L « Idéal » Baudelairien - article ; n°3 ; vol.42, pg 364-393
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Annales de Bretagne - Année 1935 - Volume 42 - Numéro 3 - Pages 364-393
30 pages

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Publié le 01 janvier 1935
Nombre de lectures 25
Langue Français
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Extrait

L. Legras
L'« Idéal » Baudelairien
In: Annales de Bretagne. Tome 42, numéro 3-4, 1935. pp. 364-393.
Citer ce document / Cite this document :
Legras L. L'« Idéal » Baudelairien. In: Annales de Bretagne. Tome 42, numéro 3-4, 1935. pp. 364-393.
doi : 10.3406/abpo.1935.1737
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1935_num_42_3_1737L. LEGBAS
L' « IDÉAL » BAUDELAIRIEN
« Je suis et j'ai toujours été à la fois responsable el
vicieux i. » Baudelaire, par cet aveu, assume le péché originel,
et une de ses plus lourdes conséquences, l'ennui, avec son
accompagnement obligé d'images perverses, de débauche,
d'anxiété, de lâcheté.
C'est que, parfois, il a pu percer, à travers celle noire
atmosphère de son âme, jusqu'au « Ciel antérieur » — anté
rieur non seulement à ses fautes personnelles, mais au péché
primitif qui a exclu l'homme de la vue de Dieu. Or, il dépend
ait de lui, pense-t-il, de le faire plus souvent : non par des
procédés artificiels, par des drogues, mais par l'effort continu,
par la règle, par la tempérance 2. La vue de Dieu, on de la
beauté par laquelle il se manifeste, l'aspiration du moins et
l'effort vers un de ses rayons, la joie et l'ardeur de cette
ascension morale, voilà V idéal que Baudelaire oppose à ia
réalité spleenétique, et lasse ou nnxieuse, de sa vie habituelle 3.
1. A sa mère, 21 juin 1861.
2. Voir L'Ennui Baudelalrlen. — Annales de Bretagne, 1934, page 32.
3. Dans le Salon de 1846, VII, De l'idéal et du modèle, Baudelaire disait :
« Ainsi l'idéal n'est pas cette chose vague, ce rêve ennuyeux et impalpable
qui nage au plafond des Académies; un idéal, c'est l'individu redressé par
l'individu, reconstruit et rendu par le pinceau et le ciseau à l'éclatante
vérité de son harmonie native. » Encore faut-il concevoir ou deviner cet
idéal : la conception de Baudelaire a changé dans les années cinquante,
comme sa poésie.
De 1840 à 1850 (environ), son idéal esthétique est celui de Th. Gautier
et de l'Art pour l'art, comme il résulte de ses œuvres de ce temps et,
en particulier, du sonnet intitulé L'Idéal. — Son idéal moral (à base
esthétique) c'est le calme au-dessus de la tempête des passions, exprimé
par Don Juan aux Enfers. L' « IDÉAL » JBAIDELAIRIEX 365
Par le travail, Baudelaire peut secouer son spleen, et
même s'élever sinon jusqu'à la jouissance immédiate, au
moins jusqu'à la description, ou seconde, d'un
état idéal. « II est des jours où l'homme s'éveille avec un
génie jeune et vigoureux. Ses paupières à peine déchargées
du sommeil qui les scellait, le monde extérieur s'offre à lui
avec un relief puissant, une netteté de contours, une richesse
de couleurs admirables. Le monde moral ouvre ses vastes
perspectives, pleines de clartés nouvelles. L'homme gratifié
de cette béatitude, malheureusement rare et passagère, se
sent à la fois plus artiste et plus juste, plus noble pour tout
dire en un mot4... D'ailleurs cet état charmant et singulier,
où toutes les forces s'équilibrent, où l'imagination, quoique
merveilleusement puissante, n'entraîne pas à sa suite le sens
moral dans de périlleuses aventures, où une sensibilité ex
quise n'est plus torturée par des nerfs malades, ces conseillers
ordinaires du crime ou du désespoir, cet état merveilleux
dis-je, n'a pas de symptômes avant-coureurs. Il est aussi
imprévu que le fantôme. C'est une espèce de hantise, mais
de hantise intermittente, dont nous devrions tirer, si nous
étions sages, la certitude d'une existence meilleure et l'espé
rance d'y atteindre par l'exercice journalier de notre volonté.
Cette acuité de la pensée, cet enthousiasme des sens et de
