La femme savante - article ; n°1 ; vol.93, pg 27-39

Nicole Mosconi

Description

Revue française de pédagogie - Année 1990 - Volume 93 - Numéro 1 - Pages 27-39
Toute réflexion sur les relations entre scolarité et emploi féminin conduit à une énigme apparente. Les filles ont une réussite scolaire globalement supérieure à celle des garçons (au niveau de l'enseignement primaire et secondaire) et cependant la situation des femmes au niveau de l'emploi reste nettement inférieure à celle des hommes. Chacun sait aujourd'hui que, dans les services publics comme dans les entreprises privées, plus élevés sont les grades et les salaires, plus la proportion des femmes est faible (1). Ainsi donc l'égalité d'accès aux savoirs réalisée par le système scolaire n'a pas suffi à garantir aux femmes l'égalité de formation et encore moins l'égalité professionnelle.
On admet généralement que cette situation des femmes est la conséquence d'une structure sociale de pouvoir des hommes sur les femmes. Dans la mesure où il s'agit d'un pouvoir peu institutionnalisé et dont les bases juridiques s'effritent, l'idéologie joue un rôle essentiel pour le perpétuer.
Highbrow woman : a figure of the sexist ideology in history of education. - Equal access to knoweldge provided by the educational system has been unable to secure training equality and a fortiori occupational equality for women. Discrimination is the consequence of a social structure which allots power to men only. Insofar as this power is little institutionalized and submitted to the decay of its legal bases, ideology plays a fundamental part in its survival.
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: REVUE_FRANCAISE_DE_PEDAGOGIE
• Publié le: 01 janvier 1990
• Nombre de lectures: 41
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Mme Nicole Mosconi
La femme savante
In: Revue française de pédagogie. Volume 93, 1990. pp. 27-39.
Résumé
Toute réflexion sur les relations entre scolarité et emploi féminin conduit à une énigme apparente. Les filles ont une réussite
scolaire globalement supérieure à celle des garçons (au niveau de l'enseignement primaire et secondaire) et cependant la
situation des femmes au niveau de l'emploi reste nettement inférieure à celle des hommes. Chacun sait aujourd'hui que, dans les
services publics comme dans les entreprises privées, plus élevés sont les grades et les salaires, plus la proportion des femmes
est faible (1). Ainsi donc l'égalité d'accès aux savoirs réalisée par le système scolaire n'a pas suffi à garantir aux femmes l'égalité
de formation et encore moins l'égalité professionnelle.
On admet généralement que cette situation des femmes est la conséquence d'une structure sociale de pouvoir des hommes sur
les femmes. Dans la mesure où il s'agit d'un pouvoir peu institutionnalisé et dont les bases juridiques s'effritent, l'idéologie joue
un rôle essentiel pour le perpétuer.
Abstract
Highbrow woman : a figure of the sexist ideology in history of education. - Equal access to knoweldge provided by the
educational system has been unable to secure training equality and a fortiori occupational equality for women. Discrimination is
the consequence of a social structure which allots power to men only. Insofar as this power is little institutionalized and submitted
to the decay of its legal bases, ideology plays a fundamental part in its survival.
Citer ce document / Cite this document :
Mosconi Nicole. La femme savante. In: Revue française de pédagogie. Volume 93, 1990. pp. 27-39.
doi : 10.3406/rfp.1990.1371
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfp_0556-7807_1990_num_93_1_1371REVUE FRANÇAISE DE PEDAGOGIE N° 93 octobre-novembre-decembre 1990, 27-40
lectifs « servant sans le dire à légitimer, de façon appa
remment rationnelle, un pouvoir » (2). Si donc on veut
porter remède à cette situation, il faut analyser et remett
re en question l'idéologie qui sert à l'imposer et à le
légitimer. Mais comment faire cette démarche critique ?
LA FEMME SAVANTE
Car O. Reboul remarque aussi que ce genre d'idéolo
gie est le plus souvent insaisissable. En effet les idéolo
gies que l'on repère facilement sont les idéologies qu'il
appelle « sectaires » (3) : ce sont des idéologies, propres Figure de l'idéologie sexiste
à telle ou telle minorité, qui déprécient ce qui est et dans l'histoire de l'éducation prêchent le changement pour combattre le pouvoir établi
et imposer le leur ; minoritaires, elles sont constamment
soumises à la contradiction et donc contraintes de se
structurer et de s'expliciter. Tout autre est la nature des
idéologies « diffuses » : complexe de croyances largement
répandues qui sert à justifier le pouvoir en place et son
immobilité, qui consacre l'état de fait comme « naturel »
et « inévitable », ces idéologies sont le plus souvent peu
