La vision soviétique de la révolution éthiopienne ou les limites politiques de l anthropologie - article ; n°2 ; vol.31, pg 413-429
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Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1990 - Volume 31 - Numéro 2 - Pages 413-429
Gérard Prunier, La vision soviétique de la révolution éthiopienne ou les limites politiques de l'anthropologie.
Cet article examine d'abord l'histoire des relations entre l'Abyssinic et la Russie avant la révolution de 1917, en montrant que l'intérêt russe pour ce pays venait d'un sentiment de proximité culturelle qui alla jusqu'à la proposition d'une fusion des deux Églises. Le renouveau d'intérêt soviétique, né de la révolution éthiopienne de 1974, s'est traduit sur le plan intellectuel par une application mécanique des concepts de l'anthropologie politique marxiste-léniniste au cas éthiopien. La conjonction des intérêts de la Realpolitik brejnévienne et d'une anthropologie téléologique a abouti à une production extrêmement médiocre, où les vrais éthiopisants russes ont été contraints au silence par les « spécialistes » politisés.
Gérard Prunier, Ethiopian revolution as viewed by the Soviets or the political limits of anthropology.
This article first looks at the history of relations between Russia and Abyssinia prior to the 1917 Revolution, showing that Russia's interest for that African country came from a feeling of cultural proximity which went all the way to a proposal of unification of their two Churches. The Soviet renewal of that interest following the 1974 Ethiopian revolution gave rise, at the intellectual level, to a mechanical application of Marxist-Leninist anthropological concepts to the Ethiopian case. The conjunction of Brezhnevian Realpolilik interests and of a ideological anthropology resulted in a very mediocre intellectual output, in which the real Russian cthiopianists were silenced by the politicized specialists.
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 9
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Gérard Prunier
La vision soviétique de la révolution éthiopienne ou les limites
politiques de l'anthropologie
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 31 N°2-3. Avril-Septembre 1990. pp. 413-429.
Résumé
Gérard Prunier, La vision soviétique de la révolution éthiopienne ou les limites politiques de l'anthropologie.
Cet article examine d'abord l'histoire des relations entre l'Abyssinic et la Russie avant la révolution de 1917, en montrant que
l'intérêt russe pour ce pays venait d'un sentiment de proximité culturelle qui alla jusqu'à la proposition d'une fusion des deux
Églises. Le renouveau d'intérêt soviétique, né de la révolution éthiopienne de 1974, s'est traduit sur le plan intellectuel par une
application mécanique des concepts de l'anthropologie politique marxiste-léniniste au cas éthiopien. La conjonction des intérêts
de la Realpolitik brejnévienne et d'une anthropologie téléologique a abouti à une production extrêmement médiocre, où les vrais
éthiopisants russes ont été contraints au silence par les « spécialistes » politisés.
Abstract
Gérard Prunier, Ethiopian revolution as viewed by the Soviets or the political limits of anthropology.
This article first looks at the history of relations between Russia and Abyssinia prior to the 1917 Revolution, showing that Russia's
interest for that African country came from a feeling of cultural proximity which went all the way to a proposal of unification of their
two Churches. The Soviet renewal of that interest following the 1974 Ethiopian revolution gave rise, at the intellectual level, to a
mechanical application of Marxist-Leninist anthropological concepts to the Ethiopian case. The conjunction of Brezhnevian
Realpolilik interests and of a ideological anthropology resulted in a very mediocre intellectual output, in which the real Russian
cthiopianists were silenced by the politicized "specialists."
Citer ce document / Cite this document :
Prunier Gérard. La vision soviétique de la révolution éthiopienne ou les limites politiques de l'anthropologie. In: Cahiers du
monde russe et soviétique. Vol. 31 N°2-3. Avril-Septembre 1990. pp. 413-429.
doi : 10.3406/cmr.1990.2242
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1990_num_31_2_2242GÉRARD PRUNIER
LA VISION SOVIÉTIQUE DE
LA RÉVOLUTION ÉTHIOPIENNE OU
LES LIMITES POLITIQUES DE L'ANTHROPOLOGIE
Parmi les divers pays qui, en Afrique, se sont à un moment ou à un autre récla
més du socialisme scientifique1, l'Ethiopie a occupé une place tout à fait spéciale
dans la vision soviétique du continent noir.
Bien sûr, l'adhésion enthousiaste - du moins officiellement - au modèle d'orga
nisation politico-étatique de l'URSS explique en partie ce regard intéressé et appro
bateur : la création d'un parti marxiste-léniniste orthodoxe (le parti des travailleurs
éthiopiens ou PTE) en 1984, la proclamation en 1987 de la République populaire
et démocratique d'Ethiopie, l'association au COMECOM, l'alignement strict der
rière l'URSS sur tous les grands problèmes internationaux (soutien à l'OLP malgré
le sentiment viscéral anti-arabe des Éthiopiens, soutien au gouvernement de
Kaboul, appui - au moins verbal- à Managua, etc.) et même nous le verrons,
l'emploi massif d'une iconographie officielle de Marx-Engels-Lenin, tout concour
ait à satisfaire Moscou au niveau symbolique.
