La personnologie du Prince Nicolas Troubetzkoy et ses développements dans l oeuvre de Roman Jakobson - article ; n°107 ; vol.26, pg 62-68
8 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La personnologie du Prince Nicolas Troubetzkoy et ses développements dans l'oeuvre de Roman Jakobson - article ; n°107 ; vol.26, pg 62-68

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
8 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Langages - Année 1992 - Volume 26 - Numéro 107 - Pages 62-68
7 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 33
Langue Français

Extrait

Darius Adamski
La personnologie du Prince Nicolas Troubetzkoy et ses
développements dans l'oeuvre de Roman Jakobson
In: Langages, 26e année, n°107, 1992. pp. 62-68.
Citer ce document / Cite this document :
Adamski Darius. La personnologie du Prince Nicolas Troubetzkoy et ses développements dans l'oeuvre de Roman Jakobson.
In: Langages, 26e année, n°107, 1992. pp. 62-68.
doi : 10.3406/lgge.1992.1641
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1992_num_26_107_1641ADAMSKI Darius
Centre de Recherches Linguistiques de Paris X (Nanterre)
LA PERSONNOLOGIE DU PRINCE NICOLAS TROUBETZKOY
ET SES DÉVELOPPEMENTS DANS L'ŒUVRE
DE ROMAN JAKOBSON
« Rien n'est plus encombrant, peut-être plus funeste, qu'une vérité
inutile, ce n'est qu'une connaissance, c'est-à-dire, tout compte fait,
une entrave d'une gravité particulière à la connaissance, laquelle est
totalitaire ou ne l'est pas. »
Roger Caillois, Le mythe et l'homme, p. 33-34.
« C'est l'amour de la langue qui animait le jeune prince Troubetzkoy parcourant le
Caucase à la recherche des langues inconnues des linguistes. » Voilà les propos,
incorrigiblement romantiques, entendus à Paris en hiver 1987 pendant un cours de
syntaxe. Ils sont à l'origine de cet article qui constitue une tentative pour ébranler
l'opinion devenue courante selon laquelle seul l'amour de la langue présiderait aux
désirs de ceux qui font de la langue l'objet de leur travail.
Les descriptions phonologiques d'une centaine d'idiomes, qu'a léguées Troubetzkoy,
restent un modèle inégalable de rigueur et un aperçu magistral de la méthode
structurale. Ces travaux purement linguistiques font cependant partie d'un projet plus
vaste où la langue, la culture et la politique ont partie liée, où se reflète la tradition
libérale cultivée dans la famille du linguiste.
Nicolas Sergueevitch Troubetzkoy (1890-1938) est un membre d'une illustre maison
russe princière et ducale. Au XVIIe siècle, son aïeul Dimitri a été le chef du
gouvernement provisoire formé contre les envahisseurs polonais et s'est vu décerner le
titre de « sauveur de la patrie ». Son aïeul Serge fut élu dictateur militaire de la révolte
avortée des décembristes qui, en 1825, essayaient d'établir dans l'Empire le parlement
arisme. Son père Serge, recteur de l'université de Moscou, a été un philosophe dont
l'œuvre maîtresse : le Cours sur le Logos, traite du Verbe dans l'histoire universelle, avec
une mention spéciale pour Socrate et pour le Christ en tant que Verbe incarné. Son oncle
Grégoire a été un diplomate qui défendait la cause des Slaves contre la pression
germanique dans les Balkans à l'aube de la première guerre mondiale. Son oncle Eugène
périt en 1920 aux côtés des Blancs en lutte contre le bolchevisme. Ce républicain
convaincu et philosophe d'orientation messianique fut aussi l'auteur de la brochure La
Terreur vient de l'Ouest, publiée quelques mois avant la Révolution des bolcheviks de
1917 qui asséna le coup de grâce au régime tsariste agonisant.
« — De quoi remplir ce vide ? »
(La lettre de Troubetzkoy à Jakobson du 7.03.1921)
Après la Révolution d'octobre, Troubetzkoy est obligé de quitter son pays, ne
serait-ce qu'à cause de ses origines nobles. Il s'installe à Sofia, plus tard à Vienne, où
62 il enseigne la philologie slave. Il devient également le porte-parole du mouvement
eurasien qui rassemblait, dans les années vingt et trente, des intellectuels russes en
émigration, et qui mettait en évidence les affinités géographiques, historiques, cultur
elles et linguistiques existant entre les peuples de la Russie-Eurasie, monde à part
écartelé entre l'Europe et l'Asie, une sorte de « continent-océan ».
L'Europe et l'Humanité (1920), originellement dédié à la mémoire de Copernic, est le
