Le discours du prêtre chez Achille Tatius, (VIII, 9) : une déconstruction de la paideia - article ; n°1 ; vol.36, pg 177-189
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Le discours du prêtre chez Achille Tatius, (VIII, 9) : une déconstruction de la paideia - article ; n°1 ; vol.36, pg 177-189

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Description

Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique - Année 2006 - Volume 36 - Numéro 1 - Pages 177-189
Although the romance of Achilles Tatius is concerned with vision (betrayed, manipulated, in love), it is also concerned with the mouth and all its derivatives: word, kiss or voice. This organ, indispensable to the logorrhoeal fulfilment of a romance which is both symptom and symbol of the Second Sophistic, is paid special attention by the romance writer of Alexandria. The plea of the priest of Artemis for the defence of Clitophon in the last book of Leucippe and Clitophon is an example of the many paradoxes used by Achilles Tatius in his work. Thus, he who holds a priestly function in the service of the purest of goddesses does not fear soiling his mouth in the course of a monologue which is Aristophanesque only in name. A rhetorical feat in which Achilles Tatius revisits the development of the pepaideumenos, this monologue is also an occasion to contest the main dynamic of comedy in the Greek romance, that is, the amiable and urbane comic inspired by Menander.
Si le roman d’Achille Tatius est celui de la vision (trompée, manipulée, amoureuse), il est également celui de la bouche et de tous ses dérivés: parole, baiser ou voix. Cet organe, indispensable à l’épanouissement logorrhéique d’un roman à la fois symptôme et symbole de la Seconde Sophistique, est l’objet d’une attention spéciale de la part du romancier d’Alexandrie. Le plaidoyer du prêtre d’Artémis pour la défense de Clitophon au dernier livre de Leucippé et Clitophon est un exemple des nombreux paradoxes utilisés par Achille Tatius dans son oeuvre. Ainsi, celui qui est chargé d’une fonction sacerdotale auprès de la plus pure des déesses ne craint pas de souiller sa bouche au cours d’une tirade qui n’a d’aristophanesque que le nom. Tour de force rhétorique, dans lequel Achille Tatius revisite la formation du pepaideumenos, cette tirade est également l’occasion de contester la principale dynamique comique du roman grec, à savoir le comique aimable et urbain inspiré de Ménandre.
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Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2006
Nombre de lectures 72
Langue Français

Extrait


LE DISCOURS DU PRÊTRE CHEZ ACHILLE TATIUS
1(VIII, 9) : UNE DÉCONSTRUCTION DE LA PAIDEIA
2Romain BRETHES
RÉSUMÉ
Si le roman d’Achille Tatius est celui de la vision (trompée, manipulée,
amoureuse), il est également celui de la bouche et de tous ses dérivés : parole,
baiser ou voix. Cet organe, indispensable à l’épanouissement logorrhéique d’un
roman à la fois symptôme et symbole de la Seconde Sophistique, est l’objet
d’une attention spéciale de la part du romancier d’Alexandrie. Le plaidoyer du
prêtre d’Artémis pour la défense de Clitophon au dernier livre de Leucippé et
Clitophon est un exemple des nombreux paradoxes utilisés par Achille Tatius
dans son œuvre. Ainsi, celui qui est chargé d’une fonction sacerdotale auprès de
la plus pure des déesses ne craint pas de souiller sa bouche au cours d’une tirade
qui n’a d’aristophanesque que le nom. Tour de force rhétorique, dans lequel
Achille Tatius revisite la formation du pepaideumenos, cette tirade est
également l’occasion de contester la principale dynamique comique du roman
grec, à savoir le comique aimable et urbain inspiré de Ménandre.
ABSTRACT
Although the romance of Achilles Tatius is concerned with vision
(betrayed, manipulated, in love), it is also concerned with the mouth and all its
derivatives: word, kiss or voice. This organ, indispensable to the logorrhoeal
fulfilment of a romance which is both symptom and symbol of the Second
Sophistic, is paid special attention by the romance writer of Alexandria. The
plea of the priest of Artemis for the defence of Clitophon in the last book of
Leucippe and Clitophon is an example of the many paradoxes used by Achilles
Tatius in his work. Thus, he who holds a priestly function in the service of the

1. Je remercie les participants au colloque pour leurs suggestions et leurs remarques qui m’ont permis
de préciser parfois, voire de modifier l’orientation de mon étude.
2. Professeur de Première Supérieure au lycée Chateaubriand (Rennes).
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178 R. BRETHES
purest of goddesses does not fear soiling his mouth in the course of a monologue
which is Aristophanesque only in name. A rhetorical feat in which Achilles
Tatius revisits the development of the pepaideumenos, this monologue is also an
occasion to contest the main dynamic of comedy in the Greek romance, that is,
the amiable and urbane comic inspired by Menander.
Le roman d’Achille Tatius est un paradis pour les sens. Œuvre
« scopophiliaque », selon l’heureuse expression d’Helen Morales, qui a consacré à
3Leucippé et Clitophon une étude entièrement centrée sur la question du visuel , elle
est aussi une œuvre littéralement « buccale » et verbale, qui correspond idéalement à
cet âge d’or logorrhéique qu’est la Seconde Sophistique. Si l’on en juge par la
prégnance des expressions désignant la bouche, Leucippé et Clitophon pousse à
l’extrême au sein même du champ romanesque ce motif fondamental. On dénombre
ainsi chez Achille Tatius trente et une occurrences de stoma, contre seulement deux
occurrences chez Chariton, cinq chez Héliodore et aucune chez Xénophon d’Éphèse.
La bouche donne elle même naissance au baiser (filhma) qui, selon l’une des
4sententiae chères au romancier d’Alexandrie , « naît du plus beau des organes du
corps, car la bouche est l’instrument de la voix, et la voix est le reflet de l’âme »
(apo tou kallistou twn tou swmato" organwn tiktetai : stoma gar fwnh"
organon : fwnh de yuch" skia, II, 8, 2), expression dont on trouve un parallèle un
peu plus loin, toujours dans la bouche de Clitophon, qui s’insurge devant la tentative
de séduction de Leucippé par Charmidès et se refuse à voir ce dernier lui arracher un
baiser car « les trois présents les plus précieux viennent de la bouche, à savoir la
respiration, la voix et le baiser » (tria gar ta kallista apo tou stomato" aneisin,
anapnoh kai fwnh kai filhma, IV, 8, 2-3). Ces deux gnomai témoignent du rapport
étroit et organique (la bouche est l’organon de la voix) qui associe bouche, baiser et
voix. En attestent également la répétition de filhma que l’on retrouve tout de même
à quarante-deux reprises chez Achille Tatius, particulièrement concentrées sur les
5deux premiers livres, ceux de l’ars amatoria de Clitophon , et celle de fwnh, dont

