La prière dans La guerre des Juifs de Flavius Josèphe, ou Du bon usage ... de la prière - article ; n°1 ; vol.22, pg 205-220

Nicole Belayche

Description

Dialogues d'histoire ancienne - Année 1996 - Volume 22 - Numéro 1 - Pages 205-220
La prière joue un rôle-clef dans l'entreprise joséphienne d'auto-justification et de défense de ses protecteurs flaviens. Josèphe connaît parfaitement la nature et les fonctions des diverses prières en Judaïsme. Mais sa volonté de prouver que la défaite juive est due a l'impiété de certains Juifs lui en fait privilégier certaines.
Il insiste sur les supplications et imprécations pénétrées de la conviction du pouvoir efficient de la prière. Il réécrit l'histoire juive en utilisant la prière pour démontrer qui détient la légitimité aux yeux de Dieu. Il utilise enfin la prière au cours d'événements à caractère prophétique, tout particulièrement quand il est lui-même inspiré.
Prayer holds a key-place in Josephus' enterprise, the main aims of which are self-justification and the defence of his Flavian protectors. Josephus is fully aware of the nature and functions of the different prayers in Judaism. But his determination to show that the Jewish defeat comes from the impiety of some Jews, leads him to emphasise some of these prayers. He insists upon supplications and imprecations relying on the conception of the efficient power of prayer. He rewrites the history of the Jewish people, using the prayer in his demonstration to show what he considers to be legitimate for God. Thirdly, prayer is used in events involving prophecy, and especially, when he himself is the inspired.
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: DIALOGUES_D-HISTOIRE_ANCIENNE
• Publié le: 01 janvier 1996
• Nombre de lectures: 29
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Madame Nicole Belayche
La prière dans La guerre des Juifs de Flavius Josèphe, ou "Du
bon usage ..." de la prière
In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 22 N°1, 1996. pp. 205-220.
Résumé
La prière joue un rôle-clef dans l'entreprise joséphienne d'auto-justification et de défense de ses protecteurs flaviens. Josèphe
connaît parfaitement la nature et les fonctions des diverses prières en Judaïsme. Mais sa volonté de prouver que la défaite juive
est due a l'impiété de certains Juifs lui en fait privilégier certaines.
Il insiste sur les supplications et imprécations pénétrées de la conviction du pouvoir efficient de la prière. Il réécrit l'histoire juive
en utilisant la prière pour démontrer qui détient la légitimité aux yeux de Dieu. Il utilise enfin la prière au cours d'événements à
caractère prophétique, tout particulièrement quand il est lui-même inspiré.
Abstract
Prayer holds a key-place in Josephus' enterprise, the main aims of which are self-justification and the defence of his Flavian
protectors. Josephus is fully aware of the nature and functions of the different prayers in Judaism. But his determination to show
that the Jewish defeat comes from the impiety of some Jews, leads him to emphasise some of these prayers. He insists upon
supplications and imprecations relying on the conception of the efficient power of prayer. He rewrites the history of the Jewish
people, using the prayer in his demonstration to show what he considers to be legitimate for God. Thirdly, prayer is used in
events involving prophecy, and especially, when he himself is the inspired.
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Belayche Nicole. La prière dans La guerre des Juifs de Flavius Josèphe, ou "Du bon usage .." de la prière. In: Dialogues
d'histoire ancienne. Vol. 22 N°1, 1996. pp. 205-220.
doi : 10.3406/dha.1996.2269
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/dha_0755-7256_1996_num_22_1_2269Dialogues d'Histoire Ancienne 22/1, 1996, 205-220
LA PRIÈRE DANS LA GUERRE DES JUIFS
DE FLAVIUS JOSÈPHE
ou "Du bon usage ..." de la prière
Nicole BELAYCHE
Université de Paris-Sorbonne
Dès le douzième paragraphe du livre I de sa Guerre des
Juifs, Flavius Josèphe avertit le lecteur d'avoir à porter "les faits
au compte de l'histoire et les lamentations au compte de l'histo
rien". Certains épisodes, pourtant, vérifient mal les déclarations
d'intention méthodologique qui ouvrent1 et ferment2 l'ouvrage. Une
lecture vigilante s'impose donc, à laquelle invitent, depuis
longtemps d'innombrables travaux consacrés au général devenu
historien3.
NB : Cette étude a connu une première version, orale, présentée lors d'un Colloque
organisé par le Centres des Études Juives de l'Université de Paris-Sorbonne sur La
prière dans le judaïsme, Paris, 1991.
1. I, 9 : "Je rapporterai avec exactitude (цет' àxpifJeiaç-) ce qui s'est passé"
(trad. P. SAVINEL, La Guerre des Juifs, Paris, 1977). Pour le texte grec,
cf. CUF (A. PELLETIER), Paris, 1975-1984 et Loeb Classical Library
(H.St.J. THACKERAY), Londres, 1961.
2. VII, 445 : "Mais pour ce qui est de la vérité, je n'hésiterai pas à affirmer
