Le point de vue - article ; n°1 ; vol.38, pg 3-29
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Description

Communications - Année 1983 - Volume 38 - Numéro 1 - Pages 3-29
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jacques Aumont
Le point de vue
In: Communications, 38, 1983. pp. 3-29.
Citer ce document / Cite this document :
Aumont Jacques. Le point de vue. In: Communications, 38, 1983. pp. 3-29.
doi : 10.3406/comm.1983.1566
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1983_num_38_1_1566Jacques Aumont
Le point de vue
Le propre du tableau Quattrocento est de s'organiser autour d'un
point, rarement matérialisé dans la peinture, où convergent les lignes
qui représentent des droites perpendiculaires au plan du tableau. Image
du point à l'infini de cette famille de droites, le point de fuite principal
est aussi défini, géométriquement, comme marque de la position de l'œil
du peintre. Ainsi la perspectiva artificialis conjoint-elle l'image de
l'infini à celle de l'homme, et c'est de ce nœud ombilical que s'organise
la représentation.
Par une remarquable métonymie, ce point géométrique est aussi
appelé, parfois, du même nom que l'emplacement de l'œil du peintre : le
point de vue. Une bonne partie de l'histoire de la peinture, telle qu'elle
s'est écrite depuis cent ans, a visé dès lors à suivre les avatars de ce
« point de vue » : élaboration, lente et hésitante, des règles techniques de
la perspective à centre ; évidence du marquage « humaniste » de ces
données techniques, et de la référence du tableau à un regard qui le
constitue (regard du peintre, auquel celui du spectateur doit topologi-
quement se substituer) ; dissolution de l'un et de l'autre vers le tournant
du siècle.
L'essentiel, dans cette période de l'histoire de la représentation, c'est
donc l'indéfectible solidarité entre le tableau et le spectateur, et plus
précisément, la symétrie entre eux, cet impossible croisement de regards
entre le spectateur et le peintre dont la description, aujourd'hui
classique, se trouve chez Foucault et chez Lacan. Il n'est pas indif
férent de rappeler que, dans la langue française « classique », jusqu'au
XVIIIe siècle disons, l'expression « point de vue » désignait aussi, et très
logiquement, l'endroit où l'on doit placer un objet pour le rendre mieux
visible. Admirable ambiguïté de la langue, qui entérinait la fondament
ale dualité regardant/regardé.
Dans son dispositif même, la photographie a « absorbé » tous ces
points de vue-là. Comme la peinture, la représentation photographique
suppose le choix d'un emplacement de l'œil preneur de vue, la fixation
aussi d'un bon placement de l'objet vu x ; par ailleurs, l'objectif est très
généralement construit de manière à produire automatiquement une
image à point de fuite central. Aussi le cinéma, par le biais de l'image Jacques Aumont
photographique, est-il hanté par la métaphore du regard, du point de
vue, dans la façon même dont il traite le matériau visuel.
Ce n'est pas tout. En même temps que la peinture apprenait à
maîtriser les effets de cette représentation centrée, la littérature découv
rait peu à peu des phénomènes analogues, et en particulier la
complexité des rapports entre des événements, des lieux, des situations,
des personnages et, d'autre part, le « regard » que porte sur eux
l'instance narratrice ; la littérature moderne est une littérature du point
de vue, de plus en plus obsédée par un départage difficile entre ce qui
relève de Fauteur et s'avoue comme tel, et ce qui sera attribué aux
personnages.
Pour une large part, c'est cette période littéraire qui définit le cinéma
« classique », comme l'héritier d'un système narratif qui a peut-être
culminé au siècle dernier, et qui a posé dans toute leur netteté les
questions du narrateur, de son regard, et de son incarnation sous les
espèces de l'auteur et du personnage.
