Le génocide originel : Armoricains et Bretons dans l historiographie bretonne médiévale - article ; n°3 ; vol.90, pg 415-427
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Le génocide originel : Armoricains et Bretons dans l'historiographie bretonne médiévale - article ; n°3 ; vol.90, pg 415-427

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Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest - Année 1983 - Volume 90 - Numéro 3 - Pages 415-427
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Publié le 01 janvier 1983
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Langue Français
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Monsieur Jean-Christophe
Cassard
Le génocide originel : Armoricains et Bretons dans
l'historiographie bretonne médiévale
In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 90, numéro 3, 1983. pp. 415-427.
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Cassard Jean-Christophe. Le génocide originel : Armoricains et Bretons dans l'historiographie bretonne médiévale. In: Annales
de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 90, numéro 3, 1983. pp. 415-427.
doi : 10.3406/abpo.1983.3132
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1983_num_90_3_3132LE GENOCIDE ORIGINEL
Armoricains et Bretons
dans V Historiographie bretonne
médiévale
par Jean-Christophe CASSARD
Personne n'ignore quel enjeu a représenté Conan Meriadoc dans l'his
toire politique de la Bretagne aux deux derniers siècles de l'Ancien Régime,
la reconnaissance formelle de son historicité étant alors devenue pour ses
descendants prétendus, les Rohan, le moyen d'accéder à la dignité de « prin
ces étrangers » réservée à la Cour de France aux seuls lignages de souche
royale. De cette querelle de préséance l'écho retentit à travers toute la
province et par force les historiens s'y trouvèrent intimement mêlés : Dom
Lobineau paya cher son entêtement à contrarier les prétentions de la puis
sante famille qu'il ne pouvait épouser faute de documents authentiques à ses
yeux ; à l'inverse, Dom Morice se montra plus accommodant ou plus prudent
et dès lors les Rohan encouragèrent la parution de ses Mémoires et preuves
de l'Histoire civile et ecclésiastique de la Bretagne (1). Faute d'enjeu vérita
ble, cette controverse est aujourd'hui bien apaisée ; mais que Conan Méria-
doc, devenu selon la légende le premier roi breton de l'Armorique vers 383,
ait existé ou non, cela demeure également incertain : on pourra longtemps
encore nier catégoriquement l'existence de ce roi légendaire ou bien arguer
qu'autour de son nom et du souvenir confus de sa vie se sont greffés légendes
et embellissements (empruntés à d'autres chefs bretons?) magnifiant un
homme dont le rôle et l'importance positives nous échappent. Remarquons
toutefois que la tradition historique galloise a fait très tôt de Conan Meriadoc
un personnage de premier plan : Y Armes Prydein qui remonte au début du
Xe siècle le présente même avec Cadwaladr comme le futur libérateur du
peuple breton de l'île et du continent (2), fonction dans laquelle le roi Arthur
(1) Le contexte et la portée méthodologique de cette affaire sont éclairés par les documents publiés par
Arthur de La Borderie, Correspondance historique des bénédictins bretons, Paris, 1880 et les remarquables
mises au point de J.-Y. GUIOMAR, La trinité bénédictine, La taupe bretonne, n° 3, Paris, 1972, pp. 69-94 et
de J. MEYER, Les difficultés de l'histoire bretonne au XVIIIe siècle, présentation de la réédition desPreuves
de Dom Morice, Paris, 1974, pp. III-XVI.
(2) Jean de Cornouailles dans saProphetia Merlini, dont le texte est la traduction en latin d'un original
breton dont Geoffroy de Monmouth se serait également inspiré, insiste sur ces rapports entre Conan et
Cadwaladr tout en négligeant Arthur. Voyez les vers 1 10 et 1 1 1 de l'édition procurée par P. FLOBERT,
Etudes celtiques, t. XIV, 1974, pp. 31-41. ANNALES DE BRETAGNE 416
(une autre figure bien énigmatique !) l'éclipsera seulement avec l'œuvre de
Geoffroy de Montmouth. L'existence de cette tradition ancienne serait un
excellent argument en faveur de l'authenticité historique de Conan...
