Féministe et nationaliste égyptienne : Huda Sharawi - article ; n°1 ; vol.16, pg 57-75
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Description

Mil neuf cent - Année 1998 - Volume 16 - Numéro 1 - Pages 57-75
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 46
Langue Français
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Extrait

Sonia Dayan-Herzbrun
Féministe et nationaliste égyptienne : Huda Sharawi
In: Mil neuf cent, N°16, 1998. pp. 57-75.
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Dayan-Herzbrun Sonia. Féministe et nationaliste égyptienne : Huda Sharawi. In: Mil neuf cent, N°16, 1998. pp. 57-75.
doi : 10.3406/mcm.1998.1184
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1998_num_16_1_1184Féministe et nationaliste égyptienne
Huda Sharawi
SONIA DAYAN-HERZBRUN
On n'imagine guère en France que dès le début de ce siècle, il
ait pu exister un féminisme militant dans ces régions du Proche-
Orient qui cherchaient à la fois à se libérer de l'emprise d'un
empire ottoman moribond et d'une colonisation européenne aux
visages multiples. Dès qu'il est question des femmes de ce que
l'on a pris l'habitude d'appeler le monde arabe 1 les préjugés et
les stéréotypes orientalistes s'accumulent. C'est à l'écart de ces
clichés qu'il convient de comprendre ce que fut la trajectoire de
Huda Sharawi qui dirigea le mouvement féministe en Egypte de
1923 jusqu'à sa mort, en 1947. On ne saurait considérer Huda
Sharawi comme un personnage marginal. Issue de l'une des très
grandes familles d'Egypte, elle a toujours occupé une place pri
vilégiée dans une société strictement hiérarchisée. Les deux
ouvrages principaux consacrés à l'histoire récente de l'Egypte 2
ne peuvent éviter de mentionner son nom. Mais ils ne le font
qu'en passant, et non sans une pointe d'ironie condescen
dante3. Sexisme oblige. En sous-estimant l'importance des
1. Voir Sonia Dayan-Herzbrun, « Sociétés, rapports de dominat
ion et groupements politiques dans le monde arabe », in
S. Mappa (éd.), Puissance et impuissance de l'État, Paris, Kar-
thala, 1996.
2. Jacques Berque, L'Egypte, impérialisme et révolution, Paris,
1967, et P.J. Vatikiotis, The History of Modem Egypt, Londres, 1991.
3.Berque qui établit le catalogue des pétitions pré
sentées durant l'année 1926 au jeune et très insatisfaisant Par
lement égyptien, une forme empruntée à l'Europe et, dit-il, en
marche vers des contenus, écrit : « Dame Huda Sharawi expose à
nouveau la cause de la femme » (L'Egypte, impérialisme et révo
lution, op. cit., p. 391).
57 débats sur la condition des femmes, ils échouent à rendre
compte des conditions spécifiques du passage à la modernité
politique dans le Moyen-Orient où cette question est nodale. Or
c'est sous cet angle qu'il est le plus intéressant d'étudier Huda
Sharawi qui fut présente dans tous les événements et les débats
essentiels de son temps, et eut une influence décisive, non seu
lement sur l'évolution du féminisme en Egypte, mais sur les
prises de positions des femmes dans cette région du monde.
Huda Sharawi n'a été ni la première ni la seule à mener le comb
at en faveur des femmes du monde arabe. Grande dame révo
lutionnaire comme le furent en leur temps George Sand ou
Marie d'Agout, elle se différencie de celles-ci par un engage
ment obstiné, une volonté tenace de ne jamais séparer la cause
des femmes de celle de la libération nationale, mais aussi par
l'austérité ostentatoire de sa vie privée.
Une enfance dans le harem
Ce que Huda Sharawi a livré de sa vie privée est connu par
les mémoires qu'elle a dictées à son secrétaire, et qui vaut sur
tout par le récit y fait de son enfance et des années de
jeunesse qui précèdent son apparition sur la scène publique.
Cette militante du nationalisme égyptien puis arabe ne savait
pas suffisamment d'arabe pour écrire en cette langue, et c'est
pour cela qu'elle dût avoir recours à un secrétaire. La langue
qu'elle utilisait quotidiennement comme la plupart des femmes
des grandes familles égyptiennes de l'époque était le français
qu'une institutrice italienne lui avait enseigné en même temps
