Les enfants abandonnés à Caen, 1661-1820 - article ; n°3 ; vol.6, pg 307-328
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Les enfants abandonnés à Caen, 1661-1820 - article ; n°3 ; vol.6, pg 307-328

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Description

Histoire, économie et société - Année 1987 - Volume 6 - Numéro 3 - Pages 307-328
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 35
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

François Langlois
Les enfants abandonnés à Caen, 1661-1820
In: Histoire, économie et société. 1987, 6e année, n°3. pp. 307-328.
Citer ce document / Cite this document :
Langlois François. Les enfants abandonnés à Caen, 1661-1820. In: Histoire, économie et société. 1987, 6e année, n°3. pp.
307-328.
doi : 10.3406/hes.1987.1454
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1987_num_6_3_1454PREMIERE PARTIE
ENFANTS TROUVES, ENFANTS JETÉS
LES ENFANTS ABANDONNÉS A CAEN,
1661-1820
par François LANGLOIS
L'abandon, l'infanticide et l'avortement volontaire, autant de moyens de se débar
rasser d'un enfant déjà conçu. Criminels et punis, avortement et infanticide sont
secrets et donc très difficiles à étudier, alors que tout enfant abandonné est normale
ment enregistré par l'établissement hospitalier qui le recueille. A Caen, les registres
d'entrée commencent en 1661 et constituent une série presque continue de cette
date jusqu'aux réformes de la fin du XIXe siècle. Un « article » consacré à chaque
enfant mentionne ses date et lieu d'abandon, le sexe et l'âge, son nom et sa date de
décès (ou toute autre observation sur son destin), ainsi que les nom et paroisse de sa
nourrice. Ces registres permettent une étude quantitative continue. Les sources qualita
tives (correspondance, statuts et règlements, rapports...) sont variées et abondantes :
elles nous renseignent concrètement sur les structures d'accueil des enfants, et indire
ctement nous révèlent quelle était l'attitude d'une partie de la société à l'égard de cette
population.
Cet article exposera tout d'abord l'accueil des enfants et les faits de l'abandon à
Caen. Il sera plus particulièrement centré sur deux thèmes : l'analyse des sentiments
parentaux révélés par les billets et remarques d'abandon ; le mode d'élevage des nou
veau-nés confiés à des nourrices. Enfin, quelques indications sur la mortalité des
enfants et sur le destin des survivants conduiront à cerner le destin tragique de ces
sans famille.
L'ACCUEIL DES ENFANTS A CAEN
En Normandie, «... tout ainsi que les espaves, qui sont choses sans adveu & sans
seigneur, appartiennent au haut -justicier, aussi les enfans trouvez & exposez au district
de sa haute iustice doivent estre nourris à ses dépens » (1).
Cette coutume n'est plus en usage à l'époque moderne ; les enfants exposés sont
pris en charge par les établissements hospitaliers, parfois par des paroisses (2). A Caen,
ils furent recueillis par l'Hôtel-Dieu. Un premier règlement, daté de 1540, en fait
mention :
« Plus ordonne ladite Cour, qu'aux dépens dudit Hostel-Dieu y aura ordinairement une nourri
ce pour les petits enfans nouveaux nais, & deux autres seront pourchassées & trouvées quand
besoin sera, ou plus, si métier est ; lesquelles toutefois seront hors ledit Hostel-Dieu, comme en la 308 HISTOIRE ÉCONOMIE ET SOCIÉTÉ
Ville, aux faubourgs, ou es paroisses prochaines, pour allaiter lesdits petits enfans de mamelle,
jusqu'à ce que l'on ait sceu & reconnu les parens desdits enfans, pour les faire rendre s'ils ont
puissance de les nourrir & subvenir, & non autrement ; & lesquels enfans nourris & en âge de
pouvoir apprendre quelque métier, seront mis hors dudit Hostel-Dieu & baillés à servir ou ap
prendre ledit métier aux dépens des aumônes de ladite Ville. » (3)
Ce passage renferme tous les choix fondamentaux faits à l'égard des enfants aban
donnés et jamais remis en cause : mise en nourrice, restitution éventuelle aux parents,
retour à Caen pour y apprendre un métier.
La création d'un Hôpital Général, en 1656, à l'instigation du gouverneur de Nor
mandie, le duc de Longueville, va susciter débats et procès : l'Hôtel-Dieu souhaite un
