La parole anormale aujourd hui - article ; n°96 ; vol.24, pg 32-43
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Description

Langages - Année 1989 - Volume 24 - Numéro 96 - Pages 32-43
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 17
Langue Français

Extrait

Terence Mc Namee
La parole anormale aujourd'hui
In: Langages, 24e année, n°96, 1989. pp. 32-43.
Citer ce document / Cite this document :
Mc Namee Terence. La parole anormale aujourd'hui. In: Langages, 24e année, n°96, 1989. pp. 32-43.
doi : 10.3406/lgge.1989.1557
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1989_num_24_96_1557Terence MC NAMEE
Université Simon Fraser, Vancouver
LA PAROLE ANORMALE AUJOURD'HUI
Je conçois un nouveau genre de service à rendre
aux hommes : c'est de leur offrir l'image fidèle de
l'un d'entre eux, afin qu'ils apprennent à se connaît
re.
J.-J. Rousseau
Nous connaissons le langage anormal, le comportement verbal « déviant », depuis des
siècles : il a été commenté, jugé, ridiculisé, condamné, toujours en relation étroite avec les
notions régnantes sur le langage dans la société, par rapport à la variété du
langage ou de la langue, le mode de comportement verbal le plus estimé. La parole
anormale nous apparaît aujourd'hui comme l'envers ou la négation de la « communicat
ion » partout louée et exigée dans les affaires publiques et privées. La parole anormale,
dont le bégaiement, occupe justement le domaine des « troubles de la communication ».
Plus que jamais, la parole anormale est réprimée, bannie, exilée du discours. Dans cet
essai, il sera question de cette répression de l'anormal, de la « police du langage », telle
que nous la vivons en particulier aujourd'hui. Il s'agit de dégager le mécanisme de cette
exclusion du discours, et le fondement « idéologique » sur lequel elle repose. Pour ce faire,
il faudra revoir les courants discursifs qui ont permis d'élaborer notre « idéologie »
contemporaine du comportement verbal, et qui a assigné à la parole anormale la place qui
lui revient aujourd'hui.
En effet, la perception du phénomène anormal a toujours été tributaire de l'idéologie
linguistique de chaque époque. Les ouvrages de Certeau et al. } et de Balibar et Laporte 2
nous ont accoutumés à la notion d'un ensemble de principes, de croyances, de
connaissances sur le langage et son rôle comme médiateur des échanges politiques, qui
détermine les notions prescriptives, les mécanismes d'exclusion, et la politique des
langues et de la communication.
Dans cet essai, il sera question des handicaps de la parole, et surtout du bégaiement,
non du point de vue traditionnel et accepté qui est celui du clinicien, mais du point de
vue du handicapé faisant face aux difficultés que lui présente la société contemporaine.
Si la présente discussion semble parfois se disloquer et prendre le ton d'un compte rendu
1. Certeau, M. D., Julia, D. et Revel, J. Une politique de la langue : La Révolution française et les
patois, Paris, Gallimard, 1975.
2. Balibar, R. et Laporte, D. Le français national : politique et pratique de la langue nationale sous
la Révolution, Paris, Hachette, 1974.
32 ce sera parce que notre texte traduit les efforts pénibles de Yobjet du discours personnel,
savant de redevenir sujet et de reprendre, tant bien que mal, la parole.
L'idéologie linguistique de nos jours
Toute notre idéologie s'est construite autour de la « vérité » de la parole et de la
communication « en personne » (la présence garant de vérité, comme l'absence aide le
subterfuge et la dissimulation ; mais aussi à cause des faits de communication non verbale
accompagnant la parole de vive voix et qu'il est difficile de contrefaire ou de supprimer).
En effet, nous insistons beaucoup sur ces facteurs. Et nous les systématisons : la
« communication » est étudiée de la manière la plus suivie et la plus scientifique. Les
livres, les manuels, les cours abondent. Les aptitudes de communication orale sont
exigées dans les institutions et dans le monde des affaires. C'est déjà un mécanisme
d'exclusion par où le sujet parlant anormal est, comme dans les siècles antérieurs,
