand les fenêtres sont ouvertes sur la cour. Si nous lisons dans un lieu public, une bibliothèque, nous le faisons silencieusement pour respecter l'intimité de nos voisins. Nos yeux glissent sur les lignes et transmettent à notre cerveau, non pas l'ensemble des lettres associées formant un son, mais par sauts, des mots qui, assemblés, forment en un message cohérent.
Pour lire nous n'avons plus vraiment besoin de notre gorge et de notre langue.
Pourtant il arrive que nous lisions à voix haute mais dans des circonstances particulières: quand nous racontons des histoires à nos enfants avant qu'ils ne s'endorment, quand nous partageons l'extrait d'un article de journal, ou bien quand nous lisons nos discours politiques, nos plaidoiries d'avocats ou nos interventions lors de réunions de travail. Comme dans l'Antiquité ou au Moyen Age, la lecture à voix haute existe mais dans un rapport inversé à celui qu'elle connaissait à cette époque.
Pour donner quelques pistes de réflexion, il faut se reporter au temps où le codex ( le livre tel que nous le connaissons ) n'existait pas.
Le livre, «LIBER» en latin tout à la fois l'écorce du bois sur lequel on trace des signes mais aussi la coque et l'enveloppe protectrice des fruits et du sens du texte. « Liber » c'est aussi son homonyme «LIBER, LIBRE» qui fait du lecteur un homme une femme libéré/e du poids du monde. Mais si on écrit sur duLIBER,on produit unVOLUMEN, un rouleau. Et que dire de «LEGO», «je lis, je sépare, je trie, je rassemble ». La lecture n'est-elle pas cette action-là de trier et d'assembler les lettres, les sons les mots, les phrases et d'en tirer un sens.
Et du côté des Grecs et de leurBIBLIONqui aura une descendance florissante: au départ «BUBLOS» signifie simplementPAPYRUS, le P s'étant adouci en B comme souvent lors du passage d'une langue à une autre. Le papyrus est un support d'écriture, mais aussi le livre, le document. Puis le BU est devenu BI par contagion avec la syllabe voisineBUBLIOS. Et voilà, on lit des textes écrits sur de l'écorce ou sur de la fibre de papyrus. Difficile, notamment pour les textes inscrits sur leLIBERdes arbres peut-être de lire à voix basse... Le déchiffrage est-il plus facile à voix haute ? D'autant plus que les mots se suivent en lignes ininterrompues, sans ponctuation. Seule la voix permet de saisir le sens.
VOLUMEN OU CODEX ?
Levolumende papyrus, contrairement aux clichés fournis par Hollywood et la littérature populaire voire les bande dessinées ( le petit village d'irréductibles ou Alix ) n'a pas été le support le plus répandu: cher, rare, de fabrication coûteuse, fragile, il est réservé aux classes aisés, aux textes importants. Car levolumenn'est pas d'un maniement aisé: lourd, il mobilise les deux mains, il faut le dérouler au fur et à mesure de sa lecture et le ré-enrouler autour de ses axes. Il ne permet pas de le poser à plat et de prendre des notes tout en lisant; il est difficile de revenir en arrière ou de se projeter en avant. On peut rapprocher sa lecture de celle de l'écran de l'ordinateur où le texte « défile ». L'organisation d'un texte dans unvolumenest loin de la nôtre: les lignes soit suivent toute la longueur duvolumenet obligent à un déroulement-enroulement incessant ou bien sont organisées en colonne de la hauteur de la feuille de papyrus, en blocs compacts.
Stèle romaine, II ème siècle ap JC, Trèves, Allemagne.
Pour le quotidien, on écrit plutôt sur destablettes(tabulae) de bois ou de cire, sur des morceaux d'argile cuite ou crue, sur des objets ( les ostrakon, les vases historiés,
sur les murs... )
.
Ostrakon grec, portant un nom propre.
Et voilà que reviennent lestabulaede nos ancêtres Romains ! Nos tablettes lumineuses offrent le même format et le même espace de lecture cadré, confiné mais de maniement si facile. Sauf qu'on tente de leur donner l'aspect de vrais livres/codices: pages à tourner, bruits du papier froissé, fond rappelant ce support, typographie, séparation en paragraphes, titres....
Portrait d'une jeune femme étrusque, avec stylet et tablette.
Tablette avec son stylet, III ème siècle ap JC, inscription en grec.
