Le marteau de Michel-Ange - article ; n°1 ; vol.64, pg 77-87
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Description

Communications - Année 1997 - Volume 64 - Numéro 1 - Pages 77-87
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 20
Langue Français

Extrait

Mr Yves Hersant
Le marteau de Michel-Ange
In: Communications, 64, 1997. pp. 77-87.
Citer ce document / Cite this document :
Hersant Yves. Le marteau de Michel-Ange. In: Communications, 64, 1997. pp. 77-87.
doi : 10.3406/comm.1997.1973
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1997_num_64_1_1973Yves Hersant
Le marteau de Michel-Ange
E Si se pub nessun far... martel senza martello
Le plus grand artiste de la Renaissance ne pouvait naître comme tout
le monde. Son apparition sur cette terre, selon le premier de ses biogra
phes, n'est pas l'effet d'une ordinaire procréation : si le petit Buonarroti
a vu le jour, le 6 mars 1475, c'est sur intervention directe de Dieu. Dans
sa clémence, dit Vasari, et peiné de voir les hommes si faibles, le roi des
cieux leur manda un « esprit universellement habile », capable de leur
montrer l'« infinitude du fini x ». Pour bien marquer son statut de « créa
ture céleste, supérieure à la vie humaine », on prénomma l'enfant Michel-
Ange.
La suite est connue : tout au long de son existence, la créature ainsi
créée dut se vouer à la création. Depuis Vasari, et souvent dans son
droit fil, d'innombrables commentateurs ont fait du peintre de la Sixtine
un créateur superlatif ; peu s'en faut que chez certains le mot ne prenne
la majuscule. Jamais artiste ne fut entouré d'un tel halo théologique :
car tout se prête, dirait-on, à la divinisation de Michel-Ange. Dominat
eur et sûr de lui, il tutoie Dieu et le Christ ; sculpteur . et peintre,
architecte et poète, il étend son champ d'action plus loin encore que
Léonard ; du David à la Pietà Rondanini, du Combat des Centaures au
Jugement dernier, des poèmes burlesques aux sonnets mystiques, de la
façade de San Lorenzo à la coupole de Saint-Pierre, ses changements
de style ou de manière suscitent toujours la. meravigli a. Et, Join de
représenter seulement les corps, on assure qu'il les anime ; c'est à leur
« insuffler la vie » que tendrait, obstinément, son art héroïque et con-
vulsif. Surhumain, son projet de sculpter une montagne ; . sublime,
sa quête éperdue du colossal, nourrie par la haine du médiocre et par
un « orgueil impitoyable » ; souveraine, cette solitude qu'il cultive
77 Hersant Yves
farouchement. Si l'artiste admet des , aides, il ne partage jamais la
gloire : s'appropriant toute entreprise, il la marque de son seul sceau.
Bref: tel qu'aime à le peindre l'histoire de l'art, Michel- Ange est un
démiurge.
Image romantique ? Sans doute, mais elle perdure subrepticement.
Ainsi, de nos jours, dans l'étude de Marcel Marnât - si hostile, cependant,
au stéréotype d'un Michel-Ange idéaliste et idéalisé, porté au niveau su
rhumain sur les ailes du platonisme. Le biographe a beau replonger
l'artiste « dans l'humus du quotidien », lui rendre sa sensualité et son
poids de chair, montrer la difficile gestation de la plupart de ses œuvres,
il a beau restituer le peintre à sa vocation « naturaliste2 », et préférer la
prose de la fabrique à la poésie de la création, Buonarroti à chaque page
resurgit en « créateur ». Bien différente de l'hagiographie vasarienne,
comme de ses dérivés romantiques, la biographie de Marnât aboutit au
même effet : une énergie vitale, un processus tout subjectif font l'artiste
plus grand que son art.
Le piquant, c'est que Michel-Ange, dans ses poèmes et dans ses lettres,
a récusé par avance le portrait qu'on brosse de lui. La créativité qu'on
lui reconnaît n'est pas celle qu'il revendique ; appliqué au monde de l'art,
le mot « création » lui est suspect. De l'autonomie de l'artiste, du subjec-
tivisme esthétique, de la création ex nihilô, nulle trace dans ses écrits :
l'un des premiers artistes « modernes », par un paradoxe assez cocasse,
