Le couple divin ou l éducation de l amour dans les masques jonsoniens - article ; n°1 ; vol.25, pg 89-102
15 pages
Français

Le couple divin ou l'éducation de l'amour dans les masques jonsoniens - article ; n°1 ; vol.25, pg 89-102

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
15 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles - Année 1987 - Volume 25 - Numéro 1 - Pages 89-102
14 pages

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 16
Langue Français

Extrait

Marie-Claude Canova-Green
Le couple divin ou l'éducation de l'amour dans les masques
jonsoniens
In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°25, 1987. pp. 89-102.
Citer ce document / Cite this document :
Canova-Green Marie-Claude. Le couple divin ou l'éducation de l'amour dans les masques jonsoniens. In: XVII-XVIII. Bulletin de
la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°25, 1987. pp. 89-102.
doi : 10.3406/xvii.1987.1121
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1987_num_25_1_1121COUPLE DIVIN LE
OU
L'EDUCATION DE L'AMOUR
DANS LES MASQUES JONSONIENSl
Une fascination pour tout ce qui touchait à l'Antiquité
païenne, renforcée par une éducation orientée vers les lettres,
devait conduire les hommes de la Renaissance à ré-interpréter
les dieux du panthéon gréco-romain et à les réintégrer dans leur
univers quotidien. Ces dieux «métamorphosés,»2 loin d'être de
simples sujets d'étude suscitant un intérêt purement culturel ou
archéologique, devinrent alors l'incarnation d'idées morales et
philosophiques.
L'érudit féru d'Antiquité qu'était Ben Jonson n'échappa pas
à la règle. Les masques qu'il composa chaque année pour le régal
de ses souverains et de la cour, offrirent le spectacle grandiose
d'un Olympe insolite. Olympe moralisé, car Jonson s'interdit de
raconter sur les dieux les histoires légères qu'Ovide avait recueillies
si volontiers — Vénus n'est ainsi souvent qu'une mère tendre qui
tremble pour son fils ou qui s'efforce de l'empêcher de nuire, et
si les dieux continuent d'incarner des passions, ces passions se sont
purifiées à leur contact réciproque. Olympe allégorique et repré
sentatif de ce qui, pour Jonson, devait être le principe organisateur
d'un univers conçu dans une optique néo-platonicienne :3 l'Amour.
Vénus domine alors à juste titre l'Olympe jonsonien. D'ail
leurs, comme le veut la légende, mortels et dieux ne sont-ils pas
également sensibles au pouvoir qiie son fils et elle incarnent ?
Néanmoins, Vénus ne prend toute sa signification que dans les
rapports qu'elle entretient avec les autres dieux, rapports d'oppos
ition, de conjonction ou de similitude, les autres dieux lui étant
alors nécessairement subordonnés. Les dieux jonsoniens, en effet,
ne doivent leur existence qu'à celle d'un consort, qui représente
l'aspect contradictoire ou complémentaire de la passion dont ils
sont l'incarnation. Mais cette coexistence nécessaire conduit à
un bouleversement d'essence. Ces couples qui se font et se défont
au fil des masques et des années, marquent l'évolution d'un
sentiment somme toute unique vers une plus grande pureté,
vers un intellectualisme toujours frôlé mais jamais atteint, car
rejeté en définitive au profit d'une conception épurée certes
mais qui reste résolument humaine. A l'instar du Titien, Jonson
nous propose son «Éducation de l'Amour.» 90
Vénus, on le sait, incarne la Beauté. Mais Platon et les néo
platoniciens croyaient en l'existence de deux Vénus symbolisant
les deux formes sous lesquelles la Beauté est éparse dans l'univers :
une Vénus céleste et une Vénus vulgaire, ou terrestre, qui repré
sente une image particulière et concrète de cette beauté idéale,
incarnée par la première Vénus. Chaque Vénus a alors pour com
pagnon Éros ou Amor, considéré à juste titre comme son fils, car,
si l'on admet que l'amour est le désir de la beauté, chaque forme
de beauté suscite une forme correspondante d'amour. Dans le
masque jonsonien, cette distinction philosophique peut se lire
comme une opposition moralement significative entre des com
portements opposés. Chaque avatar de l'amour a donc pour
