Le monde paysan dans le système politique censitaire : un absent ou un enjeu ? - article ; n°2 ; vol.89, pg 215-228
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Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest - Année 1982 - Volume 89 - Numéro 2 - Pages 215-228
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Publié le 01 janvier 1982
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Langue Français
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André-Jean Tudesq
Le monde paysan dans le système politique censitaire : un
absent ou un enjeu ?
In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 89, numéro 2, 1982. Les paysans et la politique (1750-1850).
pp. 215-228.
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Tudesq André-Jean. Le monde paysan dans le système politique censitaire : un absent ou un enjeu ?. In: Annales de Bretagne
et des pays de l'Ouest. Tome 89, numéro 2, 1982. Les paysans et la politique (1750-1850). pp. 215-228.
doi : 10.3406/abpo.1982.3087
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1982_num_89_2_3087LE MONDE PAYSAN DANS LE
SYSTÈME POLITIQUE CENSITAIRE
UN ABSENT OU UN ENJEU ?
par André- Jean TUDESQ
Dans le système politique de la monarchie censitaire en France
entre 1815 et 1848, le paysan apparaît comme un absent.
Il est d'abord absent des témoins qui ont laissé des traces écrites,
celles qui ont été retenues par l'historiographie : cette absence s'explique
parce que les paysans dans leur grande majorité n'avaient pas la connais
sance et surtout la pratique de l'écriture ; elle s'explique aussi parce que
dans de nombreux départements, ceux de la France obscure dont parlait
Charles Dupin, les paysans n'avaient pas non plus la pratique du français.
Quand la parole du paysan est transcrite au cours de cette période, elle
l'est presque toujours par des médiateurs qui lui sont souvent hostiles
(rapports de gendarmeries, archives de la justice) et presque toujours
extérieurs (documents d'Eglise, procès-verbaux de Conseils municipaux,
rapports d'inspecteurs de l'enseignement ou de sous-préfets). La reconst
itution de la vie du paysan s'élabore à partir de documents rassemblés
par des administrations ou en utilisant une méthode ethnographique et
des objets conservés de la vie quotidienne.
La littérature de l'époque donne du paysan un portrait peu flatteur ;
le dictionnaire de l'Académie française dans une édition de 1835 défi
nissait le paysan : « c'est un homme rustre, impoli, grossier dans ses
manières et son langage ». Pourtant la population française en 1846
encore comprenait 75 % de ruraux qui sont pour la plupart des paysans
cultivant eux-mêmes la terre (qu'ils en soient ou non propriétaires) ;
pourtant c'est de ce milieu rural (profondément diversifié selon les régions
et à l'intérieur même de chaque département) que sortent la plupart des
nouveaux habitants des villes ; les racines paysannes restent proches
dans une partie importante des cadres de l'administration, de l'enseigne
ment, du clergé, de l'armée ; des écrivains de la deuxième moitié du
XIXe siècle rapportent le souvenir de leur enfance paysanne comme
Eugène Le Roy dans Jacquou le Croquant. Pendant la première moitié
du XIXe siècle, rares sont les écrivains donnant du paysan une image
flatteuse ; on ne peut guère citer que Paul Louis Courier, écrivant en
1819 : « On tient assez généralement que les paysans sont des hommes... 216 ANNALES DE BRETAGNE
De là à les traiter comme tels, il y a loin encore » ; George Sand qui
idéalise le paysan dans Promenades autour d'un village (1845) ou dans
ses romans champêtres, non sans quelque condescendance qui l'amène
par exemple à écrire en 1847 à Mazzini en lui demandant de venir la
voir « dans ma Vallée Noire, si bête et si bonne » ; Michelet écrivant
dans Le Peuple (1846) « Le paysan n'est pas seulement la partie la plus
nombreuse de la nation, c'est la plus saine, la plus forte, au total la
meilleure... tout passe et lui reste ».
Mais la plupart des auteurs et romanciers en tracent un portrait bien
plus sombre. Dans les Paysans, Balzac donne au personnage de Fourchon
un esprit grossier et haineux et se montre bien plus critique : « Le peuple,
les femmes et les enfants se gouvernent de même : par la terreur » ou
encore : « Le sauvage, le paysan qui tient beaucoup du sauvage ne parlent
jamais que pour tendre des pièges à leurs adversaires ».