par Nicole MOSCONI conscientes, peu explicitées et peu structurées. D'où la
difficulté de les repérer.
On peut voir là une des raisons qui a longtemps
permis de douter que le « sexisme » existe et soit une
idéologie, alors que tout le monde s'accorde à reconnaît
re que le féminisme en est une. D'autre part, on peut
considérer que le fait que le discours du pouvoir (le
discours masculin) soit tenu aussi par ses propres vic
times (les femmes) est une preuve de la « réussite » de
l'idéologie sexiste.
Toute réflexion sur les relations entre scolarité et Dès lors comment repérer et analyser le sexisme
comme idéologie ? O. Reboul nous donne une indication emploi féminin conduit à une énigme apparente. Les filles
précieuse. L'idéologie diffuse « ne s'exprime que lorsont une réussite scolaire globalement supérieure à celle
qu'elle est contestée » (4). Il s'agit donc de chercher des des garçons (au niveau de l'enseignement primaire et
secondaire) et cependant la situation des femmes au circonstances où la contestation a contraint l'idéologie
niveau de l'emploi reste nettement inférieure à celle des sexiste à s'exprimer. C'est ainsi que j'ai eu l'idée de relire
« Les Femmes Savantes » de Molière. Cette pièce remplit hommes. Chacun sait aujourd'hui que, dans les services
la condition énoncée, puisqu'elle est une réponse à la publics comme dans les entreprises privées, plus élevés
préciosité, ce mouvement d'émancipation intellectuelle et sont les grades et les salaires, plus la proportion des
femmes est faible (1). Ainsi donc l'égalité d'accès aux morale des femmes du XVIIe siècle que l'on peut qualifier
de « féministe » (5), et face auquel Molière se fait le porte- savoirs réalisée par le système scolaire n'a pas suffi à
parole de la majorité antiféministe « sexiste » donc (6). garantir aux femmes l'égalité de formation et encore
moins l'égalité professionnelle.
Je voudrais montrer que cette pièce est un des pre
On admet généralement que cette situation des miers témoins de l'idéologie sexiste au sens moderne, en
femmes est la conséquence d'une structure sociale de ce sens qu'elle produit une forme sécularisée de l'antifé-
pouvoir des hommes sur les femmes. Dans la mesure où minisme religieux traditionnel. Molière y exprime et y
il s'agit d'un pouvoir peu institutionnalisé et dont les agence une structure « de croyances se rapportant à cer
bases juridiques s'effritent, l'idéologie joue un rôle essent taines idées » (7) qui gardera une grande permanence
iel pour le perpétuer. dans l'histoire ultérieure. En particulier, la référence à
Molière constitue un élément très important des débats
idéologiques du XIXe siècle sur l'éducation des filles et un
point d'appui majeur de l'idéologie sexiste de ce temps.
Par ce terme d'idéologie, j'entends précisément, selon Ainsi la « femme savante » devient-elle cette figure honnie
la définition d'O. Reboul, une pensée et un discours dont on conjure le danger par le ridicule.
27 - LES FEMMES SAVANTES DE MOLIÈRE aimé et de profiter de tout ce que l'ascétisme religieux I.
avait coutume d'interdire : toilettes, fards, visites, corre
spondance, présents, jeux, promenades, belles assemblées 1. Les extrêmes et le juste milieu
et spectacles). Mais quand les femmes cherchent à con
quérir un pouvoir intellectuel, seule forme de pouvoir
1) La thèse de la pièce social accessible, en ces temps de monarchie absolue,
qu'elles mettent en cause le mariage et la maternité et On connaît le thème de la pièce qui fut jouée pour la revendiquent l'égalité avec les hommes, « Molière première fois en 1672. Molière se moque de ces salons
combat le féminisme ardemment, violemment, avec une féminins qui faisaient fureur à Paris et où venaient briller conviction qui atteint à l'éloquence, avec cette âpreté philosophes et beaux-esprits. A cette époque, on n'y d'ironie à laquelle il s'élève chaque fois qu'il fustige un discute plus seulement d'impromptus galants et de vice ou un travers dangereux pour l'ordre social » (14). romans, la « science des dames » (8) est à !a mode, ainsi
que des thèmes de discussion « moraux » comme Aucun doute n'est donc possible. Le but de Molière
l'amour, le mariage et la condition des femmes (9). est bien de s'élever contre ce mouvement de révolte que
Molière va partir en guerre contre cette mode en montrant la France a connu de la part d'une très petite minorité de
une famille de la bourgeoisie parisienne où elle jette le femmes des milieux privilégiés et contre leur revendicat
trouble et la confusion. D'où ce qu'A. Adam a appelé un ion d'égalité des sexes à quoi revient finalement l'ambi
« drame bourgeois » : « deux sœurs qui se déchirent, un tion intellectuelle qu'elles manifestent.
mari faussement énergique, une mère tyrannique, un
Il reste maintenant à comprendre comment Molière aigrefin qui s'est introduit dans la place» (10) et qui dis
parv