Etre chômeur et devenir patron - article ; n°1 ; vol.70, pg 209-228
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Description

Communications - Année 2000 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 209-228
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 39
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Sonia Sehil
Etre chômeur et devenir patron
In: Communications, 70, 2000. pp. 209-228.
Citer ce document / Cite this document :
Sehil Sonia. Etre chômeur et devenir patron. In: Communications, 70, 2000. pp. 209-228.
doi : 10.3406/comm.2000.2070
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2000_num_70_1_2070Sonia Sehil
Etre chômeur et devenir patron :
passage, mode d'emploi
L'exclusion sociale a su développer son remède générique : l'insertion.
Mais tandis que ce fléau n'en peut plus de nourrir les réflexions sur les
grandes questions du nouvel ordre socio-économique et ses victimes, son
traitement reste un champ d'étude encore timide et peu exploré. Il inspire
pourtant des politiques qui donnent un nouveau ton à l'intervention
sociale.
Aujourd'hui, il ne s'agit plus de panser les plaies des oubliés du progrès
en leur apportant un secours missionnaire, comme une réponse à la fatal
ité de la pauvreté. Les inégalités de reproduction ne peuvent plus expli
quer l'ensemble des phénomènes qui mènent à l'exclusion sociale. Pour
exemple, perdre actuellement l'un des piliers fondamentaux qui construi
sent l'identité sociale - son emploi -, c'est déjà entr'apercevoir le spectre
de la disqualification ; de ce fait, l'intervention sociale n'a plus de public
cible, ou plutôt elle cible tous les gens « normaux » soudain devenus
inutiles à la promotion du modèle socio-économique dominant. Tous ces
individus ne forment pourtant pas une population homogène cernée par
des caractéristiques communes. Les expériences individuelles sont mult
iples, et les profils ne renferment plus de fatalité. En ce sens, faire l'ama
lgame des pratiques et des expériences pour définir la notion d'exclusion
est une tentative vaine et dangereuse. Chômage ne signifie pas exclusion.
Et si le RMI devient un des indicateurs phares pour identifier le volume
du potentiel d'« exclus » économiques, son usage pour la construction
d'une typologie sociale est abusif : pour un artiste peintre, un jeune
diplômé à la recherche de son premier emploi ou un sans-domicile fixe,
l'utilité et le sens du RMI peuvent être liés à des besoins très divers, qui
montrent les limites d'un traitement sociologique de la question de l'exclu
sion au moyen de ce simple outil.
S'il n'existe pas de conscience d'être exclu ni de repère tangible pour
se convaincre qu'on ne l'est pas, la menace réelle et concrète du chômage
209 Sonia Sehil
génère, elle, une angoisse collective. Malgré des retombées inégales selon
les catégories socio-économiques, sa logique latente d'exclusion renvoie
encore à beaucoup d'incertitudes quant au choix des victimes. L'angoisse
est d'autant plus grande que le phénomène ne cesse de croître et que le
chômage longue durée s'est transformé pour certains en « chômage pour
l'éternité ». Cette angoisse s'immisce dans les parcours de vie, au point
de bouleverser la représentation du travail comme clé de voûte de la
reconnaissance sociale. Le sens des étapes de la construction de l'individu
en tant qu'acteur social en est dénaturé, et, par- dessus tout, l'expérience
du chômage fait naître bien souvent un sentiment d'échec personnel dans
une société où, a priori, tout le monde a sa chance.
L'exclusion sociale par le chômage est donc un processus dynamique
qui s'inscrit dans la biographie des individus. Cadres supérieurs ou
menuisiers, jeunes ou tout juste « régularisés », anciens détenus, chefs
d'entreprise en faillite, etc., se lancent, en employant les armes et le
soutien dont ils disposent, dans une nouvelle lutte, imprévue : être à
nouveau pour les uns ; tenter d'être tout court pour les autres.
