Du récit exemplaire au casus universitaire : une variation théologique sur le thème de la profanation d'hosties par les juifs (1290) - article ; n°41 ; vol.20, pg 37-64

Elsa Marmursztejn

Description

Médiévales - Année 2001 - Volume 20 - Numéro 41 - Pages 37-64
From the Exemplary Narrative to the Academic Casus : A Theological Variation on the Theme of the Profanation of the Host (1290) - In 1290, the year of the famed « miracle of the Billettes », the motif of the profanation of the host by the Jews, a theme in favor because of rising eucharistic devotion and popular belief supported by exemplary narratives, appeared in a quodlibet by the theologian Henry of Ghent. This text helps establish connections between common beliefs and scholastic thought, as well as gain insight into the originality of the intellectual treatment of the theme of the profanation of the host and the prétentions of universities to confine the Jews within the normative frame which was being elaborated for Christian society.
En 1290, date du célèbre « miracle des Billettes », le motif de la profanation d'hosties par les juifs, porté par l'essor de la dévotion eucharistique et par une croyance populaire entretenue par des récits exemplaires, apparaît dans une question quodlibétique d'Henri de Gand. Le texte de ce théologien permet d'établir l'existence de liens entre croyances communes et pensée scolastique, de saisir l'originalité du traitement intellectuel du motif de la profanation d'hosties et la prétention des universitaires à faire entrer les juifs dans les cadres normatifs qu'ils élaboraient pour la société chrétienne.
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: MEDIEVALES
• Publié le: 01 janvier 2001
• Nombre de lectures: 26
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Madame Elsa Marmursztejn
Du récit exemplaire au casus universitaire : une variation
théologique sur le thème de la profanation d'hosties par les juifs
(1290)
In: Médiévales, N°41, 2001. pp. 37-64.
Abstract
From the Exemplary Narrative to the Academic Casus : A Theological Variation on the Theme of the Profanation of the Host
(1290) - In 1290, the year of the famed « miracle of the Billettes », the motif of the profanation of the host by the Jews, a theme in
favor because of rising eucharistic devotion and popular belief supported by exemplary narratives, appeared in a quodlibet by the
theologian Henry of Ghent. This text helps establish connections between common beliefs and scholastic thought, as well as gain
insight into the originality of the intellectual treatment of the theme of the profanation of the host and the prétentions of
universities to confine the Jews within the normative frame which was being elaborated for Christian society.
Résumé
En 1290, date du célèbre « miracle des Billettes », le motif de la profanation d'hosties par les juifs, porté par l'essor de la dévotion
eucharistique et par une croyance populaire entretenue par des récits exemplaires, apparaît dans une question quodlibétique
d'Henri de Gand. Le texte de ce théologien permet d'établir l'existence de liens entre croyances communes et pensée
scolastique, de saisir l'originalité du traitement intellectuel du motif de la profanation d'hosties et la prétention des universitaires à
faire entrer les juifs dans les cadres normatifs qu'ils élaboraient pour la société chrétienne.
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Marmursztejn Elsa. Du récit exemplaire au casus universitaire : une variation théologique sur le thème de la profanation
d'hosties par les juifs (1290). In: Médiévales, N°41, 2001. pp. 37-64.
doi : 10.3406/medi.2001.1524
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_2001_num_20_41_1524Médiévales 41, automne 2001, p. 37-64
Eisa MARMURSZTEJN
DU RECIT EXEMPLAIRE AU CASUS UNIVERSITAIRE :
UNE VARIATION THÉOLOGIQUE SUR LE THÈME
DE LA PROFANATION D'HOSTIES PAR LES JUIFS (1290)
Le « monde étrange » ! de la pensée scolastique fut-il tout à fait étranger à
celui des croyances et des dévotions populaires ? Les savoirs spéculatifs se
développèrent-ils, au Moyen Âge central, en champ clos, inaccessible aux
mentalités communes et à l'imaginaire collectif? S 'attachant notamment, dans
son dernier ouvrage, au traitement scolastique de questions comme celles de la
orientation (saignement du cadavre) ou du corps mort du Christ, Alain
Boureau a mis en valeur l'existence de passages d'un monde à l'autre : le
thème « populaire » du saignement des cadavres avait bel et bien été « introduit
dans le débat savant sous la pression des circonstances » 2 ; les débats sur
l'identité du corps du Christ n'étaient pas sans effet, par ailleurs, sur le culte du
sang versé par le Christ lors de sa Passion et conservé en diverses reliques 3.
Les textes quodlibétiques apparaissent sans doute, à partir de la seconde
moitié du xme siècle, comme des témoins privilégiés de ces relations entre le