pendant le passage d'une Vénus à l'autre.
A l'échelon le plus bas, Vénus symbolise la passion sexuelle,
une forme dégradée de cette vis generandi des néo-platoniciens,
qui donne vie et forme à la nature. Aucune valeur ne saurait être
accordée à ce désir charnel qui ravale l'homme au niveau de la
bête. Cette Vénus dégénérée ne se manifeste dans le masque
jonsonien qu'au travers de son fils, le petit dieu de l'amour,
ce bambin dont l'aspect innocent ne saurait faire oublier la dé
pravation. Eros, en grec, n'a-t-il pas précisément ce sens d'amour
sexuel que lui reprochent philosophes et moralistes ? Les Romains
devaient traduire soit par Amor («amour»), soit par Cupido («dés
ir»), mettant ainsi en lumière par cette distinction philologique
une ambiguïté d'essence. Jonson semble avoir fait sienne une
méthode où la seule mention de l'un ou l'autre nom suffit à
définir l'essence de la divinité. C'est dans le masque de L'Amour
délivré de l'Ignorance et de la Sottise qu'il y aura recours de la
façon la plus ingénieuse. Le petit dieu qui dans les indications
scéniques répond au nom de «Love,» s'entend adresser par le
Sphinx comme «Cupid.» C'est que l'amour prisonnier de l'igno
rance représente une forme d'amour que le héros du masque
proprement dit a tôt fait de transcender. Et c'est en la transcen
dant qu'il recouvre la liberté et le droit de s'appeler «Love.»4
Si nous nous attardons sur les caractéristiques de ce genre
d'amour, nous apercevons qu'elles prennent souvent l'aspect
d'abstractions personnifiées et sont inévitablement liées
au symbolisme des attributs d'Éros. Jalousie, Dédain, Crainte et
Dissimulation se précipitent ainsi sur les talons du Cupidon rebelle
de Chloridia. L'amour est une émotion psychologique égoïste,
sinon cruelle, dont l'outrance se traduit dans la panoplie tradi
tionnelle du petit dieu.
Beauties, haue yee seene this toy,
Called loue, a little boy, 91
Almost naked, wanton, blind,
Cruell now ; and then as kind?, 5
demandent les Grâces du Haro sur Cupidon, qui s'attachent à
décrire Cupidon sous les couleurs les plus noires possible. Cupidon
est nu de la nudité de la turpitude, qui est toujours manifeste ;
il est aveugle parce qu'il prive les amants de bon sens et de sagesse
et que ceux-ci sont comme aveuglés par l'amour, n'étant plus
guidés que par la passion ; il est aveugle enfin parce qu'il frappe
ses victimes sans distinction aucune d'âge, de position ni de sexe.
Les flèches qu'il porte et décoche à tort et à travers indiquent
les blessures incurables que l'amour inflige à l'âme humaine et
ses ailes sont le symbole même de l'instabilité volage des émotions
amoureuses.
Quoi d'étonnant alors à ce qu'un dieu enclin à la malice,
sinon au mal, apparaisse parfois en compagnie de personnages
redoutables et menaçants. Telle la mort, dont l'iconographie
s'apparente à celle de Cupidon : même bandeau sur les yeux,
même arc et mêmes flèches, etc. Dans le masque de Shirley,
intitulé Cupidon et la Mort, nos deux divinités ont par mégarde
échangé leurs armes, si bien que
Thus contrarie to kinde, and their nature,
Cupid doth slea, and Death doth love procure.6
Ce lieu commun de la littérature s'exprime ici en termes de destin
inversé. Les jeunes amants succombent à leurs blessures, alors
que les traits de la mort rendent vie et ardeur aux vieillards.
La signification profonde de cette fable imitée d'Ésope
serait-elle à chercher dans la doctrine mystique de l'Amour comme
dieu de la mort, doctrine étayée par une ré-interprétation des
mythes païens racontant la fin tragique des mortels aimés des
dieux, dont les néo-platoniciens s'étaient faits les champions ?7
Or, dans les masques de cour, le mariage mystique d'Éros
et de Thanatos a depuis longtemps été dissous. Et si l'on voit
encore la Mort et Cupidon partir à la chasse et se tromper d'armes,
ou l'une dérober subrepticement les flèches de l'autre, l'échange
fatal étant la conséquence d'une nuit passée à boire, ce n'est
plus que pour souligner le lien pernicieux du vin avec la p

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents