Horlogisme et programme sportif - article ; n°1 ; vol.67, pg 59-70
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Description

Communications - Année 1998 - Volume 67 - Numéro 1 - Pages 59-70
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 14
Langue Français

Extrait

Dominique Chateau
Horlogisme et programme sportif
In: Communications, 67, 1998. pp. 59-70.
Citer ce document / Cite this document :
Chateau Dominique. Horlogisme et programme sportif. In: Communications, 67, 1998. pp. 59-70.
doi : 10.3406/comm.1998.2016
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1998_num_67_1_2016Dominique Chateau
Horlôgisme et programme sportif
le cas du football américain
Dans le dernier quart du XX' siècle [note Johan Huizinga], le dévelop
pement de l'entité sport se produit dans le sens d'une conception de
plus en plus sérieuse du jeu. [...] Tout le monde connaît les gravures de
la première moitié du siècle dernier, représentant des joueurs de cricket
coiffés de hauts-de-forme. Elles sont éloquentes. A présent, la systémat
isation et la discipline toujours croissantes du jeu vont, à la longue,
supprimer quelque chose de la pure teneur ludique1.
Pour cet auteur, en effet, la spontanéité, la naïveté sont des conditions
spécifiques du ludique. En se spécialisant, le sport devient davantage une
spécialité professionnelle qu'une activité purement ludique (d'amateur
au double sens du terme). Ce changement doit être mis en relation avec
une perte de valeur cultuelle signifiant, corrélativement, la disparition
des liens qui unissaient jadis le jeu à la société et le sport à ses activités
festives.
La science parfaite avec laquelle la technique sociale moderne sait exal
ter l'effet des démonstrations de masse [ajoute Huizinga] ne change
rien au fait que ni les Olympiades, ni l'organisation sportive des uni
versités américaines, ni les compétitions internationales annoncées à
grand fracas, n'ont pu relever le sport au niveau d'une activité créatrice
de style et de culture 2.
Le sujet que j'aborde ici m'incite sinon à contredire ce propos, du moins
à prendre quelques distances avec lui. Le football américain est l'un des
sports qui atteignent le plus haut degré de spécialisation imaginable, en
sorte qu'il est évidemment fort éloigné de la teneur ludique au sens de la
participation spontanée, naïve et créatrice au jeu. Du côté des joueurs,
c'est un jeu hautement stratégique ; du côté du spectateur, c'est comme
une représentation où l'on ne s'investit pas en tant que joueur ; du côté
59 Dominique Chateau
des propriétaires des équipes et de la télévision, c'est un business. Cepend
ant, la valeur cultuelle et la pertinence sociale de ce sport sont loin d'être
négligeables. Par-delà son public spécialisé (tous les sports en ont), par-
delà même le public plus général qui le goûte, c'est la société américaine
dans son ensemble qui se reconnaît dans ce jeu qui lui est spécifique, qui
est implanté dans le réseau universitaire (sachant que les universités aux
Etats-Unis ne sont pas coupées du tout social comme en Europe) et que
la télévision entretient dans sa forte socialite.
En particulier, « la science parfaite avec laquelle la technique sociale
moderne sait exalter » ce sport, en l'occurrence la science communica-
tionnelle, ne saurait être simplement regardée pour une vaine tentative
de lui redonner sa valeur cultuelle et sa pertinence sociale. Ce n'est pas
par pur jeu (!) que les chaînes se disputent âprement la concession de la
retransmission télévisée du football. La télévision américaine ne célèbre
que ce qui l'enrichit ; mais ce qui l'enrichit ne saurait être un spectacle
créé de toutes pièces sans aucun ancrage social. C'est, au contraire, à la
fois le mérite et la faiblesse de cette télévision que de puiser dans le social
pour confectionner ses produits. Les records d'audience du football sont
à l'exacte mesure des records d'affluence dans des stades gigantesques où
le public célèbre non seulement les héros du jour, mais aussi la gloire de
la nation américaine, ciment d'un tissu social bigarré. De même, on ne
