Le cas russe : Anamnèse de la langue et quête identitaire (la langue-mémoire du peuple) - article ; n°114 ; vol.28, pg 84-97
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Le cas russe : Anamnèse de la langue et quête identitaire (la langue-mémoire du peuple) - article ; n°114 ; vol.28, pg 84-97

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Description

Langages - Année 1994 - Volume 28 - Numéro 114 - Pages 84-97
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Patrick Seriot
Le cas russe : Anamnèse de la langue et quête identitaire (la
langue-mémoire du peuple)
In: Langages, 28e année, n°114, 1994. pp. 84-97.
Abstract
Patrick Sériot : The Russian Model : Anamnesis of Language and Quest for Identity (the Language-Memory of the People)
Patrick Seriot reconstructs the history of the discourse on language in Russia, in order to demonstrate how a collective memory
and identity are built upon it. Through different periods of Russian contemporary history, he uncovers a persisting focus on
language conceived as the memory of the Russian people, and the deeply rooted idea of a national memory grounded on an
ethnic definition of language and culture.
Citer ce document / Cite this document :
Seriot Patrick. Le cas russe : Anamnèse de la langue et quête identitaire (la langue-mémoire du peuple). In: Langages, 28e
année, n°114, 1994. pp. 84-97.
doi : 10.3406/lgge.1994.1679
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1994_num_28_114_1679Patrick SÉRIOT
Université de Lausanne
LE CAS RUSSE :
ANAMNÈSE DE LA LANGUE ET QUÊTE IDENTITAIRE
(LA LANGUE — MÉMOIRE DU PEUPLE)
« L'identité du moi ne se prolonge que par la mémoire, et
(que) pour être le même en effet, il faut que je me
souvienne avoir été » (Rousseau, Emile, IV)
Jamais on n'avait autant parlé de recouvrer la mémoire qu'en Russie aujour
d'hui. A croire que la mémoire d'une nation entière s'était trouvée effacée. Cette
grande fureur anamnésique qui se produit en ce moment en Russie et, à des degrés
divers, dans d'autres parties de Гех-URSS (cf. l'article de D. Paillard dans ce même
numéro) recèle pourtant bien des paradoxes.
Il n'est guère de pays au monde où les discontinuités discursives aient été plus
violentes qu'en URSS, toutes fondées sur l'idée que l'ancien (ou le passé immédiat)
est à détruire. Après l'événement fondateur qu'a été la Révolution d'Octobre 1917,
c'est le thème de la mémoire qui a été le plus souvent mis en avant dans toute pratique
de discours visant à donner un sens à cet événement, cette coupure, ce grand
traumatisme initial.
Le Discours sur la mémoire de la Russie d'aujourd'hui présente des analogies,
par certains côtés, avec la situation de l'Argentine d'après la dictature militaire :
une population (une partie importante, du moins) semble se réveiller d'une sorte de
sommeil comateux et part à la recherche de sa mémoire. En URSS, cependant, non
seulement la période de temps sur laquelle porte l'anamnèse est infiniment plus
longue, mais encore l'enjeu profond a ceci de particulier d'être une recherche avant
tout de l'identité collective. Un des thèmes fondamentaux des débats de la scène
politique russe actuelle est celui de l'identité culturelle : la Russie appartient-elle ou
non à l'Europe ? De la réponse à cette question dépend en partie un type de politique
et de réformes à mener. Or les deux discours antagonistes, celui des « patriotes » (en
gros, les conservateurs, aussi bien nostalgiques de l'ordre stalinien qu'ultra
nationalistes grands-russes) et celui des « démocrates » (partisans des réformes) ont
en commun la revendication de la mémoire vraie. Il semblait, avant l'effondrement
du communisme de type soviétique, que les discours de résistance au totalitarisme se
caractérisaient tous par une lutte contre le mensonge, lutte dont l'enjeu n'était pas
seulement la vérité, mais aussi, et peut-être surtout, la mémoire. Ainsi, à la diff
érence de l'alternative aléthique classique de type Vrai / Faux, la résistance au
totalitarisme maintenait l'intrication du faux et de l'oubli, du vrai et de la mémoire.
Se souvenir la résistance à un régime fondé sur l'amnésie, et la chute de
