Les femmes en boucherie, quelques tabous culturels - article ; n°1 ; vol.1, pg 15-32
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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1996 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 15-32
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 0
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Rosemary Pringle
Susan Callings
Nancy Bolain
Les femmes en boucherie, quelques tabous culturels
In: Les Cahiers du GRIF, Hors-Série N. 1, 1996. Chair et viande. pp. 15-32.
Citer ce document / Cite this document :
Pringle Rosemary, Callings Susan, Bolain Nancy. Les femmes en boucherie, quelques tabous culturels. In: Les Cahiers du
GRIF, Hors-Série N. 1, 1996. Chair et viande. pp. 15-32.
doi : 10.3406/grif.1996.1882
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1996_hos_1_1_1882Les femmes en boucherie, quelques tabous culturels
Rosemary Pringle et Susan Codings
Bien que les professions de chirurgien et de boucher occupent respectivement la
première et la dernière position sur l'échelle du prestige professionnel, elles n'en
présentent pas moins des points communs. Les femmes y font l'objet d'une exclu
sion systématique et ne constituent qu'un pour cent de chaque groupe. Dans les
deux cas, c'est la force physique requise pour porter des poids élevés et scier des
os qui est la principale raison invoquée. Notre humour macabre nous a amenées à
nous pencher sur les tabous culturels concernant les femmes qui manient des cou
teaux, font couler le sang et découpent de ta chair ; et aussi à nous intéresser aux
mythes se rapportant aux menstruations et à la pollution de la nourriture par les
femmes.
Tandis que les chirurgiens (masculins) défendent un milieu professionnel privilé
gié, les bouchers tendent à changer de métier dès qu'ils le peuvent. Mais loin d'ac
cepter les femmes, comme les hommes l'ont fait dans le secteur bancaire, le
secteur des services ou du commerce de détail, par exemple, ils continuent à pré
tendre que la boucherie ne convient pas aux femmes. On peut concevoir qu'un
déplacement soit à ta base de ce protectionnisme masculin. Si le couteau symbolis
ait le phallus, alors où irait le pénis ? Si les femmes s'emparaient des couteaux, les
risques encourus par les privilèges masculins seraient multiples. (Les femmes de
Sydney se souviennent, non sans sourire, de l'histoire de cette Australienne qui, à
Les Cahiers du Grif 15 la fin des années quatre-vingt, avait sectionné et ensuite jeté à la poubelle le pénis
de son mari pour ne l'en ressortir qu'au moment de le remettre au chirurgien
chargé de le recoudre. Par la suite, le procédé a été testé aux halles aux viandes
de King Cross, mais les hommes n'ont généralement pas apprécié la plaisanter
ie...)
Ce sont les femmes bouchers qui seront au centre de la présente étude. On a
beaucoup écrit sur les quelques femmes qui ont lutté pour survivre aux longues
années de formation, pour supporter l'hostilité et les brimades et pour montrer
qu'elles avaient la force physique et mentale nécessaire à la pratique de la chirurg
ie. Et celles qui sont devenues chirurgiennes ont une histoire dont elles peuvent
s'enorgueillir. On parle beaucoup moins du sort des bouchères. Malgré tous les
efforts entrepris pour encourager l'insertion des femmes dans les professions non
traditionnelles, comme l'électricité et la plomberie, la mécanique et la charpente-
rie, la boucherie a été ignorée et la « femme boucher » reste une catégorie cultu
relle presque inconcevable. Dans son célèbre roman de 1926, mis à l'index en
Nouvelle-Zélande par crainte qu'il ne fasse fuir les immigrants, Jean Devanny
considérait la « boutique du boucher » comme une métaphore du capitalisme '.
Ici, nous tenterons de pousser la métaphore plus loin, d'explorer plus en profon
deur les associations entre genre, sexualité et viande.
Il y a dans la représentation populaire du boucher quelque chose de potentie
llement effrayant qui va bien au-delà de la matérialité du métier lui-même. L'un des
bouchers interrogés l'a décrit comme « un mode de vie, pas un travail ».
Lorsqu'un chirurgien cochonne son travail, on le traite de « boucher », ce qui irri
te les bouchers, fiers de leur dextérité en matière de découpe. Le fait d'associer
boucherie et travail cochonné ou massacré crée une image négative de la profes
sion. Vient s'ajouter à cela la réputation de boucher faite aux tyrans cruels, de
Gengis Khân à Saddam Hussein. Le gros titre « Le Boucher de Bagdad » n'a rien
fait pour améliorer l'image publique ou morale des bouchers (masculins) qui affi
rment qu'à cette époque les femmes refusaient de sortir avec eux.
L'image du boucher est non seulement masculine mais également sinistre : il
travaille à la frontière entre la vie et la mort, l'humain et l'animal, les corps et les
carcasses. D'un point de vue culturel, ces zones d'ambiguïté et de transition évo
quent à la fois la fascination et l'horreur, le désir et la dissolution du sujet.
L'évacuation des matières impures, étrangères, assure l'unité du corps. Les sécré
tions et les excréments produits par l'organisme signalent la matérialité du corps
et menacent son existence permanente. Le cadavre, par exemple, a quelque chose
d'horrifiant, car il constitue une transition entre le matériel et le spirituel. Par rap-
16 Les Cahiers du Grif port à notre sensation d'identité individuelle, les sécrétions sont signe de danger
car elles traversent l'intérieur et l'extérieur de notre corps. Les tabous relatifs aux
menstruations sont importants dans la mesure où le sang menstruel, en rappelant
la différence sexuelle, rappelle à l'homme la menace qui pèse sur la transcendance
masculine. La femme est liée aux frontières de la corporalité et de la mort, de la
peur et du dégoût, et aussi du plaisir et du désir. Une étude sur les bouchères
constitue, selon nous, un bon terrain d'interrogation en ce qui concerne, non seu
lement, la division sexuelle du travail, mais également les questions d'identité
sexuelle, de corporalité et de cannibalisme.
Commençons cependant par aborder la dimension économique du problème.
Notre étude s'inspire d'entretiens, réalisés à Sydney, avec sept femmes et trois
hommes bouchers (deux d'entre eux étaient à l'époque professeurs dans l'enseign
ement technique et de promotion sociale TAFAE 2). Les hommes ont été choisis en
fonction de leur connaissance de l'histoire de la boucherie en Australie, des cours
de formation et de la présence de femmes à ces cours. Les femmes constituent une
assez grande proportion de la main-d'uvre dans l'industrie de la viande à Sydney
où un apprenti sur deux est une femme. Elles sont âgées de vingt et un à quarante-
sept ans et ont généralement commencé leur apprentissage plus tard que les
hommes, le plus souvent vers dix-neuf ans ou plus, les hommes débutant vers quin
ze ou seize ans. Les sept femmes interrogées, âgées d'une vingtaine d'années,
étaient célibataires, à l'exception de deux d'entre elles vivant avec leur compagnon.
Elles avaient pour la plupart grandi à la campagne et étaient habituées aux parcs
d'abattage. Certaines avaient un père, un oncle, un frère ou un cousin travaillant
dans l'industrie de la viande. Elles étaient employées dans des supermarchés plutôt
que dans des petites boucheries. Quand elles travaillaient dans une boutique, il
s'agissait généralement d'un commerce familial, celui de leur mari, ou, comme dans
l'un des cas, d'une boucherie dans laquelle les parents avaient investi de l'argent.
Les entretiens ont révélé que les femmes sont peu enclines à réfléchir sur le
sens ou la signification de leur profession ; nos questions faisaient peut-être écho à
d'autres qui leur étaient posées sans cesse et auxquelles elles étaient fatiguées de
répondre. Elles se sont montrées peu disposées à parler de discrimination ou à
reconnaître qu'il y avait quoi que ce soit d'inhabituel dans leur choix professionnel.
Pour certaines, il s'agissait d'une carrière comme une autre, pour d'autres, c'était
juste un job, juste quelque chose d'un peu différent Elles eurent peu de choses à
dire au sujet de leur motivation et admirent même rarement spontanément que
d'autres membres de la famille travaillaient dans l'industrie de la viande. Elles
n'avaient pas conscience de briser des tabous et trouvaient même risible qu'il puis-
Les Cahiers du Grif 17 se y avoir des tabous à

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