partage des frais ; il échouera, et dès lors, iusau'à la fin de l'Ancien Régime cet ét
ablissement ne cesse de se plaindre de ce fardeau financier, qui absorbe 38 à 56 %
du total de ses revenus, selon les années. Ces difficultés financières seront accrues
pendant la Révolution et résolues par l'Empire qui partagera le coût entre les com
munes, les départements et l'Etat.
Concrètement, que se passe-t-il lorsqu'un enfant a été exposé ? Les procès-verbaux
de levée des petits trouvés nous restituent fidèlement l'usage (4). Le commissaire de
police, averti qu'un enfant a été exposé dans son quartier, fait prévenir la leveuse et
ensemble ils se rendent sur le lieu de l'exposition. La leveuse effectue alors la « visitte »
de l'enfant : elle le déshabille et constate ainsi son sexe, évalue son âge, et énumère
ses effets. Le commissaire en prend note. L'enfant demeure « en la charge et garde »
de la leveuse qui le porte à l'Hôtel-Dieu où il sera baptisé, ou rebaptisé « pour précau
tions » ; puis elle l'emmène au dépôt, rue des Jacobins, où il attendra son départ en
nourrice. Le procès-verbal est visé par un échevin qui admet ainsi officiellement l'en
fant « au nombre des enfans trouvés ».
Ces démarches, aux sens propres et figurés, vont être simplifiées en 1782, par la
création d'un Bureau de dépôt public, rue de la Poste aux Lettres, où tout enfant
abandonné devra être désormais apporté. Cette décision municipale est datée du 4
juillet 1782 ; officiellement motivée par des arguments populationnistes, elle est
aussi la marque d'une volonté d'ordre à l'intérieur de la cité comme en témoigne
une autre décision du même Conseil municipal, de quinze jours antérieure, arrêtant
la numérotation obligatoire des maisons. Le bureau est ouvert à toute heure du jour
et de la nuit, et toute personne pourra y apporter un enfant, « sans crainte d'être
compromise » (5) : on ne l'interrogera pas. Ce mode d'admission, à bureau ouvert, ne
sera pas modifié pendant la Révolution. En 1803, ce bureau est transféré à l'Hospice
Saint-Louis, mais le nourrisson en instance de départ stationne toujours dans la maison
de la rue de la Poste aux Lettres. Enfin, en juin 1820, ce service d'attente est aussi
réuni à l'Hospice, « uniquement dans l'intérêt des enfans » (6), en réalité, pour mieux
contrôler les nourrices. Le tour, rendu obligatoire par le décret napoléonien de janvier
1 8 1 1 , ne fut pas utilisé à Caen, du moins jusqu'en 1 820.
Pour compléter cette description du premier périple des enfants, nous ne devons
pas omettre les « envois homicides » à Paris ; les faits sont datés et chiffrés précis
ément. De décembre 1772 au 22 octobre 1779, 284 enfants exposés à Caen furent
expédiés à l'Hôpital des Enfants Trouvés de Paris. La finalité unique était d'ordre
financier : ces trouvés, même s'ils étaient pour la plupart sevrés, n'avaient pas encore ABANDONNÉS A CAEN 309 ENFANTS
atteint leur troisième année (seulement 7,4 % d'entre eux avaient dépassé cet âge
tendre) ; en se débarrassant d'eux, l'Hôtel-Dieu s'épargnait de nombreuses années de
pensions et de frais. A vrai dire, cette solution était bien souvent tragique comme en
témoignent les faits qui vont suivre. Le dimanche 14 novembre 1773, un envoi can-
neais arriva à Paris. Le procès-verbal alors dressé fut envoyé à Caen (7). Chacun des
enfants amoncelés dans deux « carrosses », était porteur d'une étiquette carrée numér
otée. Le commissionnaire remit au greffier de l'Hôpital des Enfants Trouvés 18 demi-
feuilles de papier timbré, contenant les extraits baptistaires des enfants, avec au dos
leurs numéros respectifs. Le greffier les examina et s'aperçut « qu'il y en avoit un de
mort et les autres très languissants » (8).
Ces transports furent interdits par l'Arrêt du Conseil du Roi du 10 janvier 1779,
qui imposait ainsi aux principales villes de province de prendre en charge leurs enfants
abandonnés. Cette mesure intervenait au moment même où le flux des abandons
avait pris des proportions plus qu'alarmantes.
L'ABANDON : LES FAITS
Le mouvement annuel des abandons paraît li

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