Ce qui, du cinématographe (ou du kinétoscope) a fait le cinéma, c'est
pour l'essentiel ce souci de l'agencement, de l'ajustement entre instances
narratives concurrentes, entre des points de vue sur l'événement. Dans
l'histoire de la représentation filmique, le premier événement capital a
été sans conteste la reconnaissance du potentiel narratif de l'image, par
le biais de son assimilation à un regard. On sait du reste comment la
période classique du cinéma a hypostasié ce regard, versant personnage
comme versant auteur2.
Une double ligne de partage se dessine ainsi, distinguant d'une part
entre la figuration directe (dans l'image) ou indirecte (dans le récit) d'un
point de vue — et d'autre part répartissant ces points de vue entre les
trois places d'où ça regarde : le personnage, l'auteur, le spectateur qui
les regarde tous deux, et se regarde regarder 3.
Il faut enfin y ajouter ceci, qui n'est pas vrai de la seule langue
française, que l'expression point de vue prête encore à extension
métaphorique : c'est une opinion, un jugement, dépendant du jour sous
lequel on considère les choses, du point de vue (au sens littéral) adopté
sur elles, et qui informe largement l'organisation même de la narration
et de la représentation. Nul point de vue aux trois ou quatre sens
précédents qui ne soit pris à cause de ce point de vue-là.
Résumons cet éventail des significations de la banale locution « point
de vue », en essayant de les spécifier un peu par rapport au cinéma :
1. C'est d'abord le point, l'emplacement depuis lequel on regarde :
donc, l'emplacement de la caméra relativement à l'objet regardé. Le
cinéma apprit très tôt 4 à le multiplier, par le changement et l'enchaîn
ement de plans, et à le démultiplier, par le mouvement d'appareil. La point de vue Le
première caractéristique du cinéma de fiction est d'offrir un point de vue
multiple et variable.
2. Corrélativement, c'est la vue elle-même, en tant que prise depuis
un certain point de vue : le film est image, organisée par le jeu de la
perspective centrée. Le problème majeur est ici celui du cadre, plus
précisément de la contradiction entre l'effet de surface (occupation
plastique de la surface du cadre) et l'illusion de profondeur °.
3. Ce point de vue2 est lui-même constamment référé au point de vue
narratif ; le cadre, par exemple, est toujours peu ou prou, dans le cinéma
narratif, représentation d'un regard, celui de l'auteur ou celui du
personnage 6, là encore, l'histoire du cinéma narratif est celle de
l'acquisition et de la fixation des règles de correspondance entre un
PDVi, le PDV2 qui en résulte, et ce point de vue narratif.
4. Le tout, enfin, est surdéterminé par une attitude mentale (intellec
tuelle, morale, politique, etc.) qui traduit le jugement du narrateur sur
l'événement. Ce point de vue4 (nous le dirons « prédicatif » ) informe
évidemment, avant tout, la fiction elle-même, (jugements de l'« auteur »
sur ses personnages, etc., qui font le plus clair de la critique ordinaire des
films), mais je m'y intéresserai ici uniquement dans la mesure où il est
susceptible d'avoir également des conséquences sur le travail de
représentation, et de modeler le représentant filmique (pour ne pas
parler tout de suite de signifiant).
Résumons enfin, parce qu'ils ne cessent de peser, les antécédents
historiques de cette notion-valise de point de vue. Je l'ai déjà suggéré,
l'histoire de la peinture du XVe au XXe siècle est celle de la régulation, puis
de la mobilisation du point de vue : de son institution à son excentre-
ment dans le baroque, à sa dilution chez les paysagistes du XIXe et dans
l'impressionisme, à sa multiplication et sa perte dans le cubisme
« analytique » — et c'est à ce point que le cinéma reprend les choses.
Ne donnons qu'un exemple, celui de Degas, définissant le travail du
peintre (ou du sculpteur, voir ses géniales statuettes d'« Études des
mouvements du cheval ») comme une saisie du moment, « de la fraction
de durée qui contient en elle la suggestion du mouvement entier »
(Cohen, p. 28) : soit une conception de la peinture comme une sorte
d'instantané (Degas, on le sait, était aussi 'photographe). Mais en même
temps, nuls tableaux ne sont davantage compos

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