peut manquer d'être frappé par la corrélation étroite qui existe entre la
forme de la messe « footballistique » hebdomadaire, son faste, ses attrac
tions, etc., et les nombreuses fêtes (Halloween, Thanksgiving, etc.) qui
jalonnent la « saison » (entre septembre et janvier).
Si le football américain n'est pas une spécialité sportive purement
réduite à son propre fonctionnement, qui n'aurait d'autre rituel qu'elle-
même, c'est donc que, en dépit de son extrême degré de technicité, il
participe d'un véritable rituel social par le biais du média télévisuel. La
télévision n'est pas qu'un ajout ou une simple courroie de transmission ;
elle ne sert pas . seulement à annoncer, ou à promouvoir le football « à
grand fracas ». Elle est indissociable de lui, et réciproquement. Sport et
télévision sont en parfaite connivence, pour le meilleur comme pour le
pire...
Tentative de définition générale.
Wittgenstein a introduit un doute sur la possibilité de la définition
générale en utilisant la notion de jeu : entre les différents jeux il y a tout
un réseau d'analogies, de « ressemblances de famille », mais aucun déno
minateur commun (par exemple, le tennis s'apparente au football par le
60 Horlogisme et programme sportif
fait qu'on utilise une balle, aux échecs par le fait que deux adversaires
s'affrontent, etc.) 3. Maurice Mandelbaum a suggéré pour sa part que, de
même que la ressemblance de famille se fonde sur un lien génétique, il
peut exister un lien sous-jacent et structurel permettant de définir en
général le jeu comme « the potentiality of a game to be of absorbing
non-practical interest* ». L'expression est difficile à traduire directement
en français ; une paraphrase est plus efficace : la capacité de tout jeu à
susciter (de la part des joueurs comme des spectateurs) l'investissement
d'un intérêt profond dans une activité sans but utilitaire immédiat. Cette
définition met l'accent sur un aspect important, mais elle comporte plu
sieurs difficultés.
Ce qui peut constituer une définition générale du jeu ne saurait être
les caractéristiques particulières et manifestes de tel ou tel jeu, mais plutôt
un aspect interne, relationnel, en l'occurrence une sorte de contrat qui
lie les partenaires. Huizinga souligne aussi cet aspect général dans sa
définition du jeu : le contrat entre les joueurs le définit comme une action
à laquelle on adhère librement, qui se situe dans une sphère spécifique
détachée de la vie courante (spatialement ettemporellement délimitée)
et à laquelle on participe intensément, jusqu'à s'y absorber corps et âme.
De là une certaine idée de la teneur ludique qui exclut la professionna-
lisation et le commerce. Ludique serait synonyme d'adhésion libre, gra
tuite, pour le plaisir. Cependant, on pourrait induire de là l'idée d'un
désintéressement, comparable à celle que Kant attribue à la relation esthé
tique - le plaisir purement désintéressé n'est déterminé ou accompagné
par aucun intérêt, qu'il soit pratique ou cognitif 5. Il y a deux raisons de
considérer que le contrat ludique n'est pas désintéressé. D'une part, s'il
réalise un désintéressement radical vis-à-vis de ce qui est en dehors de la
sphère de jeu, il manifeste l'investissement absolu de l'intérêt des joueurs
dans ce qui se règle au sein de cette sphère. D'autre part, comme le
souligne Huizinga, sa qualité de désintéressement ne signifie pas que le
jeu soit futile, insignifiant, sans aucune utilité sociale : bien au contraire,
il est « indispensable à l'individu, comme fonction biologique, et indi
spensable à la communauté pour le sens qu'il contient [...] les liens spiri
tuels et sociaux qu'il crée, en bref comme fonction de culture6 ».
Souvent donc l'absorption dans un espace ludique restreint sert à régler
des problèmes de l'espace social environnant. Mais il ne faut pas en faire
une règle générale. Il me semble qu'il convient de discerner les jeux qui
ont cet impact social total, en dépit de leur apparence confinée dans une
ère sp

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