Les contenus culturels du Guide bleu - article ; n°1 ; vol.10, pg 51-64
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Description

Communications - Année 1967 - Volume 10 - Numéro 1 - Pages 51-64
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 43
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jules Gritti
Les contenus culturels du Guide bleu
In: Communications, 10, 1967. pp. 51-64.
Citer ce document / Cite this document :
Gritti Jules. Les contenus culturels du Guide bleu. In: Communications, 10, 1967. pp. 51-64.
doi : 10.3406/comm.1967.1143
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1967_num_10_1_1143Jules Gritti
Les contenus culturels du Guide bleu :
monuments et sites « à voir »
« La notion de chose-à-voir, d'une importance décisive pour le touriste, mérite
une analyse attentive. Il ressort d'abord de cette notion que le touriste n'est pas
à l'abri du remords. Elle dément le caractère gratuit du voyage, seule garantie
de la liberté à laquelle on aspire. Car la chose-à-voir ne mérite pas seulement
d'être vue, elle exige de l'être. Est à voir ce qu'on est tenu d'avoir vu 1. »
Ces lignes d'essayiste tendent à une compréhension de ce que Enzensberger
nomme le « rite du sight-seeing », accomplissement d'un devoir institutionnalisé :
regarder ce qui doit être vu 2. Alors même qu'il fuit une certaine forme de
contrainte sociale, le touriste en retrouve une autre : constitution et régulation
du pittoresque, canons historiques et esthétiques. Outre cette obéissance aux
règles d'une culture institutionnalisée, qui est une manière de rachat, le touriste
donne son acquiescement à un véritable « impératif catégorique » : « La chose-à-
voir devient vraiment elle-même dans l'abstraction, là où, dégagée de toute
contingence étrangère, elle se transforme en une sorte d'absolu touristique 3. »
Roland Barthes suggère une possible systématisation des connotations tou
ristiques.
« Le Guide bleu ne connaît guère le paysage que sous la forme du pittoresque.
Est pittoresque tout ce qui est accidenté. On retrouve ici cette promotion bour
geoise de la montagne, ce vieux mythe alpestre (il date du xixe siècle) que Gide
associait justement à la morale helvético-protestante et qui a toujours fonctionné
comme un mythe bâtard de naturisme et de puritanisme (régénération par l'air
pur, idées morales devant les sommets, l'ascension comme civisme) 4. »
Pour une étude de la culture touristique, le document de base paraît tout indi
qué : les Guides bleus (Hachette).
Pour la seule France, un guide itinéraire national, 18 régionaux, 15 livres
illustrés et 36 albums. Pour 1' « outre-mer » et l'étranger : 26 itinéraires, deux
« grandes croisières méditerranéennes », 18 livres illustrés et 22 albums. Vaste
corpus qui contraindrait à une analyse quantitative à un échantillonnage minut
ieux. L'étude présente va s'attacher aux injonctions du devoir-regarder ou
1. H. M. Enzensberger, Culture ou mise en condition (traduit de l'allemand), Jul-
liard, 1965, p. 167.
2. Rappelons que pour les Anglo-Saxons, sight-seer (curieux) est synonyme de
tourist.
3. Enzensberger, op. cit. p. 171.
4. Mythologies, Seuil, 1957, p. 136.
51 Jules Gritti
encore aux connotations de la chose-à-voir, du videndum, plutôt qu'à un inven
taire-échantillon des curiosités touristiques. Par sa contraction, un guide
national présente, pour notre propos, l'avantage d'une systématisation amorcée
par les auteurs eux-mêmes. Réduire, aller du « secondaire » à « l'essentiel » reste
bien dans la logique d'une démarche qui vise l'impératif maximal, la « quintes
sence » touristique : « Grâce à un choix rigoureux qui a volontairement écarté
tout ce qui est secondaire, il renferme tout l'essentiel, rien que l'essentiel...
