Espace public et sociabilité esthétique - article ; n°1 ; vol.68, pg 207-237
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Description

Communications - Année 1999 - Volume 68 - Numéro 1 - Pages 207-237
31 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 53
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Mme Laurence Allard
Espace public et sociabilité esthétique
In: Communications, 68, 1999. pp. 207-237.
Citer ce document / Cite this document :
Allard Laurence. Espace public et sociabilité esthétique. In: Communications, 68, 1999. pp. 207-237.
doi : 10.3406/comm.1999.2037
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1999_num_68_1_2037Laurence Allard
Espace public et sociabilité esthétique
Etude d'un caméra-club
Être aujourd'hui un amateur dans le champ de l'art et de la culture,
c'est, tant au niveau de la réception que de la production, investir son
temps de loisir et son espace domestique pour une pratique artistique.
Ainsi l'apparition d'une opposition entre pratiques professionnelle et
amateur, qui se cristallise corrélativement à l'émergence d'un espace
public esthétique moderne, se double-«t-elle d'une relégation de la figure
de l'amateur au sein de la sphère privée. La naissance des « machines à
communiquer » ou des médias audiovisuels de masse de la fin du XIXe siè
cle (phonographe, photographie, radio, cinéma...) est conjointe à la mise
en forme d'une sphère domestique comme sphère de consommation des
biens de l'industrie culturelle. Une telle évolution a été traduite comme
« privatisation de la culture ». Il est vrai que le développement de l'indust
rie du loisir culturel favorise un repli privatiste aux risques de désocial
isation avérés l. Mais, du côté des institutions de la sphère publique de
l'art, il n'est pas sûr que son évolution « autoréflexive » en « culture pour
experts » vienne répondre encore aux exigences normatives qui sous-ten-
daient l'instauration d'un espace public esthétique au siècle des Lumières.
Lorsque l'on étudie certaines pratiques audiovisuelles amateurs — et
notamment lorsqu'on analyse précisément le fonctionnement interne d'un
caméra-club, comme nous allons le proposer dans ces pages —, il apparaît
que des pratiques de sociabilité amicale, ainsi que la constitution d'un
espace de présentation et de discussion publiques de films au sein d'une
structure associative, viennent inscrire un mouvement des plus intéres
sants de médiation entre institutions publiques et sphère privée. En même
temps, la prise en compte de ces pratiques peut permettre d'appréhender
de façon heuristique une pluralité de formes publiques d'expressions
artistiques, qu'elles soient le fait de professionnels ou d'amateurs, qu'elles
s'attachent aux médias de masse ou aux beaux-arts traditionnels.
207 Allard Laurence
UNE RÉUNION CHEZ M. R.
PREMIER ACTE : DESCRIPTION
Nous sommes en banlieue parisienne, un samedi de l'année 1992, invi
tée au domicile de l'un des membres du Ciné-club 9,5 de France pour
une séance de projection inédite.
Présentation du Ciné- club 9,5 de France.