La comptabilité, les textes professionnels, les inscriptions funéraires, les recettes culinaires, les textes administratifs, les préparations de lois, les discours font l'objet d'abord d'une rédaction sur ce type de support. Si ensuite, ils méritent une
conservation plus importante ils seront transcrits sur unvolumen. Les textes littéraires, les textes philosophiques, religieux, les recueils de lois sont copiés sur ces fameux rouleaux et conservés dans les bibliothèques impériales, des temples ou bien dans les archives des administrations.
Et le livre, le nôtre me direz-vous ? C'est unCODEX. Il s'agit en fait de cahier reliés ensemble, de format rectangulaire, protégés par une couverture rigide de bois, de carton plus ou moins ornée. D'où vient ce mot ? De CAUDEX, tige d'arbre, souche, voire tronc. On comprend bien qu'il s'agit des deux planchettes qui entourent et protègent les cahiers de parchemin, car moins cher que le papyrus, le parchemin est le matériau support dont le succès traversera les siècles. Le Codex est d'un maniement plus facile, on peut le poser devant soi, prendre des notes, son rangement est plus facile, à plat pas sur la tranche ou comme de nos jours debout. On peut revenir facilement en arrière ou passer quelques feuillets. Il se transporte aisément et peut si son format est assez petit se cacher dans une poche. Livre de poche.... On en revient toujours à nos arbres:LIBER, CAUDEX....
Codex Siniaticus, IV ème siècle, ( on voit bien les différents cahiers reliés ensemble )
Assemblage des feuilles de parchemin On place le côté du pelage face à la face de pelage et le côté de la peau sur la peau. Le but de cela c'est d'avoir une texture uniforme sur la page et sa contre-page
A voix haute, à voix basse, seul ou en groupe, debout, assis ou allongé ?
En effet, dans l'Antiquité, on lit majoritairement à voix haute, même si l'on connaît la lecture à voix basse. On peut aisément comprendre que le support et l'organisation
matérielle des textes conditionnent leur lecture. Par ailleurs, il est certain que l'alphabétisation ne touche qu'un faible nombre de personne dans les sociétés antiques: personnel religieux, administratif, membres des classes supérieures, professionnels de la lecture et de l'écriture ( scribes ). Mais la lecture reflète aussi reflète des comportements sociaux qui évoluent dans le temps et dans l'espace. On ne lit pas aujourd'hui comme on lisait dans l'Antiquité ou au Moyen Age. Dans l'Antiquité, même si la lecture silencieuse est connue et pratiquée, lire est un acte public, en tout cas bien souvent collectif: de l'ordre de la déclamation. Et on peut se poser une série de questions: un seul a-t-il les connaissances nécessaires pour lire à voix haute et le fait-il tout le temps ? Est-il lecteur désigné officiel ? ou bien plusieurs savent-ils déchiffrer et se partagent-ils le temps de lecture ? L'auteur du texte est-il le lecteur de son texte ? La lecture à voix haute et collective pré-suppose-t-elle obligatoirement un taux faible d'alphabétisation puisqu'il faut quand même disposer d'un certains nombres de lecteurs suivant les besoins et les circonstances. Ensuite, la lectureà voix haute et en groupesuppose une organisation spatiale qui met le lecteur en position cathédrale: seul devant le groupe assemblé devant lui afin d'être entendu et vu par tous. Est-il monté sur une estrade ? Devant combien de personne lit-il ? Quelles qualités vocales sont-elles nécessaires? Où lit-on : en extérieur ou dans une salle ? On peut déduire que les lectures en extérieur demandent peut-être des textes plus courts, lus à voix haute et forte afin d'être entendus par tous. Sûrement, ils demandent une lecture sensible, en tout cas capable de retenir l'attention et l'intérêt.
C'est le cas des discours politiques, des plaidoiries d'avocats, des textes théâtraux ou poétiques. On est dans l'ordre de la déclamation: la voix doit porter et donner du sens au texte. C'est le lecteur qui ouvre le sens du texte. Pour les lecture « indoors »: le ton est vraisemblablement plus feutré, la voix plus basse, plus douce mais sûrement tout aussi sensible. Là aussi le lecteur fait le sens du texte d'autant plus s'il en est l'auteur. Peu de place est donc laissée à l'interprétation personnelle de l'auditeur qui n'est pas un lecteur proprement dit. Le lecture est-elle suivie d'une discussion, voire d'un débat ? Sûrement dans les lectures publiques extérieures et vraisemblablement pour les autres aussi.