premier volet de la trilogie inachevée La justification du nationalisme. Dans ce livre
traduit en allemand, japonais et bulgare, Troubetzkoy critique l'idéologie dominante de
l'Europe de l'Ouest, celle du progrès, héritée des Lumières, et sa variante naturaliste, à
savoir la théorie de l'évolution de Darwin. Il démontre que cette idéologie, de même que
l'évaluation des cultures qu'elle véhicule, manque d'assises rationnelles, qu'elle n'est
que l'expression de l'égocentrisme qui, inconsciemment, nous fait voir dans notre propre
culture le sommet du développement de l'humanité. L'Europe occidentale, conquise par
le chauvinisme romano-germanique, impose sa civilisation aux autres peuples dits
non-civilisés qui l'adoptent, tout en perdant leur propre identité culturelle et nationale.
En fait, ce qui permet à l'Europe d'imposer sa loi à l'humanité entière, c'est sa force.
De telles déclarations ne sont pas nouvelles dans la pensée russe. Il suffit de
mentionner N. Danilevski (1822-1885), « apôtre du panslavisme », et son Russie et
l'Europe (1872) où le désir de défendre l'originalité et la différence culturelle d'un groupe
ethnique mena, bien avant Oswald Spengler, vers une typologie des cultures basée sur
leur origine linguistique commune et vers le projet d'unification de tous les Slaves sous
les ailes de l'aigle à deux têtes russe. Troubetzkoy évite l'écueil du panslavisme militant
grâce à l'hégélianisme : la connaissance de la réalité doit déboucher sur la pratique qui
prendra pour modèle la théorie considérée comme vraie.
Du vrai et du faux nationalisme (1921) expose les principes de l'attitude qu'ont à
adopter les peuples soumis à la suprématie romano-germanique. En faisant leur la
maxime de Socrate : Connais-toi toi-même, ils doivent acquérir leur « connaissance de
soi nationale ». Dans le cas des Russes, ce doit être la reconnaissance de leur spécificité,
telle qu'elle exista avant Pierre le Grand qui européanisa de force ses sujets. Il convient
de rappeler que cette occidentalisation toucha les Russes dans leurs habitudes
vestimentaires ; ils étaient également sommés, sous peine d'emprisonnement, de se
couper la barbe. En effet, les classes supérieures assimilèrent la culture européenne
jusque dans leur langue : les personnages de Tolstoï dialoguent en français. Et les poètes
d'expression russe ont parfois appris leur langue non pas de leurs parents ou de leurs
gouvernantes, mais de leurs nourrices.
Dans une autre publication de 1921 : Les hauts et les bas de la culture russe (la base
ethnique de la culture russe), Troubetzkoy soutient que seule l'Eglise orthodoxe, bastion
des traditions byzantines, et le peuple, imperméable à l'européanisation, ont su
sauvegarder l'originalité russe.
« Ainsi marchent d'un pas souverain —
A l'arriére — un chien affamé,
Au devant — avec un étendard ensanglanté, ( ...)
Au — Jésus-Christ. »
Aleksander Blok, les Douze (janvier 1918)
Pour Troubetzkoy, comme pour tout représentant de l'intelligentsia russe culpabil
isée du fait de sa position privilégiée, la Révolution des bolcheviks mit fin aux injustices
sociales de l'ancien régime. Pourtant, sur les pages de L'élément touranien dans la culture
63 russe (19256), le linguiste affirme que « le bolchevisme montre ce que la Russie a appris
de l'Europe, comment elle a compris les idéaux de la civilisation européenne (...).
D'après cet avorton, il faut conclure à l'effet salutaire ou nocif du joug romano-
germanique. » (p. 52-53) Et la réponse est pour lui évidente. Car si la Russie- Eurasie est
attachée à l'Europe par sa langue d'origine indo-européenne, elle l'est aussi à l'Asie —
les Russes l'ont oublié — par son psychisme national : touranien ou mongol, celui des
descendants de la Horde de Gengis-Khan. Ce complexe psychique reste « inconscient »
ou « subconscient ». D'après Troubetzkoy, il doit devenir conscient, dans la science de
la « personnologie ».
L'objet d'étude de la personnologie est la personne monohumaine (un individu
particulier) ou polyhumaine, symphonique, autrement dit, un peuple (personne monon
ationale) ou leur union (personne poly nationale). Chaque personne se manifeste
concrètement sous diverses formes individuelles ou visages qui se va

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents