La subjectivité en question - article ; n°77 ; vol.19, pg 43-54
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Description

Langages - Année 1985 - Volume 19 - Numéro 77 - Pages 43-54
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Caussat
La subjectivité en question
In: Langages, 19e année, n°77, 1985. pp. 43-54.
Citer ce document / Cite this document :
Caussat Pierre. La subjectivité en question. In: Langages, 19e année, n°77, 1985. pp. 43-54.
doi : 10.3406/lgge.1985.1503
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1985_num_19_77_1503P. Caussat
LA SUBJECTIVITÉ EN QUESTION
Question peut s'entendre en deux sens : comme mise en question, examen et par
cours d'un lieu reconnu, remis en débat pour complément d'information ; et mise à
la question, ouverture en appel d'une cause jugée et dont le jugement même alimente
le soupçon de sa légitimité. Mais il en est de même en toute question. Sauf qu'ici,
sans doute, les rôles attendus sont inversés. La subjectivité, c'est, d'avance, semble-t-
il, le mauvais rôle, le trouble-fête qui vient dérégler les jeux ordonnés de l'objectivité.
Rôle qu'elle joue d'ailleurs, mais si bien et si vite qu'en vérité tout bascule et qu'elle
se voit promue à la reconnaissance indiscutée et à l'exercice de la fonction de réfé
rence. Refuser d'en réciter les mérites, est-ce pour autant réhabiliter son double
adverse et revenir ainsi à la situation qui prévalait avant le renversement des places ?
Ou bien ne serait-ce pas enfin commencer pour de bon à poser la question de la sub
jectivité qui n'est peut-être jamais davantage dans sa vérité qu'en n'étant pas sur le
mode d'un être ?
On peut, en effet, réciter sans plus l'avènement de la subjectivité dans la théorie
linguistique récente. Elle dispose d'un centre repérable d'émergence, à partir duquel
il semble aisé de parcourir l'ensemble de son histoire, a parte ante, vers sa source, et
a parte post, vers ses développements ultérieurs qui n'en seront alors que la consécrat
ion. Au centre rayonnent les propositions si fortes, si nettes, d Austin dès la pre
mière conférence qui ouvre « Quand dire, c'est faire » ; texte si mesuré et si assuré
en même temps qu'on le lit comme la découverte d'une vérité enfouie et qu'on
s'étonne de ne l'avoir pas eue plus tôt ; et la force d'Austin, c'est de nous le donner à
découvrir en même temps que lui :
« Les philosophes ont trop longtemps supposé que le rôle d'une affirmation (statement) ne
pouvait être que de « décrire » un état de choses, ou d'« affirmer un fait quelconque », ce
qu'elle ne saurait faire sans être vraie ou fausse... On en est venu à penser communément
qu'un grand nombre d 'enunciations (utterances) qui ressemblent à des affirmations ne sont
pas du tout destinées à rapporter ou à communiquer quelque information pure et simple sur
les faits... Négliger ces possibilités..., c'est céder à ce qu'on appelle l'illusion
« descriptive ». (Mais peut-être ce mot n'est-il pas adéquat..., voilà pourquoi je préfère
employer le mot « constatif ».) [tr. fr. p. 37-39].
La scène nouvelle est en place. En suppléant les termes qui gravitent autour de ce
passage dans son contexte, on a le tableau suivant des disjonctions significatives :
statement (énoncé) / utterance (énonciation)
affirmer (décrire, constater) / faire (agir)
constatif / performatif
vrai/faux / réussi/manqué
La scansion est nette. On ne saurait l'affaiblir sans risquer de perdre ou de
dévoyer le sens de l'ouverture qu'elle produit. De ce point de vue, on notera avec le
plus grand soin la mise en garde de S. Felman :
« ... le contexte français... se réfère au concept central de la théorie austinienne sous le nom
d'« énoncé performatif ». Or, Austin parlait non d'énoncé, mais d 'énonciation performative
43 utterance) ». Et l'auteur précise en note : « Performative statement est (performative
impensable et serait un contresens pour Austin, dans la mesure où son effort est tout entier
orienté vers une problématisation de la notion même de « statement » (énoncé), vers une
insistance sur la non-symétrie de l'opposition utterance /statement (énonciation/énoncé), en
tant que l'utterance, et notamment la performative utterance, ne se laisse pas épuiser par le
statement » *.
