Le langage sceptique - article ; n°65 ; vol.16, pg 47-74
29 pages
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Description

Langages - Année 1982 - Volume 16 - Numéro 65 - Pages 47-74
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 46
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Françoise Desbordes
Le langage sceptique
In: Langages, 16e année, n°65, 1982. pp. 47-74.
Citer ce document / Cite this document :
Desbordes Françoise. Le langage sceptique. In: Langages, 16e année, n°65, 1982. pp. 47-74.
doi : 10.3406/lgge.1982.1119
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1982_num_16_65_1119DESBORDES Françoise
Université de Poitiers
LE LANGAGE SCEPTIQUE
Notes sur le Contre les grammairiens de Sextus Empiricus
Pécuchet réfléchit, se croisa les bras. — « Mais nous allons
tomber dans l'abîme effrayant du scepticisme. » II n'effrayait,
selon Bouvard, que les pauvres cervelles.
Flaubert
Symptôme
Sextus Empiricus n'aime pas les grammairiens. Certes, il n'est généralement pas ten
dre pour les dogmatiques et prétendus savants en tout genre, mais son petit traité
Contre les grammairiens 1 distille une hargne toute, spéciale. Attaquer la « science »
des grammairiens, c'est avant tout, pour Sextus, les remettre à leur place, dégonfler la
baudruche de leurs prétentions exorbitantes, montrer leur bêtise, leur nullité. Au fil
des pages l'image s'accuse, pédants grossiers, coupeurs de cheveux en quatre ridicules
et stupides, imbéciles qui méprisent à la fois le peuple et les grands auteurs classiques
alors qu'ils sont eux-mêmes incapables de rien comprendre et même d'aligner deux
phrases correctes 2. L'image est familière, et l'on se dit, en songeant à certaines anec
dotes d'Aulu-Gelle, à certains portraits de Suétone (Marcellus, Palémon...), au plago-
sus orbilius d'Horace, etc., que peut-être, après tout, les grammairiens de l'Antiquité
étaient une méchante espèce. Mais on se dit aussi que cette figure du grammairien,
savanticule besogneux et arrogant, perdure à travers le temps avec une remarquable
constance ; mainte fois représentée à diverses époques, on la retrouve encore
1. Système de références adopté : HP I-III : Esquisses Pyrrhoniennes I-III {Hypotyposes
Pyrrhoniennes) ; AM I-VI : Contre les savants (Aduersus mathematicos) : I 1-40, Introduction ;
I 41sq., Contre les grammairiens ; II, Contre les rhéteurs ; III, Contre les géomètres ; IV, Cont
re les arithméticiens ; V, Contre les astrologues ; VI, Contre les musiciens ; AM VII-XI : Contles dogmatiques (placé à la suite du Contre les savants dans les mss., mais qui est en fait un
traité différent et antérieur) : VII- VIII, les logiciens I-II ; IX-X, Contre les physiciens
1-Й ; XI, Contre les moralistes. Tableau d'équivalence des diverses dénominations dans J.P.
Dumont, Les sceptiques grecs (textes choisis), Paris, 1966, p. 4.
2. Voir surtout AM I 97-99 ; injures diverses en 41, 54, 55, 70, 115, 116, 141, 144, 174, 223,
277, 301.
47 à peine adoucie, en dépit de la transfiguration de la grammaire en aujourd'hui,
linguistique 3. D'une certaine façon, et pour un certain type d'anti- intellectualisme et
de défense du « sens commun » (le « bon sens »), la grammaire est une aberration
inutile et reprehensible, avec sa manie de légiférer dans un domaine qui ne relève que
du « ce qui va de soi ». De fait le scepticisme (chez Sextus tout particulièrement) se
donne volontiers comme philosophie du sens commun, porte-parole de la majorité
silencieuse, effort pour assumer consciemment la naïveté primitive de ceux pour qui
l'ordinaire est forcément normal. Le Contre les grammairiens serait donc une expres
sion un peu outrée (un peu longue aussi, pleine d'arguties sophistiques et de détails
oiseux) du déplaisir du sceptique, s'assimilant à l'homme de la rue, devant l'intrusion
de la « science » dans la vie quotidienne.