n'obéit d'aucune manière à notre injonction de modernité. Son esthétique,
s'il est permis d'employer à son propos un terme aussi entaché d'ana
chronisme, interdit à tout artiste de se prétendre original ; l'idée même
lui semble blasphématoire, d'un art qui serait « en son essence » (pour
parler comme Heidegger) « une origine et rien d'autre : un mode insigne
d'accession de la vérité à l'être, c'est-à-dire à l'avènement, c'est-à-dire à
l'Histoire ».
Création mélancolique.
A quiconque lit Michel-Ange, plutôt que ses innombrables comment
ateurs, un constat s'impose d'emblée : c'est dans une double perspect
ive, religieuse et mélancolique, que l'artiste se situe et qu'il projette
tous ses ouvrages. C'est dans un rapport à Dieu, comme dans une
relation à la souffrance, que son art prend une valeur et se voit doté
de sens. Théologie d'un côté, pensée médico-philosophique de l'autre :
deux traditions confluent chez lui, d'autant plus dignes d'attention
qu'elles ont aujourd'hui de quoi surprendre. Commençons par la
seconde : familière à Michel-Ange, même s'il en ignore certains arcanes
78 Le marteau de Michel-Ange
qui enchantent les humanistes, elle nourrit ses réflexions et oriente son
travail. Lorsqu'il confie à de rares amis, sans complaisance ni fioritu
res, les épreuves qu'il traverse ou les tourments qu?il endure, et quand
il décrit lucidement ses accès de désespoir, c'est moins pour se poser en
héraut d'une héroïque modernité que pour, reposer un vieux problème :
celui du rapport étroit, postulé < depuis . Aristote, entre mélancolie et
création.
Le sentiment, tour à tour tonique et navrant, d'être un homme hors
du commun ; un continuel passage de l'exaltation à l'abattement ;
l'horreur de la, mort et la conscience exacerbée de la vie; le désarroi,
aussi, devant les réalisations imparfaites et limitées, si éloignées «. de
l'idéal artistique ou spirituel : autant de symptômes, pour Michel-Ange,
d'une « folie » dont il se plaint amèrement. Dès 1497, à son père : « Je
souffre d'une gran passione, d'un grand tourment. » En 1509, à son
frère : « Je vis ici dans une grande détresse, réduit à une extrême
fatigue physique ; je n'ai aucun ami d'aucune sorte, et n'en veux
aucun. » En 1512, de nouveau à son père : « Je vis dans le sordide, je
n'ai souci ni de la vie ni des honneurs, c'est-à-dire du monde, et je vis
au milieu des plus grandes fatigues et de mille soupçons. » Non sans
raison, Raphaël le peint en ce temps-là (dans la célèbre École d'Athè
nes) sous les traits d'un saturnien : replié sur lui-même, la main
soutenant la joue gauche, absorbé dans son travail. Et plus Buonarroti
avance en âge, plus se fait vive une souffrance qu'il dit justement
mélancolique. Tantôt, déplorant ses insuffisances et son basso ingegno,
il se rapetisse et s'humilie : « Je suis un pauvre homme, ne valant pas
grand-chose, et je m'épuise à cet art que Dieu m'a donné pour
prolonger ma vie le plus possible », écrit-il en 1542 à Niccolô Martelli ;
et la même année, à Luigi del Riccio : « J'aurais mieux fait, dans : ma
jeunesse, de fabriquer des allumettes : je ne souffrirais pas un tel
tourment»... Tantôt, avec un orgueil qu'atteste de son côté Baccio
Bandinelli («il n'a jamais voulu être aidé de personne, pour ne pas
former des maîtres3 »), il se fait gloire de sa solitude et de ses maux.
Mais qu'il gémisse ou qu'il s'exalte, sur l'essentiel il ne varie pas : ses
« créations » et sa souffrance — cette mélancolie qui le martèle — lui
apparaissent indissociables. .L'art n'est pas une sinécure et ne se
pratique pas spontanément ; au sens premier, c'est un travail, • autre
ment dit une torture. « Songe-t-on à combien de sang cela coûte ? »,
écrit Michel-Ange sur une de ses œuvres, un crucifix offert à Vittoria
Colonna. Audacieuse question, et d'autant plus révélatrice : ce n'est pas
en Créateur que l'artiste se représente, mais en Christ re-crucifié ; avec
le sang et les larmes, la mélancolie doit être son lot.
Qu'une telle idée soit répandue, qu&#

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