La Genèse comme mythe - article ; n°22 ; vol.6, pg 13-23
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Description

Langages - Année 1971 - Volume 6 - Numéro 22 - Pages 13-23
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

K. H. Leach
Andrée Lyotard-May
La Genèse comme mythe
In: Langages, 6e année, n°22, 1971. pp. 13-23.
Citer ce document / Cite this document :
Leach K. H., Lyotard-May Andrée. La Genèse comme mythe. In: Langages, 6e année, n°22, 1971. pp. 13-23.
doi : 10.3406/lgge.1971.2040
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1971_num_6_22_2040E. R. LEACH
Cambridge
LA GENÈSE GOMME MYTHE *
Un théologien allemand distingué a défini le mythe comme « l'expres
sion des réalités non observables mises en termes de phénomènes obser
vables » 1. Toutes les histoires de la Bible sont des mythes pour le chrétien
convaincu, quelle que soit leur correspondance avec des faits historiques.
Toutes les sociétés humaines ont, en ce sens, des mythes, et les mythes
auxquels on attache normalement la plus grande importance sont ceux
qui sont les moins probables. La non-rationalité du mythe est son essence
même, car la religion exige, pour que la foi se manifeste, la suspension
du doute critique.
Mais si les mythes ne signifient pas ce qu'ils paraissent signifier,
comment se fait-il qu'ils quoi que ce soit? Quelle est donc la
nature de ce mode ésotérique de communication grâce auquel le mythe
donne une expression à des réalités non observables?
Ceci est un vieux problème qui a pris ces derniers temps une forme
nouvelle : en effet, si le mythe est un mode de communication, alors,
toute une partie de la théorie qui donne corps aux systèmes digitaux
(N.B.) utilisés pour les ordinateurs devrait lui être applicable. Le mérite
d'une telle approche est d'attirer tout particulièrement l'attention sur
ces caractères du mythe qui étaient précisément considérés jusqu'ici
comme des imperfections fortuites. Tous les systèmes mythologiques
ont ce trait commun que toutes les histoires importantes dont ils sont
constitués connaissent plusieurs versions différentes. L'homme est créé
dans la Genèse (I. 27), puis il est entièrement re-créé (П.7). Tout se passe
comme si les deux premiers hommes ne suffisaient pas, et il faut que
nous ayons Noé au ch. VIII. Il en est de même pour le Nouveau Testament :
pourquoi doit-il y avoir quatre évangiles qui racontent tous la « même »
histoire et que les détails factuels de ceux-ci soient néanmoins souvent
N.B. Note du traducteur : le système digital est un ensemble numérique qui fait
appel, dans son fonctionnement, au binaire.
* Les références du type (IV. 3) renvoient à la troisième version du quatrième
chapitre du livre de la Genèse (version anglaise autorisée) à moins qu'un autre ouvrage
ne soit précisé.
1. J. Schiewind, dans H. W. Bartsch, Kerygma and Myth : a Theological Debate,
Londres, S. P. C. K., 1953, p. 47. 14
complètement contradictoires? Un autre aspect remarquable des his
toires mythiques est leur caractère binaire bien marqué; le mythe pose
constamment des séries de catégories en opposition : « Au commencement
Dieu créa le ciel et la terre »; « Ils le crucifièrent, et deux autres avec lui,
un de chaque côté et Jésus au milieu »; « Je suis l'Alpha et l'Oméga, le
commencement et la fin, dit le Seigneur. » II en est toujours ainsi du
mythe — Dieu s'oppose au monde et le monde lui-même divisé à jamais
en deux registres d'oppositions : mâle et femelle, vivant et mort, bien
et mal, premier et dernier...
Or, la première de ces caractéristiques, courante dans le mythe,
s'appelle, en termes de théorie de l'information, la redondance, alors que
la deuxième, qui rappelle fortement l'unité d'information, est le bit.
« L'information », au sens technique, est une mesure qui évalue la liberté
de choix que suppose la sélection d'un message. S'il existe seulement
deux messages possibles et que vous choisissiez arbitrairement l'un ou
l'autre, « l'information est alors égale à l'unité », c'est-à-dire à un bit 2.
Les ingénieurs des télécommunications utilisent ces concepts pour