Mais ce n'étaient pas là les seules causes d'une sympathie qui allait jusqu'à une
identification partielle - et partiale - à certains aspects de la culture abyssine ; et
derrière le soutien soviétique se dessinait en filigrane la tradition d'un intérêt russe
pour l'Ethiopie qui précédait de loin la révolution de 1917.
Pour le lecteur, peut-être plus familier du monde russe et soviétique que de
l'Ethiopie, rappelons quelques éléments fondamentaux de la situation ethno-
politique de ce pays à la veille de sa propre révolution qui commença en février
1974.
En jetant un coup d'œil sur la carte 1, plusieurs constatations s'imposent :
d'abord l'extrême complexité ethno-religieuse : selon le mot du grand anthropolo
gue italien, Conti-Rossini, l'Ethiopie est un museo di popoli. Cependant, de
grandes lignes se dégagent : les musulmans, dangereux ennemis traditionnels des
chrétiens monophysites du haut plateau, habitent les basses terres désertiques de
l'est tandis qu'à l'ouest, on débouche sur l'Afrique noire proprement dite, nilotique
et longtemps animiste. Quant aux Oromo, les grands conquérants barbares des
XVIIe et xvme siècles (50 % de la population éthiopienne aujourd'hui), ils sont pres
que partout et ont toutes les religions. Au nord, région très diversifiée (mais chré-
Cahiers du Monde russe et soviétique, XXXI (2-3). avril-septembre 1990. pp. 413-428. 414 GÉRARD PRUNIER
Cartel
(d'après J.S. Trimingham, Islam in Ethiopia,
Oxford University Press, 1952). LA VISION SOVIÉTIQUE DE LA RÉVOLUTION ÉTHIOPIENNE 415
Tigré (dominante chrétienne O O Bcja (musulmans)
monophysite)
N N NLloliques (animistes et chrétiens Kunama (diverses religions) à dominante catholique)
в 9 Tigray (chrétiens monophysites) j j Saho (musulmans)
+m «- Amhara (chrétiens monophysites) f f Sidama (dominante animiste)
Oromo (chrétiens monophysites et Somali (musulmans) protestants à l'ouest)
▲ Afar ou Danak il (musulmans) Oromo (animistes)
A A A Agaw (diverses religions dont . . Oromo (musulmans) Falacha juifs) 416 GÉRARD PRUNIER
* * * « Cœur » abyssin à la mort de Yohannès IV
Conquêtes de Ménélik П
' i Zone consolidée par le Ras Tafari, futur empereur Haïlé Sélassié l
Schéma 2
(d'après J.S. Trimingham, Islam in Ethiopia, op. cit.) VISION SOVIÉTIQUE DE LA RÉVOLUTION ÉTHIOPIENNE 417 LA
tiens sur les hautes terres et musulmans en plaines, selon le schéma habituel de
l'Ethiopie), la colonisation, italienne entre 1885 et 1941, puis britannique de 1941
à 1952, a amené un particularisme trans-ethnique qui donnera naissance au natio
nalisme érythréen lorsque l'empereur НаЙе Sélassié voudra réabsorber de force la
région en 1962. Enfin, nous constatons que, sur toute la périphérie du pays, les
frontières politiques sont largement débordées par les limites des zones ethniques,
notamment en ce qui concerne le monde somali.
Si nous comparons maintenant cette carte avec le petit schéma 2, nous remar
quons que le « cœur historique » (que nous appellerons du nom traditionnel
d'Abyssinie pour le distinguer de l'Ethiopie moderne) est beaucoup plus limité et
qu'il ne s'est lancé à la conquête des zones périphériques qu'à la fin du XIXe siècle,
en grande partie en réaction au scramble for Africa des débuts de la période colo
niale. Protégée de la conquête européenne par sa victoire sur l'armée italienne à la
bataille d'Adoua (1896), l'Abyssinie perd l'Erythrée mais insère un bourrelet
« colonial » protecteur entre elle et les grands impérialismes : c'est cet ensemble
qui donne naissance à l'État actuel.
Les rapports de la Russie avec l'Abyssinie jusqu'en 19172
La Russie connaissait l'existence d'un royaume chrétien en Abyssinie depuis le
XIVe siècle et des contacts s'étaient établis par le biais du monastère abyssin de
Jérusalem dès le xvne siècle. Annibal, « le nègre de Pierre le Grand », esclave noir
du tsar et plus tard général russe et arrière-grand-père du poète Puškin, était d'ori
gine abyssine. Dès 1825 le géez, la langue liturgique de l'Église copte éthiopienne,
était enseigné à l'Université de Kharkov.
Bien que l'empereur Thewodros ait écrit au tsar Alexandre П pour tenter
d'obtenir son aide contre les Turcs, considérés comme l'ennemi commun, les
contacts furent d'abord plus religieux que politiques. Le moine Porphyre
Uspenskij, qui avait passé six ans à Jérusalem (1848-54) où il avait entretenu des
relations avec les moines éthiopiens, soumit un mémorandum au Saint-Synode,
dans lequel il recommandait la « réunion » des Églises copte et orthodoxe et où il
défendait Tidée d'une alliance entre la Russie et l'Abyssinie « qui était importante
par son ancienne histoi

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