ce régime devait amener la claire contemplation du souvenir enfin exhumé des
forteresses de l'oubli.
84 On voit maintenant ce que cette vision du discours de la résistance avait de
simplificateur, puisque la chute du régime n'a fait qu'exacerber la revendication de
la mémoire chez les protagonistes du débat acharné sur l'identité collective.
Étudier le rapport de la mémoire (du discours sur la mémoire) à l 'événement de
1917, aussi bien après 1991 que durant la période soviétique, permet de s'interroger
sur la périodisation des ruptures et des continuités, aussi bien dans ce qu'il est
convenu d'appeler « le discours officiel », ou « idéologie officielle », que, de manière
plus diffuse, dans l'histoire des « mentalités ». Les études historiques ne manquent
pas qui ont exploré la représentation de la Révolution au cours de l'évolution du
discours officiel, toujours fasciné par les commémorations, les jubilés, marquant un
temps nouveau à partir de l'initiale absolue qu'était la Révolution, mais fluctuant
fortement quant à la du rapport entre l'avant et l'après de cette
date-butoir. Il semble cependant qu'un ensemble thématique ait largement échappé
aux investigations, celui pourtant qui est au fondement du discours identitaire : il
s 'agit du discours sur la langue en tant que fondateur d'une identité collective. Se
demander si la langue russe est la même qu'avant la Révolution est une autre façon
de se demander s'il y a permanence, continuité ou rupture, solution de continuité de
la collectivité russe avant et après la Révolution.
Nous prendrons alors l'histoire du discours sur la langue en Russie comme une
voie d'approche des formes de mémoire qu'ont prises les tensions identitaires en
Russie depuis 1917. Il s'agit donc d'une histoire des représentations de l'identité
collective. Mais comme il n'y a de mémoire collective que dans ses manifestations
discursives, dans un support discursif, c'est bien un discours qu'il s'agira d'explo
rer, un discours sur la langue, qui, depuis 1917, se nourrit d'une interrogation
ressassée de façon obsédante : la langue russe a-t-elle changé depuis la révolution ou
bien est-elle restée la même ?
Par delà l'événement de 1917, il va s'agir de confronter le problème de la
mémoire à quelque chose qui n'est pas un événement, mais un phénomène dont la
conception même va influencer les résultats de l'investigation : la langue, dans son
rapport à la continuité ou à la rupture de la collectivité qui la parle.
I. Faire table rase du passé
Langue et société évoluent séparément. Une même
langue demeure stable à travers les bouleversements
sociaux les plus profonds. Depuis 1917 la structure de
la société russe a été profondément modifiée, c'est le
moins qu'on puisse dire, mais rien de comparable
n'est survenu dans la structure de la langue russe
(Ben veniste- 1974 :92).
Voubli revendiqué
II y a un lien très fort entre le refus de la mémoire et la dissolution des frontières
de l'identité collective. C'est là un des points essentiels pour comprendre la spécifi
cité du thème du refus de la mémoire dans le discours bolchevique du début des
années 20. Tout à l'opposé du nazisme, on n'y trouve pas de repli identitaire à base
biologiste, bien au contraire. On peut penser à A. A. Bogdanov, le théoricien du
proletkult. Médecin de formation, il avait créé le premier centre mondial de trans-
85 sanguine. Tout comme N. Fedorov il rêvait de vaincre la vieillesse et la mort, fusion
et de transformer toute l'humanité en une seule famille par un échange de sang
universel *. Le discours bolchevique du début des années 20 se caractérise ainsi par
l'instauration volontaire et systématique d'une discontinuité, où le passé est assimilé
à du révolu et à de l'inutile, et le passé national à quelque chose de profondément
négatif. C'est l'époque où l'école historique de M. N. Pokrovskij envisage la Russie
tsariste comme la « prison des peuples » .
Il faut bien dire que cette rupture avec le passé dans le nouveau discours
dominant fut largement acceptée par de nombreux courants artistiques, littéraires et
intellectuels. Sans compter le Prol

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