Marxisme et marxologie aux États-Unis - article ; n°6 ; vol.18, pg 1262-1273
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Description

Revue française de science politique - Année 1968 - Volume 18 - Numéro 6 - Pages 1262-1273
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1968
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Pierre Birnbaum
Marxisme et marxologie aux États-Unis
In: Revue française de science politique, 18e année, n°6, 1968. pp. 1262-1273.
Citer ce document / Cite this document :
Birnbaum Pierre. Marxisme et marxologie aux États-Unis. In: Revue française de science politique, 18e année, n°6, 1968. pp.
1262-1273.
doi : 10.3406/rfsp.1968.393133
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1968_num_18_6_393133ETATS-UNIS MARXISME ET MARXOLOGIE AUX
PIERRE BIRNBAUM
Au siècle dernier, Karl Marx considérait avec scepticisme
l'accueil que le Nouveau Monde réserverait à ses ouvrages.
En 1852, il pouvait écrire : « Aux Etats-Unis, la société bour
geoise n'est pas encore assez développée pour que, là-bas, clairement, les
luttes de classes soient patentes et qu'on le comprenne. : » De fait, le
« caractère américain » devait se révéler plus sensible aux idées de Dar
win et de Spencer qu'à celles de l'auteur du Manifeste, et presque tous
les grands théoriciens, comme William G. Sumner ou Frank Lester Ward,
s'attachaient à réfuter ou à défendre les principes du darwinisme social.
Celui-ci venait encore renforcer le mythe du self-made man qui mobilisait
toutes les énergies et tous les rêves. L'égalité des chances légitimait, croyait-
on, une réussite sociale acquise grâce à des capacités objectives ; elles per
mettait de briser les situations établies, d'accroître la mobilité sociale et
tendait à rendre impossible toute forme de contestation collective. C'est à
cet individualisme que le pluralisme empruntait des armes contre toute
vision moniste de l'histoire ; c'étaient donc les hommes eux-mêmes qui,
tels des atomes sociaux décidaient de leur avenir et donnaient un sens
à une histoire qui demeurait « ouverte » et indéterminée :. Le marxisme
apparaissait ainsi comme radicalement « un-american » 3 : même ceux
qui, comme C. Wright Mills, se réclament encore de lui, sont ame
nés à réfuter les données essentielles de l'analyse de Marx4. Que leurs
observations soient souvent semblables à celles de révisionnistes comme
Bernstein importe moins que le poids spécifique des cadres sociaux, qui
fournissent le fond de l'argumentation et préviennent ainsi toute réflexion
purement théorique. La société américaine semble n'avoir que faire d'un
marxisme auquel elle oppose quotidiennement le démenti de sa propre
existence. Pourtant l'étude du marxisme connaît aujourd'hui un dévelop
pement rapide qui atteste un intérêt croissant pour une théorie a priori
« étrangère ». On ne cherche plus à le récuser en recourant à l'analyse de
la réalité américaine, mais on essaie au contraire, après l'avoir dépouillé
de tout caractère révolutionnaire, de l'intégrer aux préoccupations
actuelles des social scientists et, pour parvenir à cette « ré-occidentali-
1. Lettres de Marx à Weydemeyer, 5 mars 1852. Cf. Hubert (Charles), «Marx
et Engels devant l'Amérique et les Américains », Economie et humanisme, sept.-oct.
1948, p. 477.
2. Bober (M.), Karl Marx' interpretation of history. Cambridge (Mass.), Harvard
University Press, 1950, p. 428.
3. Rossiter (Clinton). Marxism : the view from America, New York (N. J.),
Harcourt, Brace and Co, 1960.
4. Wright Mills, The marxlsts, Laurell, New York, 1962 (chap. 6).
1262 Marxisme et marxologie aux Etats-Unis
sation » 5, on privilégie les textes du jeune Marx aux dépens de ceux de
la période de maturité.
Herbert Marcuse fut le premier à présenter aux Etats-Unis les Manusc
rits de 1844 comme un moment essentiel de l'évolution de la pensée de
Marx. Dans Reason and revolution (1941), étude qui reste encore fonda
mentale, il montre que, pour Hegel, la réalité étant déjà rationnelle, les
contradictions paraissent résolues et la réification abolie. Alors que, pour
l'auteur de La philosophie du droit, le règne de la raison marquait la fin
de l'idée de Révolution, Marx au contraire, dès les Manuscrits de 1844,
posait que l'existence même du prolétariat démentait déjà cet avènement
de la Raison. Puisque la réalité sociale contredisait ainsi l'analyse pure
ment philosophique, la Raison ne pouvait se réaliser que par la Révolut
ion, c'est-à-dire par la modification des rapports de production. Seule
cette Révolution, aux yeux de Marx, pourra faire triompher la Raison et
mettre fin à toute aliénation6. Pourtant, et Marcuse insistait sur cette
idée, d'après le jeune Marx, la propriété privée des moyens de product
ion une fois détruite, encore fallait-il que ce fussent des hommes libres
qui en devinssent maîtres. Aussi Marcuse pouvait-il conclure que l'indiv
idualisme faisait partie intégrante du marxisme. Après l'établissement de
la toute-puissance de la Raison, c'est aux individus qu'il appartiendra
d'instaurer l'ère du Bonheur longuement décrite par le jeune Marx. Marc
use, qui considère que la subordination des forces productives au libre
épanouissement de l'individu va en « s'atténuant » dans les œuvres de
la maturité, s'est ainsi longuement attaché à l'étude des Manuscrits de
1844, tout en estimant cependant que « les œuvres de jeunesse de Marx
constituent seulement des étapes préliminaires à sa théorie de la matur
ité sur lesquelles il convient de ne pas trop insister » 7. Ce sont pourtant
bien ces « étapes » qui retiendront l'attention de Marcuse et de ceux qui
aujourd'hui « re-découvrent » le marxisme.
Plus tard, dans Eros et civilisation (1954), ouvrage qu'il consacre à
Freud, Marcuse, s'il ne mentionne pas le jeune Marx, ne paraît pas moins
en subir l'influence. En allant du marxisme à la psychanalyse, il tient
compte de l'influence prédominante de cette dernière aux Etats-Unis :
dès l'entre-deux-gucrres, en effet, les théories de Freud, en dépit de ses
propres prévisions, y avaient reçu un accueil enthousiaste, ayant trouvé
là, du fait de la précarité des structures sociales, un terrain particulièr
ement favorable 8. Marcuse s'élève d'abord contre l'interprétation classi-
5. Lobkowicz (Nicholas), in : Loukowicz (Nicholas) éd., Marx and the Western-
world, Notre Dame (Ind.V University of Notre Dame, 1967, p. 10.
6. Marcuse (Herbert), Reason and revolution, Boston, Beacon Press, 1964, p. 275.
7. Ibid., p. 295.
8. Ruitenbeck (Handrik), Freud and America, New York, MacMillan Co., 1966,
pp. 10-23.
1263 Pierre Birnbaum
que de Freud, selon laquelle l'opposition radicale, due à la pénurie, entre
principe de réalité et principe de plaisir rendrait inconcevable la nais
sance d'une civilisation non répressive. Il est vrai qu'une société en rapide
expansion, dont le gain et la concurrence sont les moteurs essentiels,
impose des restrictions à la libido, et sacrifie tout au principe du rende
ment : « Les hommes, pendant qu'ils travaillent, ce ne sont pas leurs pro
pres facultés qu'ils actualisent, mais ils travaillent dans l'aliénation. 9 »
La libido subit une répression aussi bien spatiale que temporelle, et, du
même coup, ce qui va à rencontre de la fonction de reproduction sera
considéré comme perversion. La sublimation d'Eros une fois imposée par
la concentration de toute l'énergie sur le travail aliéné, celui-ci est fonda
mentalement vécu comme déplaisir. Lorsque la pénurie disparaît, comme
aujourd'hui par exemple, Eros, qui pourrait être délivré, se voit maintenu
encore plus sévèrement car sa libération menacerait Tordre établi ;
celui-ci se protège en faisant naître des besoins artificiels et en imposant
des modèles de conduite aux individus : la société se défend par « un ren
forcement du contrôle, non plus tant sur les instincts que sur la
conscience » 10.
Mais l'auteur d'Eros et civilisation estime que Freud lui-même avait
envisagé la possibilité d'une non répressive « dans des condi
tions sociales et existentielles transformées » n, le travail perdrait son
caractère aliéné, se confondrait avec Eros et, malgré la persistance de
son extrême division, deviendrait jeu. En ce qui concerne le change
m

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