Lorsqu'un chômeur choisit de créer son propre emploi, son parcours
initiatique en termes d'insertion professionnelle croisera à un moment
donné le parcours du combattant de tous ceux qui souhaitent créer une
entreprise en France. Les étapes qui s'ajoutent alors répondent à des logi
ques différentes, introduisent la présence de nouveaux interlocuteurs et
élèvent les niveaux d'exigence. Par conséquent, les difficultés se multiplient
et contraignent à produire un surcroît d'efforts pour être pris au sérieux.
La mission de l'ADIE (Association pour le droit à l'initiative écono
mique), pour laquelle je travaille depuis trois ans, est de favoriser la
création d'entreprise par des personnes qui n'ont pas accès au crédit
bancaire et dont le projet est pourtant viable. Initiative inspirée des
méthodes de la Grameen • Bank (première banque solidaire créée au
Bangladesh il y a quinze ans et permettant aux plus démunis de financer
leurs activités agricoles et commerciales), le montage des projets et leur
financement par un petit prêt passe par une méthode d'accompagnement
qui couvre toutes les phases du parcours de création d'entreprise (info
rmations sur les droits et les aides, conseils, étude de marché, montage
financier, compétences requises...). Un suivi d'activité permet ensuite de
soutenir le créateur d'entreprise, pour lequel les premières années d'exer
cice sont déterminantes. L'exclusion bancaire concernant de fait princ
ipalement les chômeurs, l'ADIE s'est intégrée au réseau associatif de lutte
contre le chômage et l'exclusion, en valorisant ces projets d'insertion,
avec la collaboration des services sociaux. Pour une large partie du public
210 Être chômeur et devenir patron
rencontré, elle se pose comme réfèrent d'étape dans la validation d'un
projet professionnel élaboré avec les travailleurs sociaux.
L'enjeu pour l'individu est de ne plus se considérer comme un chômeur
cherchant un soutien, mais comme un porteur de projet de création
d'entreprise en quête de crédibilité et de financement. Cette différence
est capitale, car dans ce choix de créer son propre emploi réside un grand
fossé en termes d'identité : passer de l'inactif indemnisé à l'indépendant
qui se crée ses revenus peut remettre radicalement en question la percep
tion que l'on a de soi et l'image que l'on renvoie aux autres. Les capacités
que l'on s'attribue doivent être, en effet, à la hauteur de l'ambition de ce
choix. On y met en jeu sa dignité.
En charge, à l'ADIE, de l'accueil, l'accompagnement, le financement et
le suivi des porteurs de projet de création d'entreprise, cette réflexion sur
les notions d'exclusion et d'insertion, et donc sur le vécu d'un processus de
passage d'un univers socio-économique vers un autre, s'est nourrie de ma
pratique du terrain. La richesse des parcours de vie qui m'ont été racontés,
les témoignages et commentaires formulés durant le travail d'accompagne
ment en composent la matière la plus vive, car ils ont été recueillis au cours
de cette période transitoire, au seuil d'une nouvelle étape de vie.
J'en ai retenu deux aspects essentiels.
Choisir de créer son propre emploi implique déjà nécessairement une
prise en charge par soi-même de son destin pour rompre avec une situa
tion de chômage devenue insupportable. Le chemin qui mène à la création
d'entreprise est une véritable mise à l'épreuve en termes de reconnaissance
sociale et d'identité. Cette mutation s'accompagne de bouleversements
dont les enjeux sont personnels, familiaux et sociaux.
Pourtant, le chemin de la création est loin d'être une entreprise solitaire.
Le parcours est semé d'obstacles techniques et administratifs à dépasser
et validés par de nombreux interlocuteurs qui détiennent des compétences
spécifiques utiles à un moment du parcours. Le rôle de passeurs qui leur
est confié fournit les repères nécessaires pour donner une cohérence à
cette phase transitoire, parfois confuse et déstabilisante.
Dans un premier temps, j'aborderai l'implication du choix de créer son
propre emploi au regard de soi-même et au regard de la société. Il s'agit
autant d'assumer un nouveau rôle parfois inconnu et imprévu que de
recueillir l'approbation s

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