Jeux, modes et masses - article ; n°19 ; vol.4, pg 47-60
14 pages
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Description

Réseaux - Année 1986 - Volume 4 - Numéro 19 - Pages 47-60
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 32
Langue Français

Extrait

Paul Yonnet
Bibliothèque des Sciences
Humaines
NRF
Editions Gallimard
Jeux, modes et masses
In: Réseaux, 1986, volume 4 n°19. pp. 47-60.
Citer ce document / Cite this document :
Yonnet Paul, Bibliothèque des Sciences Humaines, NRF, Editions Gallimard. Jeux, modes et masses. In: Réseaux, 1986,
volume 4 n°19. pp. 47-60.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_1986_num_4_19_1224MODES ET MASSES JEUX,
1945-1985
Paul YONNET
© Bibliothèque des Sciences Humaines, NRF, Gallimard.
G- L'irruption rapidement inondante des pratiques de masse
dans la France d'après-guerre témoigne d'une introduction
plutôt brutale de la modernité dans une société résolument
antimoderne, résolution persistant jusqu'à la caricature idéo
logique, encore tiède, du pétainisme. Cette introduction a été
le fait volontaire des acteurs sociaux. Et elle n'a pas eu de
« porte-parole » : ni dans les arts, ni dans les lettres, ni — plus
grave encore — dans les sciences humaines. Seul le cinéma
comique y a fait de fréquentes allusions, ce sujet devenant
parfois même le thème central du film : citons Mon oncle de
Jacques Tati (1958), ou bien encore l'excellent Tracassin ou
les plaisirs de la ville, d'Alex Joffé, avec Bourvil (1961). Au
total, on peut dire que l'introduction de la modernité dans
la société française a été extraordinairement visible, mais
comme inexprimable (Mon oncle est d'ailleurs un film presque
muet), incroyablement souterraine, le franchissement inver-
balisable d'une ligne tabou. Comme si le succès de cette trans
gression dépendait du silence fait sur elle.
Le tiercé répond de manière frappante à cette description :
un phénomène rapidement repérable par son ampleur, que
tout le monde voit, mais un phénomène toujours décrié quand
on en parle du dehors, et sur lequel le media télévisuel va
longtemps faire l'impasse (en effet, s'il retransmet la course,
il refuse toute émission de pronostics durant vingt ans); une
imposante masse de joueurs jamais tentée par la constitution
d'un groupe de pression, une passion technique interne au
cercle des parieurs, inapte à la singularisation d'un discours
de séduction au-delà de lui-même. Une passion visible mais
49 s'épanouissant de façon presque occulte, à peine secrète,
trahie par la nécessité de communiquer à la France entière
les trois chiffres fatidiques, écume du phénomène.
Or, affirmer que le tiercé constitue un acte essentiel du
passage à la modernité de la société française, du processus
de rattachement de notre pays à une échelle occidentale des
phénomènes ne relève pas d'une constatation d'évidence. À
première vue, en effet, le tiercé mode de vie paraît au contraire
se désolidariser d'un processus d'américanisation : petites
mises, routine des faibles rapports, le tiercéiste n'entretient
aucun espoir de gain faramineux. Il ne cherche pas à « décro
cher la timbale », à échapper à son milieu de vie, il
aucun rêve de vol social. Améliorer son ordinaire lui suffit.
Au pari mutuel, certes, les joueurs s'engagent les uns contre
les autres, mais les compétitions sont de faible envergure. Et
les gains éventuels sont soumis à la libre obligation du don
réciproque, technique de péréquation passant par l'assiduité
au zinc. La France du tiercé est pacifique, tranquille, parta-
geuse, sociable, bien définie, c'est une communauté d'indi
vidus stabilisés, positivement intégrés, malgré l'exode rural,
dans des frontières sociales et culturelles sûres.
Trente ans après, cette France a vieilli. Elle est toujours
composée de petits et moyens salariés des secteurs industriels
et tertiaires, ceux qui, venant des campagnes, découvraient
la ville et dont la mobilité radicale a bouleversé les perspect