l'esprit, ont dû, en tout temps, apparaître à l'homme comme
le premier des biens 5. »
Après 1850, cet, idéal moral s'humanise : il aspire encore à être un « dandy »,
ou un « héros », mais en même temps « un saint pour lui-même »
(Mon cœur mis à nu, LU), en esthétique, il définit, son idéal dans Fusées.
XVT : « j'ai trouvé la définition du Beau, de mon Beau... quelque chose
d'ardent, et, de triste... le mystère, le l'egrot,... et enfin... le malheur... Satan
- à la manière de Milton. »
Mais dans la distribution <ie la lrp partie des Fleura du Mal, Idéal s'oppose
simplement à Spleen, que Baudelaire a défini, plusieurs fois, un état de
" complète dépression »; c'est donc un état d'exaltation, comprenant sans
doute plusieurs degrés, depuis le vol puissant et calme de Bénédiction, jus
qu'aux élans brisés du Voyage (exclusivement).
4. Baudelaire a signalé à plusieurs reprises, notamment dans ses Notes
nouvelles sur Edgar Poë et dans son étude sur Auguste Barbier, l'alliance
étroite du Beau et du Bien.
5. Le Poème du Haschisch, I, Le goût de l'Infini. 366 1/ a IDÉAL » BAUDELALRIEX
Baudelaire décrit avec tant de précision, dans les chapitres
suivants des Paradis artificiels, cette euphorie surprenante
et presque divine, puis la sensation insupportable de spleen
et d'angoisse qui lui succède, dans l'ivresse du haschisch,
qu'on croit reconnaître, en ces vives peintures, la matière
même de la poésie Baudelairienne ; et on est prêt à conclure
que les Fleurs du Mal, de l'aveu même de leur auteur, seraient
plus justement nom niées le Poème du Haschisch. Mais nulle
conclusion ne serait plus téméraire : pour ressentir dans
l'ivresse les mêmes impressions que Baudelaire, il fallait être
Baudelaire, car les effets du haschish varient avec les sensi
bilités6. Et Baudelaire lui-même, paralysé par le poison, ne
pouvait les noter sur-le-champ, mais seulement de souvenir,
et si grises, si décolorées 7 qu'il ne les reconnaissait bien que
dans sa vie normale, quand il en éprouvait naturellement
d'analogues, à l'audition de la musique de Wagner, par
exemple. C'est donc uniquement dans la sensibilité du poète
qu'il faut chercher l'inspiration de sa poésie.
Représentons-nous, une fois de plus, l'existence de Baudel
aire : il est fait pour le confort et surtout pour l'élégance, il
erre de loyer misérable en loyer lépreux et manque parfois
d'un habit décent8; il sent le besoin d'une affection dévouée
qui l'entoure, il n'a autour de lui que la solitude ou, ce qui
est pis, la rapacité9; il est malade et obligé, dans les douleurs
trop vives, de recourir à l'opium, qu'il maudit10; ou bien il
est en proie à l'odieux spleen et à l'incapacité de tout travail,
de toute pensée11 : « C'est là nia plaie, ma grande plaie, écrit-
il, car il y a quelque état plus grave encore que les douleurs
physiques : c'est la peur de voir s'user, et péricliter, et dispar
aître, dans cette horrible existence, pleine de secousses,
6. Le Poème du Haschisch, IV, L'Homme-Dieu.
7. Ib., V, Morale. — Cf. Théophile Gautteh, Charles Baudelaire.
8. Lettres à sa mère, 28 mars 1853, 23 février, 8 mars et h décembre 1854'.
5 avTil 1855, etc...
9. Ib., 26 mars 1853, 25 décembre 1857. Cf. 31 août 1863, « je souffre tellement
du mangue d'amitié et de luxe ».
10. 7b., 30 décembre 1857, et il janvier 1858.
11. Ib., 26 mars 1853, 30 décembre 1857, etc... L' BAUDELAIKIE.N 367 « IDÉ-AL »
l'admirable faculté poétique, la netteté d'idées et la puissance
d'espérance qui constitue en réalité mon capital » 12. A cette
plaie une autre s'ajaute bientôt, également cruelle parce
qu'elle le prive également de l'usage de ses talents, le mépris
qui l'environne : « Ma situation relative à l'honorabilité épou
vantable... Jamais de repos, des insultes, des outrages, des
avanies dont tu ne peux avoir l'idée, et qui corrompent
l'imagination, la paralysent. »
C'est d'un tel amoncellement de souffrances, et aussi de
remords, qu'à des intervalles inégaux — et plus longs, sans
aucun doute

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