Avec cette disjonction énoncé/énonciation se trouve mise en mouvement, dramatis
ée, une histoire, dès lors réveillée de son sommeil spéculatif et promise à la dissolu
tion des illusions dogmatiques. C'est ce qu'on peut comprendre des allégations,
autrement surprenantes, d'Austin lorsqu'il parle de « révolution » (p. 39 : « nous ne
pouvons douter que (ces suggestions) soient en train de produire une révolution en
philosophie »). En somme, l'équivalent (ou la répétition ?) de la révolution coperni-
cienne. Mais ce mot qu'on lâche d'abord comme un jeu, comme le jeu de la réfé
rence savante, pourrait bien se révéler plus sérieux qu'il y paraît. Car le philoso-
phème de ladite révolution ne consiste-t-il pas dans le renversement des places res
pectives du sujet et de l'objet ? Or, qu'on y prenne seulement garde, on découvrira
vite que la partie gauche du tableau des oppositions se range régulièrement sous le
patronage de l'objet, ou de l'objectivité ; on le voit bien au glissement progressif qui
fait passer, malgré les précautions d'Austin, d'« affirmer » à « décrire » et à
« constater ». Or, qu'est-ce que « constater », sinon transcrire un état du monde, ou,
plus modestement, un état de choses ? Du coup, s'il y a corrélation entre constata
tion et objectivité, l'opposé de la première, à supposer qu'il existe, sera corrélé au
double opposé de la seconde ; à la constatation, simple transcription, s'opposera la
production, l'action qui, dès lors, ne pourra que renvoyer à son origine naturelle, le
sujet et son œuvre, la subjectivité.
C'est à ce moment- là seulement que s'accomplit l'économie de la « révolution »
austinienne : elle dispose alors d'un centre indiscutable (au sens où on ne peut en
sous-estimer l'innovation) et, ouvrant une histoire inédite, elle dévoile le sens des év
énements qui la précèdent et qu'elle dénonce. Vers l'antérieur, en effet, se trouve pla
cée dans sa juste lumière la série généalogique qui vient butter sur la rupture aust
inienne pour y recevoir sa consécration en même temps que sa révocation. Cela vaut,
en premier lieu, évidemment, de la série anglo-saxonne, Russell, Wittgenstein, pour
ne retenir qu'eux — au degré de schématisation que nous adoptons ici, il est difficile
de faire plus — ; ils seront donc rangés globalement parmi, et considérés comme les
représentants de la tendance « objectiviste » ; quitte à revendiquer, ou, à tout le
moins, à réhabiliter la part en eux de l'autre tendance en lutte contre la domination
objectiviste — comme on sait, on se réfère alors au « second » Wittgenstein — . Mais
cela vaut aussi pour l'objectivisme « continental », singulièrement pour, plutôt cont
re, la théorie saussurienne, érigée en modèle de schématisation réductrice et où, par
exemple, le projet d'une linguistique de la parole serait demeuré inexploré, voire
annulé par celle, dominante, de la langue. La révolution austinienne serait donc le
juste retour du récusé, ou du censuré, retour à justifier à nouveau par les développe
ments que le thème initial, d'abord formel, est appelé à produire. Doit être appelé
plutôt, car il ne figure au départ que comme promesse, emblème, et qui sait s'il
saura la tenir ? Promesse tenue, à l'évidence ; la trajectoire de « Quand dire, c'est
faire » ne décrit-elle pas le mouvement de remplissement du sujet puisque, repéré
d'abord dans les manifestations quelque peu formelles du performatif, il se dévoile
1. Shoshana Felman, Le scandale du corps parlant, Seuil, 1980, p. 106.
44 en quasi-personne dans le moment illocutionnaire, l'instance agissante à présent
l'intérieur de tout dire, en vertu de laquelle tout énoncé, quels que soient sa forme

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