Les temps de l émotion tragique. Malaise et soulagement - article ; n°1 ; vol.3, pg 15-39
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Description

Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens - Année 1988 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 15-39
Les temps de l'émotion tragique. Malaise et soulagement (pp. 15-3.9)
Malaisie (vis-à-vis d'une transgression violente de l'ordre social) et soulagement (qui se réalise par les moyens traditionnels du rite) constituent les deux traits distinctifs du rythme spectaculaire de la tragédie. Dans la définition de la tragédie attique il s'agit donc toujours d'expliquer la durée de l'émotion collective, et non pas de découvrir le paradigme géométrique d'une éthique individuelle que la puissante théorie aristotélicienne nous a transmis en héritage.
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 24
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Diego Lanza
Les temps de l'émotion tragique. Malaise et soulagement
In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 3, n°1-2, 1988. pp. 15-39.
Résumé
Les temps de l'émotion tragique. Malaise et soulagement (pp. 15-3.9)
Malaisie (vis-à-vis d'une transgression violente de l'ordre social) et soulagement (qui se réalise par les moyens traditionnels du
rite) constituent les deux traits distinctifs du rythme spectaculaire de la tragédie. Dans la définition de la tragédie attique il s'agit
donc toujours d'expliquer la durée de l'émotion collective, et non pas de découvrir le paradigme géométrique d'une éthique
individuelle que la puissante théorie aristotélicienne nous a transmis en héritage.
Citer ce document / Cite this document :
Lanza Diego. Les temps de l'émotion tragique. Malaise et soulagement. In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens.
Volume 3, n°1-2, 1988. pp. 15-39.
doi : 10.3406/metis.1988.902
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/metis_1105-2201_1988_num_3_1_902LES TEMPS DE L'ÉMOTION TRAGIQUE
MALAISE ET SOULAGEMENT
M.I. FlNLEYin memoriam
La violence théâtrale.
Clytemnestre se présente au public, la hache levée, encore souillée du sang
d'Agamemnon; Œdipe montre aux spectateurs ses orbites sanglantes et
vides; Agave agite triomphalement la tête tranchée de son fils. Pendant
tout le cinquième siècle les poètes tragiques n'épargnent pas à leur public
les émotions les plus intenses. La violence paraît être une expérience fon
cière du spectacle tragique1 . En considérant les exemples cités il faut pour
tant remarquer des différences substantielles.
Clytemnestre est parfaitement consciente de l'acte qu'elle vient
d'accomplir: l'horreur de son apparition est due aussi à la cruauté avec
laquelle elle exhibe l'arme du crime, tandis qu'Agave, emportée par
l'enthousiasme dionysiaque, est persuadée que la tête qu'elle porte est
celle d'un lionceau. Voilà alors que l'horreur qui frappe les spectateurs va
grandissant dans l'attente de l'imminente révélation.
Le crime peut être volontaire aussi bien qu'involontaire. Parfois le
crime manque. La tragédie peut être la représentation d'un malheur, indi
viduel {Philoctète) ou collectif {Perses, Troyennes), ou bien la représenta
tion d'un malheur imminent mais qu'on arrive finalement à éviter (Sup-
1 . Un rapport étroit entre cette violence et le back-ground rituel du mythe a été souli
gné par J.P. Guépin, The Tragic Paradox. Myth andRitualin Greek Tragedy, Amster
dam, 1968. Voir aussi: J.Kott, The Eating ofthe Gods. An Interprétation of Greek Tra
gedy, Londres, 1970, et R. Girard, La violence et le sacré, Paris, 1972. 16 DIEGO LANZA
pliantes d'Eschyle, Iphigénie en Tauride). De ce point de vue, il n'est pas
possible de placer ne serait-ce que les tragédies existantes dans un class
ement, sans éviter le risque de tracer des schémas trop sommaires, ou au
contraire de donner lieu à une multiplication de types dépourvue de sens.
Les résultats ne semblent guère meilleurs si l'on considère les tragédies
comme la manifestation d'une théodicée. Le rapport entre l'homme et le
dieu n'est pas toujours signifiant pour la définition de l'action dramatique;
et même quand il l'est, il faut distinguer entre une violence qui procède,
pour ainsi dire, de l'homme (infraction d'une loi ou d'un oracle donnés par
un dieu), et une violence qui au contraire est subie par l'homme, sans qu'il
prenne aucune initiative (les sacrifices d'Iphigénie et Polyxène, les souf
frances d'Héraclès, de Philoctète etc.)