3. Vision and Narrative in Achilles Tatius, Cambridge, 2004.
4. Cf. H. Morales, “Sense and Sententiousness in Greek Novel”, in H. Morales, A. Sharrock (eds),
Intratextuality, Greek and Roman Textual Relations, Oxford, 2000, p. 67-88.
5. La psychagogie érotique par l’intermédiaire de la bouche se retrouve dans une épigramme de
Platon, qui déclare : « Lorsque j’embrassais Agathon, j’avais mon âme sur les lèvres » (Thn yuchn,
Agaqwna filwn, epi ceilesin escon, AP, V, 78). Sur cette épigramme, cf. S. Gaselee, “The Soul
in the Kiss”, Criterion, 2, 1924, p. 349-359. Sur le baiser chez Achille Tatius, cf. S. Goldhill,
op. cit., p. 88-90. Sur le riche devenir de cette image, notamment pendant la phase néoplatonicienne
de la Renaissance, cf. l’excellente étude de N.J. Perella, The Kiss Sacred and Profane. An
Interpretative History of Kiss Symbolism and Related Religio-Erotic Themes, Berkeley, University
of California Press, 1969, en particulier p. 1-11 et p. 158-188. Cf. également les pages suggestives
que F. Dupont consacre à cette question, avec quelques remarques concernant Achille Tatius dans
L’invention de la littérature. De l’ivresse grecque au texte latin, Paris, La Découverte, 1998,
p. 150-168.
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LE DISCOURS DU PRÊTRE CHEZ ACHILLE TATIUS 179
on dénombre jusqu’à vingt et une occurrences, contre dix-neuf chez Chariton, huit
chez Héliodore et cinq chez Xénophon d’Éphèse. Précisément, la voix comme reflet
de l’âme (fwnh yuch" skia) est une expression à forte connotation aristotélicienne,
puisque l’on trouve une idée tout à fait comparable dans le De l’interprétation
(I, 16 a) : « les mots émis par la voix sont des symboles des états de l’âme » (esti ta
en th fwnh twn en th yuch paqhmatwn sumbola). Comme le dit J. Derrida, « la
voix, productrice des premiers symboles, a un rapport de proximité essentielle et
immédiate avec l’âme. Elle signifie l’ “état d’âme” qui lui même reflète ou réfléchit
6les choses par ressemblance naturelle » . Chez Achille Tatius, les associations entre
la bouche ou la voix de tel ou tel personnage et leur nature sont l’occasion de glisser
des attaques ouvertes ou d’introduire des paradoxes, subtils ou flagrants, dont le
7romancier est coutumier . Je souhaiterais ainsi revenir sur un passage
symptomatique de cette utilisation de la voix et de la bouche dans Leucippé et
Clitophon, un passage fameux, car il s’écarte des traditionnels procédés comiques
romanesques, mais qui conserve un caractère tout de même très énigmatique. Dans
le dernier livre du roman, lors du procès de Clitophon pour le meurtre présumé de
8Leucippé, le prêtre d’Artémis , défenseur de Clitophon, se lance dans un discours
obscène où il s’en prend violemment à Thersandre, l’accusateur du jeune homme, et
à son mode de vie. Nous verrons que la tonalité de ce discours pose un problème sur
9deux plans distincts – celui des conditions d’énonciation et celui de l’énoncé pur –,
eux-mêmes susceptibles d’introduire une dissonance commune qui vise à contester
ouvertement la construction traditionnelle du pepaideumenos, incarnation, comme le
10résume fort bien Consuelo Ruiz-Montero, du « nouvel idéal de l’époque » .


6. De la grammatologie, Paris, Éditions de Minuit, 1967, p. 21-22.
7. Sur la figure du paradoxe dans le roman grec en général et chez Achille Tatius en particulier, cf.
S.L. Woolf, The Greek Romances in Elizabethan Prose Fiction, New York, 1912, p. 167, qui ne
voit toutefois dans l’usage excessif du paradoxe que “puerile delight in hearing or telling new
things”. Cf. également G. Anderson, The Second Sophistic: a Cultural Phenomenon in the Second
Empire, Londres, Routledge, 1991, p. 163-165 ; T. Whitmarsh, Greek Literature and the Roman
Empire.

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