stigmatisé et exilé du discours.
Dans notre idéologie du langage et de la parole, nous sommes les héritiers des
Romantiques, pour qui le langage « se liait non plus à la connaissance des choses, mais
à la liberté des hommes », comme le dit M. Foucault 3, et pour qui la parole « vive »,
spontanée, était l'expression privilégiée de cette liberté de l'esprit humain, était la vérité.
Pour nous, c'est « la communication », surtout la communication en face qui importe.
Nous craignons le mensonge dans le langage formel, écrit (la « propagande » que nous
connaissons tellement, ou que nous croyons pouvoir distinguer), alors que nous comptons
sur le comportement verbal pour témoigner de l'état d'âme du sujet parlant en présence.
Et quel décodage : non seulement la chaîne verbale, mais les gestes, le « langage du
corps » qui l'accompagne sont objets de notre science.
La métaphysique de la présence
J. Derrida, dans un ouvrage sur le rôle de l'écrit dans la culture 4, a pu caractériser
d'une manière frappante la conception de base de notre « idéologie » du langage. Ce qui
est présent, explique-t-il, est préférable à ce qui est absent ; la parole « vive » est une
présence, l'écriture n'est qu'une trace, une « lettre morte » qui accuse l'absence de la
parole. La parole est le lieu de la vérité, de l'expression spontanée des états d'âme,
l'écriture est le lieu où le message est voilé, où l'originateur du message peut se dérober,
où le mensonge peut se glisser. L'écriture est une absence permettant à l'émetteur de
dissimuler ses vrais sentiments.
Le discours sur la communication
Grâce à ces perceptions, la communication fait désormais l'objet d'un discours
3. Foucault, M. Les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard,
1967.
4. Derrida, J. De la grammatologie, Paris, 1967.
33 stratégique et pédagogique que l'on comparera à juste titre au discours de prescriptif,
l'« orthoépie » à l'âge classique, discours qui consistait à faire parler correctement la
bourgeoisie montante selon les normes de la Cour et des salons. Or, remarquez que c'est
bien ce discours caractéristique sur la communication qui est le successeur de l'orthoépie
des classiques selon la configuration idéologique et épistémologique de notre époque, et
pas (comme on pourrait le croire) l'« orthophonie », le discours clinique correspondant.
L'orthoépie, c'est le discours de la Raison sur la production de la parole selon les normes
sociales ; et l'orthophonie, une discipline pédagogique et thérapeutique, qui s'occupe des
troubles de la parole, de leur diagnostic et de leur guérison par un régime d'entraînement
systématique quelconque, sous la tutelle de la médecine. Le discours prescriptif, au
contraire, le discours qui véhicule, d'une manière cohérente et complète, l'idéologie du
langage qui est la nôtre, est celui qui présente à ceux désireux d'avancer dans la société
l'univers des normes qu'ils devront respecter dans leur comportement verbal. L'ortho
phonie, elle, est tout à fait limitée dans son champ d'application, puisque le langage
anormal (la communication troublée — l'envers de la communication « comme il faut »)
est clinicalisé, marginalisé, et ne se fait plus entendre que par le truchement du personnel
traitant, comme le Fou, selon M. Foucault 5, ne parle plus de nos jours, si ce n'est que par
l'intermédiaire du psychiatre.
Au XVIIIe siècle, l'orthoépie condamnait les « vices » de la parole, et visait à les
remplacer par une parole socialement reçue et acceptée. La condamnation des sujets
anormaux s'insérait dans un contexte plus large, celui de la critique des mœurs, arme de
la Raison et du bon goût. Au XIXe siècle, et au XXR, on voit surgir, avec l'orthophonie,
une discipline positive cautionnée par la médecine, qui se donne pour tâche de « traiter »
les troubles de la parole comme des maladies (mais des maladies de quelle sorte ?
physiques ? non, puisque le bégaiement n'est pas un trouble organique ; mentales ? non,
bien que des tentatives aient quelquefois été faites d'assimiler le bégaiement à la

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