La lecture orale publique semble correspondre à l'organisation de la société antique dans le cadre de la Cité grecque ou romaine: le besoin de communiquer des textes politiques, des lois, des discours, de la poésie ou du théâtre sont propices à la lecture à voix haute et publique. L'enseignement est essentiellement un enseignement oral: le maître lit, commente, glose, les élèves écoutent, récitent. Ce qui est caractéristique des sociétés archaïques ou traditionnelles où l'oralité est le vecteur principal de la transmission des informations. Parce que les moyens de duplication des documents sont onéreux, longs et lents et aux mains de spécialistes, l'oral est primordial.
Tel poète organise une lecture publique de sa dernière œuvre ( Pline en donne l'exemple dans sesLettres,mais aussi Suétone ou Juvénal ): chez lui, dans la maison d'un ami, il réunit son public et livre son texte à voix haute. Attend-il des commentaires, des critiques ? Des applaudissements ? Attend-il qu'on lui commande
une copie d'un texte particulièrement apprécié ? Certainement. Tel philosophe propose à ses auditeurs sous le portique la lecture et l'analyse des textes. En tout cas le public accède aux œuvres par leur lecture publique.
La lecture solitaire et silencieuse existe-t-elle ? Oui bien sur: dans la solitude de son studium ou dans la paix de son jardin, le lettré savoure seul son texte
 Le Moyen Age a hérité des techniques de l'Antiquité et notamment de la lecture à voix haute qui se rapproche du chant, de la mélopée. Le développement du christianisme et notamment de la vie monastique exigent des techniques de lecture différente: la lecture silencieuse«in silentio » qui respecte les règles des monastères devient une technique majeure de lecture dans un monde où la silence est une vertu cardinale. Mais la méditation du texte chrétien dans les milieux religieux qui seuls y ont accès directement, la récitation, la mémorisation développent une lecture « à voix basse » nommée«ruminatio»où l'on murmure le texte afin de s'en imprégner de littéralement le manger, on est proche de la «manducatio». Elle n'est pas sans rappeler les murmures de nos petits élèves dans les classes primaires. Et même si dans les couvents, ou les chapitres cathédraux, les hommes et les femmes vivent en collectivité, ils connaissent aussi de longs moments de solitude: dans leur cellules, dans le cloître, ou dans les activités manuelles imposées par la majorité des règles. Afin que l'esprit profane ne pervertisse pas les âmes, la «ruminatio» des textes sacrés apparaît comme un mantra prophylactique: réciter le texte, le murmurer, y revenir empêche l'esprit de divaguer dans le sens premier du terme.
Flavius Josèphe dans son cabinet  Flavius Josèphe, Les Antiquités judaïques, Belgique (Bruges), XVe siècle  Paris, BnF, département des Manuscrits, Français 11, folio 1  Finalement, notre façon moderne de lire: seul et à voix basse apparaît comme relativement récente. Il lui faut démocratisation des livres, des formats permettant une lecture personnelle, l'individualisation de la culture et le développement du confort « bourgeois »avec ses boudoirs, ses salons, ses chambres personnelles ou ses lieux réservés à la lecture: de Montaigne seul dans sa librairie à Rousseau
flânant sur les rives de ses lacs suisses, c'est la modernité dans son acceptation historique qui produit cette lecture individuelle et silencieuse dans nos sociétés dites développées.
Voltaire assis à sa table de travail
Lecture publique d'une œuvre de Voltaire
Comment lit-on de nos jours ailleurs dans le monde ? A vous de vous interroger et de chercher …...
Catherine Calvel
SOURCES
BNF, La lecture au temps des Lumières http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/hlecture/hlintegr.html
Alberto Manguel, Une Histoire de la Lecture http://www.lexpress.fr/culture/livre/une-histoire-de-la-lecture_804897.html
Dictionnaire étymologique grec: https://archive.org/stream/Dictionnaire-Etymologique-Grec/Chantraiine-DictionnaireEtymologiqueGrec#page/n213/mode/2up
Dictionnaire étymologie latin: https://archive.org/stream/dictionnairetym00regngoog#page/n45/mode/2up
BNF, L'aventure du livre, du Volumen au Codex http://classes.bnf.fr/livre/arret/histoire-du-livre/premiers-supports/07.htm
Armando Petrucci, Mélanges de l'Ecole Française de Rome. Portail Persée http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1984_num_96_2_2770
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