hardiment qu'à travers tout mon récit, je n'ai eu pour but qu'elle seule".
3. Cf. les sommes bibliographiques de L.H. FELDMANN, Scholarship on Philo and
Josephus (1937-1962), New York (Studies in judaica), 1963, Josephus and modem 206 Nicole Belayche
Joseph fils de Matthias, aristocrate juif issu d'une lignée
sacerdotale illustre4, général de la rébellion en Galilée, avant de se
rendre à Vespasien en 67 à l'issue du siège de Jotapata5, est passé
maître dans "le bon usage de la trahison", pour reprendre l'expres
sion désormais bien connue de P. Vidal-Naquet6 . Ses présentations
tendancieuses des composantes révolutionnaires juives, le martèle
ment apologétique dès qu'entrent en scène Titus ou ... lui-même, la
thèse théologico-politique qui trame la narration de la révolte7,
toute une rhétorique enfin8 contribuent à bâtir son entreprise de justi
fication personnelle et impériale9 . Ce propos ambitionne de montrer
que la prière joue aussi un rôle dans cette construction, pour qui en fait
"bon usage". Il apparaît en effet que les prières rapportées, juives
comme romaines, permettent à l'auteur, dans les moments dramat
iques, de verrouiller sa thèse politique selon laquelle "pour être
juste, on doit mettre la catastrophe au compte des adeptes (de la
révolte) et la justice au compte des Romains"10, et son corollaire
Scholarship (1937-1980)", ANRW IL 20, 2 (1987), pp. 1299-1304;
H. SCHRECKENBERG, Bibliographie zu Flavius Josephus (Arbeiten zur
Literatur und Geschichte des Hellenistischen Judentutns I), Leiden, 1968, avec
supplément Arbeiten ... XIV, 1979. Voir aussi G. DELLING, Bibliographie zur
Judisch-Hellenistischen und Intertestamentarischen Litteratur, 1900-1965 (Texte
und Untersuchungen zur Geschichte der Altchristlichen Litteratur 106), Berlin,
1969 ; et E. SCHÚRER, G. VERMES, F. MILLAR et M. BLACK, The History of the
Jewish people in the age of Jesus Christ, Edimbourg, 1, 1973, pp. 43-63.
4. Autobiogr. V, 1 (A. PELLETIER, Paris, CUF, 1959) et G.J. 1, 3 et III, 352.
5. Cf. PWRE IX, 2 (1916), "Josephus" (HOLSCHER), coll. 1934-2000; EJ IX
(1932), "Josephus" (GUTMANN), pp. 394-420; l'ouvrage de référence de
H.St.J. THACKERAY, Josephus, the man and the historian, New York, rééd. 1967;
L.H. FELDMANN, "Flavius Josephe revisited : The man, his writings and his
significance", ANRW II, 21, 2 (1984), pp. 763-862 ; T. RAJAK, Josephus. The
historian and his society, Londres, 1983 ; et la synthèse de M. HADAS-LEBEL,
Flavius Josèphe. Le juif de Rome, Paris, 1989.
6. Intr. à la traduction citée de P. SAVINEL, pp. 8-115. Cf. l'introduction à l'édition
italienne par A. MOMIGLIANO : "Cio che Flavio Giuseppe non vide", Rome
(Biblioteca di Storia Antica 9), 1980, pp. 9-21.
7. G/ VI, 110 : "C'est donc Dieu, oui Dieu lui-même, qui, avec les Romains, apporte
le feu qui purifiera ce Temple et détruira cette cité pleine de souillures".
8. Cf. infra n. 80.
9. "Truth is sacrified to tendency", ERE VII, 1914, "Josephus" (L.H. GRAY), p. 576.
Contra, très indulgent envers Josèphe, S. ZEITLIN, "A survey of Jewish historio
graphy. From the Biblical Books to the Sepher Ha-Kabbalah with special
emphasis on Josephus", JQR 59, 1969, pp. 171-214 et 60, 1969, pp. 37-68. Les motifs
de cette entreprise (servilité pro-romaine ou souci de préserver la communauté
juive) n'importent pas pour notre propos ; sur ce problème cf. H.R. MOEHRING,
"Joseph ben Matthia and Flavius Josephus : the Jewish prophet and the Roman
historian", ANRW II, 21, 2 (1984), pp. 864-944.
10. GJ V, 257.
DHA 22/1, 1996 La prière dans La Guerre des Juifs . . . 207
théologique : "je pense que Dieu avait condamné la cité à être
détruite à cause à cause de ses souillures"11.
Je préciserai d'abord le matériau que Josèphe va façonner.
Le vocabulaire grec qui exprime les attitudes ou actes de prières
tourne autour de deux verbes12. "Euxofiai et ses parents, eû/n ,
npooevyp\La.i 13 couvrent selon une langue très classique le registre de
la prière, du vœu et de la bénédiction14. Le champ de l'imploration,
de la supplication et de la requête est introduit tout aussi
classiquement par íxeteúg) et sa famille, гхетеш , хкета . Les moments
de prières sont aussi, à plusieurs reprises, suggérés par le geste
d'adoration et de supplication du fidèle — "les mains ... tendues
pour la prière" — 15. Cette posture est si caractéristique des orants
qu'elle accompagne toute requête ou supplique faisant appel à une
clémence ou générosité humaine. Les exemples sont légion dans
l'histoire mouvementée de la Judée sous les derniers Hasmonéens,
puis pendant la gestion procuratorienne qui précéda la première
révolte16. Cette ostension des mains, courante en Orient, n'a rien de
spécifiquement juif17. Pourtant le tableau de Titus pendant le siège
de Jérusalem, gémissant, "tendant les mains au ciel" et prenant Dieu
11. Ibid. IV, 323. P. BILDE, "The cause of the Jewish War according to Josephus", JSJ
10, 1979, pp. 179-202, nuance la dimension apologétiq