monde du savoir et celui des croyances populaires. Émanant d'un public plus
diversifié que celui qui prenait part aux actes ordinaires et réguliers de la prati
que scolaire, les questions posées au cours des séances quodlibétiques
déploient l'éventail très large des intérêts et des curiosités qui animaient alors
la vie intellectuelle parisienne. Des questions de philosophie ou de théologie
hautement spéculatives voisinent ainsi avec des questions fort concrètes,
parfois triviales, souvent ancrées dans l'actualité contemporaine, et dont certai
nes attestent la pénétration de croyances communes dans la pensée scolastique.
1 . M.-D. Chenu, Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin, Paris, 1950, p. 52.
2. A. Boureau, Théologie, science et censure au XIIIe siècle. Le cas de Jean Peckham, Paris,
1999, p. 5 et chapitre 8, p. 245-287.
3. Ibid., p. 110-111. E. MARMURSZTEJN 38
On rencontre ainsi chez Henri de Gand, dont les Quodlibets s'étendent sur
les deux décennies de sa régence en théologie du milieu des années 1270 au
début des années 1290, une question singulière, qui prend pour point de départ
le thème relativement récent de la profanation d'hosties par des juifs. Ce motif,
appelé par ailleurs à une grande fortune narrative, est développé sous la forme
d'un casus (exposé d'un cas particulier) à l'occasion d'une dispute quodlibé-
tique soutenue pendant la session de l' Avent 1290 4 : « Un juif qui poignarde
une hostie consacrée et qui, voyant qu'elle rougit du sang jaillissant de ses
plaies, se convertit et se fait baptiser à la vue de ce miracle, doit-il être puni
pour ce délit par la justice publique ? » 5. Un fait divers récent semble être à
l'origine de cette question, posée au cours de la première session quodlibétique
qui avait suivi la fameuse affaire du « miracle des Billettes » 6, qui avait eu lieu
la même année, à Pâques. Souvent cité 7, ce texte d'Henri de Gand, qui livre la
solution apportée par le maître au cours d'une séance de « détermination »
consécutive à la dispute proprement dite, n'a encore fait l'objet d'aucune étude
approfondie. Il fournit pourtant l'occasion de montrer que la réflexion théolo
gique ne se nourrit pas seulement de concepts et de textes faisant autorité. La
question quodlibétique s'enracine, en l'occurrence, dans un contexte associant
une dévotion commune, une croyance populaire et une accusation qui traduit la
dégradation de la condition des juifs au xme siècle, et elle semble se rapporter
à un événement clairement identifié, qui avait dû suffisamment émouvoir
l'opinion pour trouver un écho dans l'Université. Sur la base de ce postulat,
nous tenterons de montrer comment cette source théologique s'insère dans la
riche tradition textuelle liée au thème de la profanation d'hosties, de cerner le
rôle que le théologien prétendait assumer en prenant en charge la résolution
4. Les disputes quodlibétiques, publiques et facultatives, se tenaient en deux sessions
annuelles, pendant l' Avent, et pendant le Carême.
5. HENRI DE GAND, Quodlibet XIV, 15 : Utrum iudeus pungens hostiam consecratam, qui
videns sanguine émergente ex puncturis ipsam rubescere et, viso miraculo, convertitur et baptiza-
f° 570 v°-572 v°). tur, debeatpro isto delicto puniri a iustitia publica (Paris, 1518,
6. Des juifs avaient profané une hostie consacrée, qui s'était mise à saigner. Dénoncés, ils
furent jugés et brûlés. En 1295, Boniface VIII autorisa la fondation d'une chapelle à l'endroit
même où le miracle s'était produit. Desservie à partir de 1308 par des frères hospitaliers de la
Charité Notre-Dame, cette chapelle devait prendre le nom d'église « des Billettes », le scapulaire
des frères rappelant la billette héraldique. Sur le miracle des Billettes, voir T. de Saint-René,
Remarques historiques données à l'occasion de la sainte hostie miraculeuse conservée dans
l'église paroissiale de Saint- Jean-en-Grève, Paris, 1725 ; P. Demann, « À propos de deux publica
tions récentes sur le miracle des Billettes », Cahiers sioniens, 9, 1955, p. 73-78; M. ARONBERG
La VIN, « The Altar of Corpus Domini in Urbino : Paolo Ucello, Joos van Ghent, Piero délia Fran-
cesca », The Art Bulletin, 49, 1967, p. 1-24 ; M. Rubin, « Desecration of the Host : the Birth of an
Accusation », dans D. WOOD éd., Christianity and Judaism. Papers read at the 1991 Summer
Meeting and the 1992 Winter Meeting of the Ecclesiastical History Society, Oxford, 1992, p. 169-
185; EAD., Gentile Tales. The Narrative Assault on Late Mediaval Jews, New Haven-Londres,
1999.
7. Notamment par G. Dahan, Les Intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Âge, Paris,
1990, p. 195, et en dernier lieu par N. Bériou, « Entre sottises et blasphèmes. Échos de la dénonc
iation du Talmud dans quelques sermons du XIIIe siècle », dans G. Dahan dir., Le Brûlement du
Talmud à Paris. 1242-1244, Paris, 1999, p. 231. DU RÉCIT EXEMPLAIRE AU CASUS UNIVERSITAIRE 39
d'une telle question, et de considérer enfin le traitement intellectuel original