L héritage insu : les secrets de famille - article ; n°1 ; vol.59, pg 231-243
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L'héritage insu : les secrets de famille - article ; n°1 ; vol.59, pg 231-243

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Description

Communications - Année 1994 - Volume 59 - Numéro 1 - Pages 231-243
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 39
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Serge Tisseron
L'héritage insu : les secrets de famille
In: Communications, 59, 1994. pp. 231-243.
Citer ce document / Cite this document :
Tisseron Serge. L'héritage insu : les secrets de famille. In: Communications, 59, 1994. pp. 231-243.
doi : 10.3406/comm.1994.1901
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1994_num_59_1_1901Serge Tisseron
L'héritage insu :
les secrets de famille
En prononçant le mot de «secret», nous pensons tout de suite aux
secrets gardés pour nous protéger des autres. Cela n'est pas faux. Savoir
garder un secret est une nécessité absolue dans certains domaines de
l'industrie ou des finances. Et, dans la vie de chacun, une part de secret
existe également et protège les domaines de notre vie intime ou privée.
D'ailleurs, la découverte par l'enfant de la possibilité de garder un secret
vis-à-vis de ses parents est toujours un moment important de son évolut
ion. En éprouvant que ses parents ne devinent pas le contenu de ses
pensées, il accède à une vie psychique personnelle.
Les secrets de famille, eux, ne correspondent pas à de telles situations
stratégiques ou de préservation de la sphère privée de chacun. Ils cor
respondent à des événements dont il est impossible aux protagonistes
de parler parce qu'ils les ont vécus avec honte ; ou même d'événements
vécus dans une telle violence que leurs participants n'ont pu continuer
à vivre qu'en les écartant totalement de leur vie consciente. Ces événe
ments, qui constituent des traumatismes insurmontés et indicibles pour
ceux qui les ont vécus, ne peuvent donc pas recevoir d'inscription ver
bale dans la mémoire familiale. Mais ils ne sont pas pour autant «hors
symbolisation». Ils sont présents dans la vie psychique et relationnelle
de celui (ou de ceux) qui les a (ont) vécus sous une forme affective et
comportementale. Il en résulte des distorsions entre les différents types
de communication du parent. Ces distorsions, jointes à l'interdit qui est
opposé à l'enfant de connaître l'événement en cause, peuvent avoir des
conséquences dramatiques sur plusieurs générations. Elles peuvent en
particulier provoquer chez les descendants des attitudes émotionnelles
ou des conduites dont le sens leur échappe et qui les contraignent à leur
insu.
231 Serge Tisseron
LES TRANSMISSIONS DE LA VIE PSYCHIQUE
ENTRE LES GÉNÉRATIONS
Les transmissions de la vie psychique entre générations sont un phé
nomène normal. Elles mettent en jeu tous les moments d'échange privi
légié entre enfants et parents, et tous les types de communication y sont
impliqués, verbaux et non verbaux.
On peut distinguer :
— les transmissions sensori-affectivo-motrices, qui impliquent la motri
cité (à travers les comportements), les réactions sensorielles (comme le
plaisir et la douleur) et les réactions affectives ;
— les transmissions par le langage sur son versant vocal (par exemple
dans les composantes et associations phonétiques privilégiées par les plai
santeries, les légendes, ou les contes racontés dans chaque famille);
— les transmissions par le langage sur son versant sémantique.
Tout enfant est dès la naissance plongé dans un monde de communic
ations qui déborde de toutes parts ses possibilités de maîtrise. Si les
communications répondent pour une part à ses attentes, elles sont aussi
porteuses pour une autre part d'un sens supplémentaire qui lui échappe.
Normalement, l'ensemble de ces influences dessine des figures contra
dictoires concernant divers aspects de la vie psychique des parents, et
l'enfant leur donne successivement différents sens au cours de sa matur
ation psychique. Mais il peut arriver qu'un grand nombre de ces influen
ces s'organisent de telle façon qu'elles cernent et délimitent une zone
douloureuse du fonctionnement psychique du parent. Bien que ne consti