ives de modernisation du pays. Mais plus que jamais, ce sont
des hommes, mariés. Ils n'ont pas le baccalauréat, un titre
qui suffit à faire baisser la pratique du tiercé de moitié '. La
France du tiercé, c'est celle qui précède l'émancipation de la
femme, les nouvelles règles de conjugalité, l'union libre, la
formation permanente, la nouvelle droite et la nouvelle phi
losophie, le choc des mots et le poids du loto. Celle aussi qui
précède la restructuration industrielle, la révolution info
rmatique et les rêves de sécurité par la fortune consécutifs au
spectre grandissant du chômage. La France du tiercé, c'était
celle des bistrots/brasseries et du plein-emploi, une France
entre deux âges, qui voulait bien s'américaniser, mais en dou-
1 . Source : Pratiques culturelles des Français, description socio-démographique, Évolution
1973-1981, Paris, Dalloz, 1982. Cette enquête a été commanditée par le ministère de
la Culture.
50 ceur. Cette France-là, qui résiste, peut-être au fond de chacun
de nous, a déjà un parfum d'époque.
Mais trois traits suffisent à rapporter ce jeu aux grands axes
évolutifs par lesquels se définissent, principalement à l'échelle
occidentale, depuis la guerre, l'avancée concomitante de la
modernité et de la démocratie : Г individualisme de la pratique,
son caractère de masse et non de foule — l'un d'ailleurs expans
ion de l'autre—, sa dépolitisation à la fois active (la parodie
du suffrage) et passive (les effets incontrôlables de la parodie).
Le tiercé illustre la très profonde solidarité des processus à
l'œuvre, au moins, dans cette partie du monde, par-delà des
points d'application multiples, des oppositions déclaratives et
des contradictions secondaires. Une solidarité spectaculaire-
ment illustrée, encore, par l'évolution identique -en Occident
— des indices témoignant de la « transition démographique »
comme des nouvelles pratiques de maritalité et de parentalité.
Les masses contre les foules.
Individualisme, dépolitisation et massification sont des
caractères intimement liés. Certaines de ces liaisons ont été
démontrées, dans leur positivitě, voire leur négativité sup
posée, notamment à propos du tiercé, du rock, de la mode
et de l'automobile. Il n'y a donc pas lieu d'y revenir. En
revanche, certains points demandent des compléments purs
et simples d'information, d'autres gagnent à la généralisation.
La question du « dépolitique », particulièrement facile d'accès
selon nous mais tellement à rebrousse-discours dominant,
exige des éclaircissements de différente nature. Singulière
ment parce qu'elle est présentée, non comme un obstacle à
l'approfondissement démocratique, mais une condi
tion de celui-ci.
De 1914 à 1945, de Moscou à Madrid, de Rome à Nuremb
erg, de Paris à Berlin, l'Europe continentale aura été l'aire
des foules. Libérés partiellement mais décisivement des sol
idarités de la famille et du village par l'État, les individus
n'auront eu de cesse de se soumettre à des idées directrices
au travers de leaders, bref, de reformuler une unité, politico-
idéologique, du monde. À cette régression patente de PÈbre
à l'Oural, de Dantzig à la Sicile, succède l'ère des masses,
51 .
.
limitée à la sphère d'influence anglo-saxonne, mais conta
minant, par exemple, la dictature franquiste jusqu'à provo
quer sa fusion interne. Belle Époque, soit une quarantaine
d'années à ce jour (1945-1985), marquée par la prolifération
de pratiques de loisirs extrêmement individualisées, qui se
développent tantôt à l'écart du politique, tantôt contre celui-
ci. C'est ce que nous avons appelé, s'agissant de la mode, le
mouvement de civilisation des pratiques, capital à repérer.
Qu'il soit devenu moins facile pour les hommes politiques,
gardiens des idéologies unifiantes, longtemps concurrents du
clergé, de mobiliser des foules soumises à l'uniforme, et en
uniforme, on le repère à différents signes. Valéry Giscard
d'Estaing, après Georges Pompidou, choisit d'instaurer au
travers de sa pr

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