Pour commencer, quelques mots de présentation de ce caméra-club
fondé en 1966 afin de rassembler les adeptes du format historique du
cinéma amateur, le 9,5 mm, menacé alors par l'apparition du super-8,
qui allait massivement envahir les foyers dans les années 60 2. Les memb
res de ce club sont majoritairement des retraités (ingénieur, gardien de
la paix, brocheur, projectionniste, commerçant...) qui ont appris à faire
du cinéma amateur avec le 9,5 mm et lui sont restés fidèles. Il compte
trois cents membres en France et à l'étranger. Le Ciné-club 9,5 de
France organise annuellement une manifestation à l'étranger (Amster
dam, York, etc.) où tous les membres peuvent se retrouver pendant trois
ou quatre jours. Elle consiste bien sûr en un concours de films, mais
aussi en repas et visites touristiques - visites qui sont autant de prétextes
à filmer. Le public de ces festivals-rencontres, comprenant notamment
des membres du club, constitue le seul jury qui décerne dés coupes pour
le prix du Ciné-club 9,5 de France, pour le prix de la Couleur, pour le
prix de l'Humour et pour le prix Ciseaux (sanctionnant les films trop
longs). Au cours de l'année, au gré des occasions, dès réunions mêlant
projections (sans concours), repas gastronomiques et virées touristiques
sont organisées. Des projections officielles ont également lieu de façon
mensuelle. Elles comportent deux parties : une partie caméra-club, pré
sentant des films des Ciné-clubs 9,5 de la France entière, et une partie
ciné-club3, au cours de laquelle est projeté un film d'édition Pathé en
9,5. Après chaque film, les conversations en aparté où l'on se confie
jugements et remarques sur ce qui vient d'être projeté (« Ça, c'est pas
bon. - Non, c'est pas bon ») fusent. Aucune critique cependant n'est
émise publiquement à l'adresse du réalisateur : la courtoisie est de mise
au Ciné-club 9,5 de France, et l'on ne veut pas « blesser les gens, car
un film représente quand même du travail. Mais les défauts techniques
sont cependant soulignés »... toujours « sans méchanceté », nous dit son
208 public et sociabilité esthétique Espace
président. Une ambiance amicale règne dans ces projections, . peut-être
parce que ces réunions reposent sur quelques piliers du club, qui se
connaissent très bien et ont tissé entre eux des liens d'amitié. Ces
« piliers » participent à toutes les réunions, notamment aux projections
privées qui gravitent autour du club. En effet, parallèlement à ses acti
vités officielles, les adhérents du Ciné-club 9,5 de . France, basés en
région parisienne, se rencontrent, ou plutôt s'invitent mutuellement à
domicile, dans des séances privées, sortes de « sous-clubs » baptisés
« Amicale Cinéma de Paris et sa région, 9,5, S/8 et 16 » ou « Club
CinéManivel ».
Décors, acteurs, paroles.
C'est précisément l'une de ces réunions informelles que nous avons
enregistrée en vidéo, afin d'en étudier le déroulement. Cette séance a lieu
chez M. R., ancien projectionniste. Celui-ci a aménagé une salle de cinéma
dans le sous-sol de son pavillon de banlieue, dans la région parisienne.
Un panneau situé sur la porte et sur lequel est inscrit : « JER : Les fondus
enchaînés présentent » nous en indique le chemin. Ces réunions ont lieu
le samedi après-midi. Quelques rangs de fauteuils de cinéma, des chaises,
des vitrines abritant la magnifique collection de M.R., une cabine de
projection regorgeant d'appareils de projection, d'amplificateurs, de fils,
un écran aux rideaux rouges, par terre devant l'écran des appareils de
cinéma trop volumineux pour les vitrines et, devant la cabine de projec
tion, un imposant appareil de projection en 35 mm : tel est le décor où
M. R. reçoit ses « amis cinéastes ».
Ce samedi, douze personnes étaient présentes, toutes membres du Ciné-
club 9,5. Elles arrivent peu à peu dans cette salle de cinéma domestique
et se saluent petits groupes par petits groupes. Après cette « séquence de
salutations », M. R. suggère à ses invités de s'installer pour la projection
et va lui-même se placer > devant l'écran, face à eux. Il commence la
présentation de la séance dans un brouhaha qui cesse peu à peu. Le
programme qu'il annonce est un « festival » des différents formats du
cinéma amateur (hormis la vidéo). Puis M. R. rejoint sa cabine de pro
jection. La salle est bientôt plongée dans l'obscurité. Les conversants,
qui s'étaient tus pendant le discours d'introduction de M. R., reprennent
leurs discussions, mais en chuchotant. Le premier film, un documentaire
de notre hôte sur un bottier, est lancé ; il est applaudi à la fin par la
salle, comme les autres films le seront. L'obscurité règne toujours, on
entend des chuchotements. Le film suivant commence, il s'agit d'un film
d'actualités de 1936. Il est commenté à haute voix pendant sa projection
209 Laurence Allard
par plusieurs spectateurs qui se répondent — il en sera de même pour le
film suivant (un documentaire tourné à la libération de Paris par l'un
des spectateurs présents dans la salle). Pendant que les lumières des
vitrines se rallument, une conversation s'entame dans la semi-obsc

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