tuant pas un secret au sens courant et familier du terme, de telles situa
tions sont perçues comme telles et peuvent déterminer des perturbations
sur plusieurs générations.
L'étude de ces perturbations a commencé avec les travaux de Nicolas
Abraham et Maria Torok (1961-1975). Pour ces auteurs, l'essentiel de
l'apport de Freud tient dans le déchiffrement, derrière chaque symptôme,
de la trace d'un passé conflictuel qui peut surgir à tout âge et de toutes
parts. Or, constatent ces auteurs, il existe des douleurs dont la remémo-
ration et le récit paraissent exclus. Nicolas Abraham et Maria Torok insis
tent sur le fait que de telles situations ne sont pas organisées autour de
désirs inassouvis du patient dont la mise en mots serait bloquée par le
refoulement, mais autour de qui se sont effectivement produit
es, mais dont la mise en mots est impossible, notamment du fait de la
forte honte qui les a accompagnées. De telles situations — qui peuvent
être des situations de violence sexuelle, mais pas seulement — provo-
232 insu : les secrets de famille L'héritage
quent la formation d'une « incorporation » au sein du Moi. L'incorporat
ion correspond à l'enfermement dans une partie de la personnalité de
l'ensemble des émotions, des pensées et des images qui ont été mobili
sées dans une situation éprouvante. Cet « enfermement » est parfois réussi.
Rien alors ne se manifeste de son contenu. Mais il détermine le plus
souvent des émotions ou des comportements excessifs ou déplacés par
lesquels s'exprime cette partie du sujet officiellement condamnée au
silence, mais toujours active en lui. Les cas les plus graves d'incorporat
ion sont liés à des situations indicibles partagées avec un tiers et défini
tivement condamnées au secret par la disparition de ce tiers. Pour désigner
le mécanisme qui y est mis en jeu, Nicolas Abraham et Maria Torok ont
créé le concept de « refoulement conservateur » et l'ont opposé au « refou
lement dynamique » décrit par Freud. Alors que le refoulement dynami
que se définit en termes de conflit incessant entre les manifestations du
désir et celles de l'interdit, le refoulement conservateur agit une fois pour
toutes en confinant dans un lieu psychique secret la réalité d'un acte
inavouable. Ce lieu est ce que ces auteurs appellent une «crypte».
Les effets de la «crypte» d'un sujet sur un autre qui lui est attaché
— et en tout premier lieu ses enfants — constitue le « travail du fantôme
au sein de l'inconscient». Le «fantôme» peut avoir des effets sur plu
sieurs générations successives. Il contraint ceux qui en sont porteurs à
un travail de symbolisation par rapport à un objet interne inconnu d'eux-
mêmes aux dépens de la symbolisation de leur vie pulsionnelle propre.
LES SECRETS DE FAMILLE AUJOURD'HUI
Dans les familles, les secrets sont très souvent organisés autour de nais
sances, de deuils, de mariages, d'adoptions, de grossesses, d'avortements,
de divorces, de morts, de maladies physiques ou mentales, de dépen
dances et de toxicomanie. Ils peuvent concerner des événements privés*
mais aussi des événements collectifs. La honte qui entoure le sida,
aujourd'hui, peut conduire à créer des secrets, par exemple dans les
familles où le développement des signes de la maladie chez un mari ou
un père fait suspecter par son conjoint ou ses enfants l'éventualité d'une
homosexualité trop culpabilisée pour pouvoir être révélée. L'important
est que l'événement inaugural du secret soit toujours un événement vécu
avec peine, douleur ou honte, autrement dit un événement «traumatis
ant». S'il existe en effet des traumatismes qui n'engendrent pas de secret
parce qu'ils sont élaborés et surmontés, il est bien rare qu'il n'y ait pas,
à l'origine de tout secret, un traumatisme non surmonté.
233 Serge Tisseron
De tels événements traumatiques concernent autant les traumatismes
subis que les traumatismes infligés à autrui ou même — et cela est essentiel
— ceux dont on a pu être le témoin. Pour la victime, le souvenir du tra
umatisme douloureux ou honteux est lui-même douloureux ou, pour le
moins, perturbateur. Elle a tendance à écarter ce souvenir de sa cons
cience — et donc à ne pas y faire allusion — afin de ne pas renouveler
sa propre douleur. Quant à celui qui a

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