que le piano. Elle avait certes dû apprendre le Coran par cœur,
mais sans être autorisée à recevoir de cours de langue arabe.
Elle raconte comment l'eunuque chargé de veiller sur elle
avait interdit à sa préceptrice de Coran de lui enseigner la
grammaire arabe : « Remportez votre livre, madame l'institu
trice. La jeune dame n'a pas besoin de grammaire, car elle ne
deviendra pas juge » 4. Ce détail n'est pas anodin. Il met en
évidence la complexité du nationalisme et par voie de consé
quence du féminisme, dans beaucoup de pays colonisés éco
nomiquement, culturellement et politiquement. La revendicat
ion nationale s'y est développée dans les couches sociales les
4. Huda Sharawi, Harem Years : The Memoirs of an Egyptian
Feminist, Margot Badran éd. et traducteur, Londres, 1986, p. 39.
58 plus européanisées prêtes à affronter l'Europe tout en import
ant ses modèles. S'agissant des femmes, le problème était
d'autant plus complexe que leur réclusion (y compris sous
l'écran du voile) tellement contraire aux nouveaux modèles
européens en vogue parmi les privilégiés d'Egypte était juste
ment le signe social de leur privilège.
C'est dans cette tension que se développe le féminisme dont
les premiers avocats sont des hommes liés au mouvement
nationaliste. Le plus célèbre d'entre eux est Qasim Amin
(1863-1908) dont le livre La libération des femmes, publié en
1899 provoqua de très vives controverses. Qasim Amin y
appelle expressément à s'aligner sur le modèle des Occiden
taux qui ont compris que traiter les femmes comme des égales
éduquées et libres, ne peut que les conduire au bonheur. « Je
ne crois pas exagéré de proclamer, conclut-il, que les femmes
sont le fondement d'une édification solide de la civilisation
moderne » 5. Dans ce contexte, les quelques Européennes qui
viennent en Egypte et qui se mêlent à la haute société sont bien
accueillies. Qu'elles aient statut d'épouses de personnalités
locales, telles Eugénie Le Brun, l'auteur du livre La répudiée,
dont le mari sera Premier ministre d'Egypte et qui servira de
véritable mère de substitution à Huda Sharawi, ou bien de
conférencières, comme Marguerite Clément ou Mademoiselle
A. Couvreur, l'une des toutes premières femmes à avoir obtenu
en France l'agrégation, elles introduisent de nouvelles idées et
de nouvelles pratiques, en ouvrant des salons ou en n'hésitant
pas à se montrer à l'Opéra. Ces comportements sont perçus
comme autant d'expressions de ce modernisme occidental qui
donne la puissance économique et militaire, et qu'il s'agit
d'imiter pour mieux le combattre. Mais en même temps il faut
bien marquer des différences qui justifient la revendication
d'une identité nationale dans une continuité historique so
igneusement recomposée. En Egypte, comme ailleurs, ce sont
les femmes qui seront les supports d'un imaginaire de la
généalogie et de la tradition 6.
5. Qasim Amin, Women and the Veil, Le Caire, 1997, p. 59.
6. Je me réfère ici aux thèses bien connues de Benedict Anders
on, et j'ai analysé ailleurs le processus de construction du sent
iment national palestinien à travers les femmes (cf. Sonia Dayan-
Herzbrun, « L'ombre d'un homme : la situation des femmes
palestiniennes », Cahiers du Cedref, 4-5, 1995).
59 Les femmes d'Egypte ont eu la chance de pouvoir invoquer
le passé de Г Egypte ancienne et de la condition privilégiée que
les femmes semblent y avoir occupée. Elles n'ont donc pas
manqué de s'appuyer sur cette mémoire mythique pour expri
mer leurs revendications. Mythique, cette mémoire l'était à plus
d'un titre. Depuis le temps des pharaons, l'Egypte avait été hel
lénisée, soumise aux Romains, traversée par les invasions
arabes, berbères, rattachée à l'empire ottoman et gouvernée par
des dirigeants appartenant aux différents peuples qui y vivaient.
La mère de Huda Sharawi elle-même était une esclave circas-
sienne. Quant au statut des femmes, il était essentiellement mar
qué par la position sociale. Les paysannes et les femmes du
peuple étaient libres de leurs mouvements et n'avaient pas le
visag

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