Les travaux sur le scepticisme grec se sont généralement peu intéressés à un texte
ainsi conçu — ni du reste à l'ensemble des traités Contre les savants auquel il appart
ient et où l'on voit la même inspiration un peu courte. Un temps on a tenu cet ensemb
le pour une œuvre de jeunesse non encore vraiment touchée de la grâce philosophi
que. Bien qu'il soit établi, depuis au moins 1883 4, que c'est en fait la dernière en date
des œuvres conservées de Sextus, on continue à penser que son « intérêt philosophique
est en général assez mince » 5 et à y voir surtout un recueil de précieux documents
pour l'histoire des diverses sciences considérées. Le Contre les grammairiens ne fait
pas exception. On voit bien qu'« il y a de la philosophie là-dedans », et, par exemple,
les spécialistes de l'histoire de la linguistique qui utilisent ce texte, disent qu'il faut
bien discerner l'élément philosophique polluant si l'on veut extraire des faits grammat
icaux bien purs 6. Mais la démonstration d'une influence philosophique sur le Contre
les grammairiens semble s'être bornée jusqu'ici à relever l'emploi d'un certain nom-
3. Exemple : Un historien illustre règle des comptes avec les horreurs modernes, marxisme,
psychanalyse, structuralisme, nouvelle critique... ; il ajoute la linguistique : « Cette discipline
rébarbative les fait se pâmer qui, dans nos jeunes années, n'attirait que les plus disgraciés. On
entrait en linguistique comme à la trappe ou au Carmel : pour se punir d'avoir péché ou parce
qu'une nature ingrate et un manque total d'imagination interdisaient tout autre exercice. « Vous
devriez faire de la linguistique », disait le directeur de l'Ecole normale à ceux qui lui semblaient
présenter le physique de l'emploi. « Les linguistes », ajoutait- il en confidence, « présentent bien
des inconvénients, mais j'ai observé qu'ils faisaient toujours de bons maris ». L. Chevalier, Hist
oire anachronique des Français, Paris, 1974, p. X.
4. L. Haas, Ueber die Schriften des Sextus Empiricus, Burghausen, 1883 ; corroboré par V.
Brochard, Les sceptiques grecs, Paris, 1887, p. 318 et amplement vérifié depuis dans les travaux
de K. Janáček (cf. Prolegomena to Sextus Empiricus, Olmutz, 1950).
5. L. Robin, Pyrrhon et le scepticisme grec, Paris, 1944, p. 226. Le texte n'a été publié que
tardivement, en 1949 chez Loeb (R.G. Bury), en 1954 chez Teubner (J. Mau).
6. Cf. V. De Marco, La contesa analogia-anomalia in Sesto Empirico : Rendiconti dell'
Accademia di Archeologia, Lettere e Belle Arti di Napoli, 1957, pp. 129-148, p. 130.
7. Cf. E. Krentz, Philosophie concerns in Sextus Empiricus Contra Mathematicos I : Phro-
nesis, 1962, pp. 152-160. A. Schmekel, Die positive Philosophie in ihrer geschichtlichen Ent-
48 de termes philosophiques et de tours argumenta tifs, de « tropes » du type de ceux bre
ď Agrippa , dont Sextus, en bon sceptique, fait un usage étendu dans tous ses ouvrag
es. En particulier, les récentes études sur 1 'epistemologie sceptique ne semblent pas
songer qu'elles pourraient peut-être intégrer au système qu'elles décrivent les idées sur
le langage de ce Contre les grammairiens qu'on abandonne aux évaluations positivistes
des historiens de la linguistique. Il devrait pourtant être possible de rattacher les posi
tions de Sextus sur le langage à l'ensemble de la position sceptique, possible d'allier
l'étude de 1 'epistemologie et l'histoire de la linguistique. Comme le dit O. Ducrot :
« Faire l'histoire de la linguistique, cela devrait d'ailleurs consister non pas tant à
raconter les débats opposant les grammairiens entre eux, mais à montrer comment
chaque théorie constituée par les est reliée à une appréhension de l'acti
vité langagière » . Bien sûr, Sextus n'est pas un grammairien, mais il n'en constitue
pas moins, parfois par opposition, souvent explicitement, une théorie du langage
dépendant d'un certain point de vue. On voudrait montrer ici que ce point de vue
n'est pas seulement la position banale du « bon sens » rétif à toute iscientifisation
d'un objet d'évidence, mais que la mauvaise humeur de Sextus répond au danger
d'une mise en question de l'ensemble de la philosophie sceptique, menacée sur le point
central de la représentation par la transformation du langage en objet d'étude.
I. La grammaire, la philosophie (première approche).
Grammaire
Le Contre les grammairiens de Sextus Empiricus se propose de démontrer que la
grammaire n'est pas et ne peut pas être une véritable science. La démonstration suit
un ordre méthodique emprunté aux grammairiens eux-mêmes. Après une critique de
d

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