analyser les problèmes qui surgissent quand un individu particulier
(l'émetteur) désire transmettre un message codé à un autre individu
(le récepteur) dans un milieu où se produisent des interférences (le bruit).
« L'information » se rapporte d'une part à la marge de choix dont dispose
l'émetteur pour encoder son message, et d'autre part à la marge de choix
qui s'offre au récepteur pour interpréter ce qu'il reçoit (ce qui implique
que le bruit est inclus dans le signal originellement transmis). Dans cette
situation, un haut niveau de redondance facilite la correction des erreurs
introduites par le bruit.
Or, dans l'esprit du croyant, le mythe transmet bien des messages
qui sont la Parole de Dieu. La redondance du mythe, pour cet homme,
est un facteur particulièrement rassurant. Tout mythe particulier pris
isolément ressemble à un grondement qui cache un message codé où le
bruit interfère. Et le croyant même le plus naïf peut éprouver une cer
taine incertitude quant à ce qui lui est précisément dit. Mais la redondance
fait que le croyant sent que chaque version du mythe — même si les
détails varient — confirme la compréhension qu'il en a et renforce la
signification essentielle de toutes les autres versions.
Le point de vue de l'anthropologue est différent. Il repousse l'idée
d'un émetteur surnaturel. Il n'observe qu'une variété de récepteurs
possibles. Ici la redondance accroît l'information — c'est-à-dire qu'elle
diminue l'incertitude qui pèse sur les moyens possibles de décoder le
message. Ceci nous explique à coup sûr un des phénomènes religieux les
plus surprenants, à savoir cette adhérence passionnelle à des croyances
sectaires. L'ensemble de la chrétienté partage un corpus unique, de
mythes mais il est particulièrement remarquable de noter que les membres
d'une même secte chrétienne sont capables de se convaincre qu'ils sont
les seuls à posséder le secret de la vérité révélée par le corpus. Les propos
itions abstraites que nous offre la théorie de l'information nous aide
à comprendre ce paradoxe.
2. C. Shannon et W. Weaver, The Mathematical Theory of Communication,
Urbana, University of Illinois Press, 1949. 15
Mais si le croyant convaincu peut interpréter sa propre mythologie
de presque toutes les façons qu'il lui plaît, quel est le principe qui organise
la formation du mythe originel? Est-ce le hasard qui fait que tel mythe
prend tel modèle plutôt que tel autre? La structure binaire du
nous suggère qu'il en va autrement.
Les oppositions binaires font intrinsèquement partie du processus
par lequel passe la pensée humaine. Il est nécessaire que toutes les des
criptions du monde fassent ainsi la discrimination des catégories : « P est
ce que non-P n'est pas. » Une chose est vivante ou non-vivante, et per
sonne ne peut formuler le concept de « vivant » autrement que par la
proposition converse de l'élément qui lui est apparié : « mort ». De même,
les humains sont mâles ou non mâles, et les personnes du sexe opposé
sont disponibles en tant que partenaires sexuels, ou bien non-disponibles.
Ces deux paires d'oppositions constituent de façon universelle les oppos
itions fondamentales les plus importantes de toute l'expérience humaine.
Partout, la religion s'attache à la première opposition : l'antinomie
de la vie et de la mort. La religion cherche à nier le lien binaire qui relie
ces deux mots; elle y parvient en créant l'idée mystique « d'un autre
monde », d'un pays des morts où la vie est éternelle. Il est nécessaire que
ses attributs soient ceux-là même qui sont absents de ce monde : l'imper
fection ici est équilibrée par la perfection là-bas. Mais cet agencement
logique des idées a une conséquence déconcertante : Dieu appartient
à l'autre monde. Le problème « central » de la religion est alors de rétablir
une espèce de pont entre l'homme et Dieu.
La construction de ce modèle épouse la structure de tous les systèmes
mystiques; le mythe, en premier lieu, fait la discrimination entre les
dieux et les hommes, et ensuite il s'occupe des relations et des interméd
iaires qui relient

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