Quelle que soit la réponse que l'on donne donc à cette question d'érudi
tion, il demeure une réalité d'un autre ordre : la figure mythique de Conan est
restée bien vivante pendant de longs siècles sous les traits d'Un roi conquér
ant et glorieux, ancêtre reconnu et proclamé des ducs de Bretagne, premier
organisateur d'un Etat nouveau qV il saisit par la force des armes et peupla
de ses compagnons insulaires. Ce Conan là n'a jamais été discuté jusqu'au
temps des Rohan et de Dom Lobineau, ou si peu : trouvant sa place dans une
longue galerie de portraits royaux et ducaux entre Brutus, le héros éponyme,
et Nominoë, le premier roi avéré, l'effigie de Conan y tient un rôle qui n'est
pas mince puisque par lui la tige des souverains bretons d'Armorique se
rattache à celle des rois de la Bretagne insulaire, elle-même bien antérieure
aux conquêtes de Jules César. Par conséquent dans le travail sur la mémoire
historique d'une dynastie et d'un peuple, Conan est un pivot indispensable,
un point de repaire nécessaire, et les chroniqueurs bretons, dont M. Jean
Kerhervé vient de souligner l'importance dans la naissance d'un « sentiment
national » aux deux derniers siècles de l'indépendance (3), se sont complus à
le mettre en scène sous les meilleurs auspices. Parmi les thèmes qu'ils
retinrent, il s'en trouve un, connexe à la vie héroïque de Conan, dont les
racines plongent à tout le moins jusqu'au XIe siècle : débarquant sur les
côtes d'Armorique, le futur roi de ces terres et ses soldats n'y auraient
découvert que des populations gauloises hostiles, païennes, dont ils
fait un grand massacre, n'épargnant que les femmes parce qu'ils en étaient
dépourvus qui fussent de leur race, non sans prendre la précaution de leur
arracher la langue afin que les enfants à naître de leurs unions avec ces
armoricaines conservent pure de tout emprunt autochtone la langue bre
tonne de leurs pères. C'est ce « génocide originel », au moins pour ce qui
regarde les hommes gaulois, qui rendrait compte de l'altérité historique et
linguistique des Bretons dans le concert des peuples surgis de la Gaule
romaine. Pièce importante, sinon essentielle, d'un certain « nationalisme »
cultivé dans des milieux proches de la Cour ducale de François II et de ses
prédécesseurs immédiats, cette légende, bien évidemment absurde sur le
fond, a une genèse et une portée idéologique que nous nous proposons ici de
suivre et de cerner.
Entre le début du XI1' siècle et le XIII1' siècle, des textes font référence
de façon explicite à ce génocide dont les conquérants bretons se seraient
rendus coupables en Armorique quelques 600 ou 800 ans plus tôt, et ces
textes furent composés sur les deux rives de la Manche. Nous y reviendrons.
Mais il faut d'abord s'interroger sur le silence des sources mérovingiennes et
carolingiennes à ce sujet : peut-on déduire de ce laconisme que le « génocide
originel » est une « forgerie » de poètes celtes du Moyen Age féodal ? Peut-
(3) J. KERHERVE, Aux origines d'un sentiment national. Les chroniqueurs bretons de la fin du Moyen
Age. Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. CVIII, 1980, pp. 165-206. DE BRETAGNE 417 ANNALES
être, mais il importe de souligner la nature hagiographique des sources
armoricaines les plus vénérables. Autant par vocation que par goût les
hagiographes se consacrent en priorité à l'illustration des vertus et des
miracles de leurs saints patrons : quelques anecdotes peuvent trouver grâce
à leurs yeux si elles fournissent matière à digressions moralisantes ou portent
témoignage de la puissance thaumaturgique du saint ; mais leur tâche n'est
en aucune manière d'écrire l'histoire du temps passé. Le contexte social et
événementiel, dans lequel s'inscrivent pourtant la vie et l'œuvre de leur
héros, se trouve fatalement rejeté sur les marges du récit, au mieux il lui
fournit une toile de fond devant laquelle se déploient en pleine lumière les
actions intemporelles du saint. Autant dire que rechercher dans les Vitae
bretonnes d'époque carolingienne le témoignage sincère de ce qui advint
plusieurs siècles auparavant est chose bien ardue, si elle ne constitue pas un
contresens complet sur la nature même de ces écrits qui ne peuvent répondre
à des préoccupations qui n'étaient pas celles des contemporains. De plus on
retient à les lire l'absence de toute allusion à la violence, à la guerre : c'est
que dans le genre hagiographique un saint ne peut être un guerrier. Il s'établit
toujours pacifiquement dans une contrée presque dése

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