Dans plusieurs tragédies du Ve siècle on ne trouve aucun délit, ni, à plus
forte raison, aucune responsabilité individuelle ou familiale, explicite ou
implicite, celle qu'une très longue tradition nous a appris à appeler faute
tragique2.
Cependant les tragédies nous proposent toujours des meurtres de
consanguins: à savoir des parricides, des fratricides, des uxoricides, des
infanticides, soit volontaires soit involontaires, aussi bien que des suicides,
des calomnies et des malédictions qui provoquent la mort, et encore des
maladies, des tortures, des douleurs physiques sans guérison. On dirait
que presque toute la violence dont les récits mythiques étaient tissés,
trouve dans le spectacle tragique la vigueur nécessaire à son expression,
après avoir été censurée et d'une certaine façon refoulée par la tradition
des poètes épiques et lyriques3.
C'est cette situation de violence qui s'impose aux spectateurs. Dans
toute tragédie ce qui nous saisit est un sens de danger imminent, une
atmosphère diffuse de tension, qui renvoie constamment à la mort. Même
quand la mort n'entre pas dans l'action dramatique, on peut clairement
percevoir sa menace suspendue au moins sur l'un des personnages. Cela
insinue un ton général d'inquiétude. Il s'agit toujours, évidemment, d'une
mort contre nature, dont la crainte pénètre le comportement des person
nages et l'attente des spectateurs.
2. Sur l'ambiguïté de ce terme dans la tradition poétique, voir S. Saïd, La faute tragi
que, Paris, 1978. Le statut conceptuel de hamartia et ses étroits entrelacements avec le
cadre catégoriel d'Aristote a été bien défini par V.Cessi, Erkennen und Handeln in der
Théorie des Tragischen bei Aristoteles, Francfort-sur-le-Main, 1987, livre très riche et
pourvu d'une bonne bibliographie.
3. Toujours très valables, les pages écrites par G. Murray, The Rise of the Greek
Epie, Oxford, 1911, pp. 141 sqq. temps De L'émotion tragique 17 Les
Mais la violence, soit réalisée soit seulement menaçante ou imminente,
qui rappelle l'expérience affreuse de la mort, marque aussi la rupture
d'une harmonie. Le malaise, qui peut se présenter sous les formes les plus
diverses, établit ce que j'aimerais définir comme le ton d'écoute de la tra
gédie. Les rapports réciproques entre les hommes, ceux qui lient l'individu
à la communauté paraissent alors gênés; leur normalité est compromise;
on pourrait dire qu'on va d'une manière ou d'une autre les remettre enjeu.
L'action violente, accomplie ou seulement imminente en découvre la pré
carité inquiétante. Cette précarité, ce manque de sûreté, cette gêne se
répandent dans une surabondance de chants et de paroles; mais ils se
réduisent aussi à une simple question, «que faire?», posée par plusieurs
héros tragiques.
On sait bien que Bruno Snell4, en suivant la schématisation des genres
poétiques tracée par Hegel, a considéré cette formule comme le signe li
nguistique d'une découverte conceptuelle fondamentale opérée par
l'esprit: celle de la catégorie de la causalité. Dans la tragédie grecque
s'accomplirait pour la première fois le rapport dialectique de l'objectivité
avec la subjectivité. La question τί δράσσω, «que faire?» «que ferai-je?»
posée par le héros tragique est jugée par Snell comme la marque d'une
nouvelle conscience: ma conduite, mes actes dépendent de moi, et j'en suis
par conséquent responsable.
«Pylade, que ferai-je? Puis-je tuer une mère?» {Choephores, 899).
C'est le point culminant des Choephores d'Eschyle: Clytemnestre a
découvert sa poitrine et Oreste révèle ses doutes. Il se trouve en face de
deux règles de comportement opposées: le devoir de venger son père et
l'effroi devant le matricide. La réponse de Pylade est sûre: il faut accomp
lir les oracles d'Apollon. Oreste alors: «C'est toi qui as raison, je le reconn
ais, et ton conseil est juste» (v. 903). A présent rassuré, il peut s'engager
en un duel verbal avec Clytemnestre avant de la conduire à la mort.
La question «que ferai-je?» se place en effet au moment de la tension
dramatique la plus haute de cette pièce et, grâce à la présence de la figure
spéculaire de Pylade, marque d'abord le doute et, tout de suite après, la
décision d'Oreste. Mais toutes les occurrences de ce syntagme ne présen
tent pas la même valeur prégnante.
Parfois «que ferai-je?» est précédé par un «hélas», et marque par
il. B. Snell, Aischylos und das Handeln itn Drama, Phil

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