C'est la quintessence de cette documentation de premier ordre historique,
économique, c'est un résumé de cette bibliothèque difficile à emporter toute
entière avec soi \ »
Pour mettre en relief les choses à voir, monuments ou sites, le Guide bleu
n'entend disposer que de dix signaux typographiques : majuscules, minuscules
en caractères gras, italiques et cursifs (ces trois derniers caractères pouvant se
dédoubler selon leurs dimensions), chiffres d'étoiles (trois, deux, une). L'impératif
maximal se traduira donc par la combinaison de trois étoiles et des minuscules
en caractère gras (de dimension plus importante) : « Le triple astérisque signale
les monuments, sites ou œuvres d'art tout à fait hors-pair, qu'il est absolument
indispensable de voir 2. » Le nombre des combinaisons reste limité : 23 possibles
dont 18 effectives. A cet égard, le Guide Michelin qui répond à des impératifs
socio-économiques (« confort », « agrément », gastronomie, entretien des véhicules
etc.), en regard de quoi, l'impératif culturel reste secondaire, dispose de 189
signaux et de combinaisons en nombre illimité, mais se réduit à la mise en œuvre
d'un code signalétique. A vrai dire, dans le Guide bleu, le code typographique
ne joue qu'un rôle, celui de coefficient dans l'impératif. Pour notre analyse
des connotations touristiques, le texte est premier. Sur une base indicative et
descriptive, s'instaurent des qualifications et des combinaisons verbales destinées
à valoriser la chose-à-voir et cela quels que soient les caractères typographiques
ou les chiffres d'étoiles. Ces derniers seraient comme l'intensité sonore dans la
voix ou l'intensité lumineuse dans l'annonce ; nous intéresse davantage le système
dans lequel ordres et annonces sont établis et combinés. « Nous devons insister
sur le fait que les monuments et curiosités mentionnés dans le Guide sont intéres
sants car nous avons retranché tout ce qui est secondaire 3. »
I. Voir et circuler: l'espace touristique.
« L'intéressant » : ce terme ambigu, à la jonction de l'économique et du culturel,
instaure un premier niveau de connotations. Au-dessous de l'intéressant, s'étale
l'étendue neutre, la chose parcourue, mesurée (kilométrage), purement et sim
plement décrite. C'est le ruban de la route avec ses particularités topographiques,
le parcours obligé des rues d'un monument à l'autre. C'est aussi la plaine à moins
qu'elle ne soit « fertile », le plateau à moins qu'il ne soit a désolé ». C'est, tout
compte fait, une part importante — non intéressante — du pays traversé.
A regarder de plus près, l'étendue non intéressante, n'est pas totalement
neutre ou innocente. Elle est l'espace de la circulation qui s'oppose à celui de
la chose-à-voir. Deux impératifs entrent en concurrence, celui de parcourir la
1. Guides bleus, la France, Hachette, 1965, p. 6.
2. Ibid, p. 8.
3.p. 8.
52 contenus culturels du Guide bleu Les
route sans arrêts inutiles, celui de s'arrêter pour les sites et monuments qu'il
importe de voir. Le Guide bleu entend tenir compte de l'un et de l'autre, il
est « le meilleur instrument de tourisme puisqu'il répond à la fois aux exigences
intellectuelles et aux nécessités pratiques de l'homme d'aujourd'hui1». Le texte
trahit quelquefois un conflit des devoirs. Tel circuit « peut être sensiblement
abrégé ; au départ de Florae on gagne 2 42 km en descendant seulement le Tarn
jusqu'au Rozier... au départ de Millau on gagne 35 km en remontant la route
seulement jusqu'à Meyrueis 3 ». Face au voyageur sur route, le Guide bleu se
présente comme un arsenal de signaux Stop de plus en plus puissants pour que le
voyageur s'arrête (ou ralentisse) et regarde. « D'un simple coup d'œil sur le plan,
le touriste pressé sait comment utiliser au mieux le temps dont il dispose 4. »
« Au cours du voyage » — le Guide indique — « au bon moment le détour à faire
pour voir tel site ou tel monument isolé que vous regretteriez d'avoir manqué 5. »
Entre les deux devoirs, l'antinomie s'évalue en gains (kilométriques) et intérêts
(culturels). Évidemment le devoir-regarder est le plus fort puisqu'il informe
et justifie tous les commentaires du livre et met en jeu la culpabilité.
Le devoir-circuler se profile en négatif, il ne supporte pas d'autre connotation
que l'économique. Mais il affleure à tout instant — à tout kilomètre — et s'avère
aussi omniprésent que l'étendue parcourue. Il renvoie à un standing social,

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