I. — LE PAYSAN CITOYEN PASSIF ?
La faiblesse du monde paysan comme acteur politique découle de
la conception même du pouvoir politique dans le système politique cen
sitaire en vigueur pendant la première moitié du XIXe siècle jusqu'en
1848. L'élection est considérée comme une fonction plus que comme
un droit, liée à une capacité ; or la capacité politique est définie princ
ipalement par l'exercice du droit de propriété, plus particulièrement la
propriété foncière et immobilière, puisque la contribution foncière est
la principale des contributions fiscales retenues pour déterminer le droit
de vote. Cette absence du paysan de la décision politique apparaît à
deux niveaux.
1. — Dans V électoral.
Le paysan est absent du corps électoral de la Restauration ; sauf celui
qui désigna la Chambre introuvable en 1815 dans lequel il a une très
faible participation, encore se situe-t-elle seulement au premier stade
de ces élections à deux degrés. Après la révolution de juillet 1830,
l'abaissement à 200 francs du cens minimum élargit cette catégorie. La
loi électorale du 19 avril 1831 avait établi un minimum de 150 électeurs
par arrondissement électoral ; en 1831 il y avait quelques milliers
d'électeurs payant moins de 200 francs de cens, répartis dans 33 collèges
électoraux sur 459. Les électeurs dont le cens dépassait à peine les
200 francs se recrutaient soit parmi des maîtres artisans, soit parmi des
propriétaires paysans travaillant eux-mêmes leurs terres et désignés dans
les listes électorales sous le nom de « cultivateurs ». Ces électeurs paysans
étaient souvent les plus sensibles aux pressions ou sollicitations des
autorités administratives ou des notables. Le sous-préfet d'Ancenis écrivait
le 27 juillet 1846 à la veille d'une élection « II est une classe nombreuse
(1) Cf. nos articles « Les listes électorales de la Monarchie censitaire », Annales
avril-juin 1958 et « Institutions locales et histoire sociale : la loi municipale de
1831 et ses premières applications », Annales de la Faculté des Lettres et Sciences
humaines de Nice 9-10, 1969, p. 327-363. ANNALES DE BRETAGNE 217
4'électeurs qui n'a aucun moyen d'apprécier personnellement le mérite
relatif des candidats. Le meilleur à leurs yeux est celui qu'adopte l'homme
du pays en qui ils ont confiance » (2).
Toutefois, les électeurs paysans des députés sont en nombre très limités
à la différence des des assemblées locales. Les élections au
conseil général définies par la loi du 22 juin 1833 prévoyaient un minimum
de 50 électeurs par canton ; aux électeurs censitaires (imposés de 200
francs et plus) s'ajoutaient les jurés et des électeurs complémentaires ; en
1840, ils étaient 24 540 pour toute la France, ne provenant que de cantons
ruraux, comprenant principalement des petits propriétaires cultivateurs ;
mais l'inégalité de la valeur réelle du cens se traduisait par exemple,
dans une étude effectuée en 1831 sur les chiffres de 1829, par une est
imation de 50 francs d'impôt à 294,8 Frs de revenus dans le Loiret ou
la Marne, à 373,5 Frs dans l'Hérault ou la Somme à 579,5 Frs dans les
Basses-Pyrénées, à 452,5 Frs de revenus en Gironde ; pour avoir un
ordre de grandeur, on peut indiquer que dans plusieurs villages de ce
département la journée d'un homme pour les prestations des chemins
vicinaux était évaluée à 1 franc.
Les censitaires à 50 francs et au-dessous étaient surtout nombreux
dans les élections municipales à la suite de la loi municipale du 21 mars
1831 qui avait introduit, dans le recrutement des conseillers municipaux,
le régime électoral ; désormais sont électeurs communaux les contribua
bles âgés de 21 ans et plus dans une proportion représentant 10 % de
la population dans les communes de 1 000 habitants et au-dessous,
5 % dans les communes de 1 000 à 5 000 et une proportion
plus faible dans les villes ; il devait y avoir un minimum de 30 électeurs
contribuables domiciliés dans la commune et si ce chiffre n'était pas
atteint, on inscrivait des électeurs complémentaires ; dans un département
riche comme l'Oise, en 1832, le cens électoral descendait à 3,40 francs

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