Masada et Cyrus le Grand - article ; n°1 ; vol.49, pg 161-184
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Description

Communications - Année 1989 - Volume 49 - Numéro 1 - Pages 161-184
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Bernard Lewis
Dominique Férault
Masada et Cyrus le Grand
In: Communications, 49, 1989. pp. 161-184.
Citer ce document / Cite this document :
Lewis Bernard, Férault Dominique. Masada et Cyrus le Grand. In: Communications, 49, 1989. pp. 161-184.
doi : 10.3406/comm.1989.1745
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1989_num_49_1_1745Bernard Lewis
Masada et Cyrus le Grand
La célébration d'événements historiques par des festivités commé-
moratives est une ancienne coutume du Moyen-Orient qui subsiste
toujours. A l'époque moderne, de telles commémorations relèvent de
l'État, alors qu'auparavant elles étaient habituellement des fêtes rel
igieuses. Ces dernières décennies, les nouveaux États indépendants,
notamment au Moyen-Orient, ont ajouté à leur calendrier de nom
breux anniversaires historiques, commémorant révolutions et libéra
tions, au fil des coups d'État successifs, comme autant de « jours de
fête nationale ». Plus récemment encore, quelques événements
importants de l'époque du moyen âge ont fait l'objet de commémorat
ions et de célébrations. Parmi ceux-ci, on peut relever la conquête
de Constantinople par les Turcs, dont le cinq centième anniversaire
fut célébré en Turquie en 1 953 ; la fondation du Caire par le calife
fatimide Al-Mu'izz, dont le millième anniversaire fut fêté en 1969 ;
la bataille décisive de Manzikert, qui fit de l'Anatolie, terre grecque
et chrétienne, un territoire turc et musulman, et dont le neuf cen
tième anniversaire fut célébré par les Turcs en 1971. Outre ces
commémorations, d'autres festivités, publiques ou privées, locales ou
nationales, célèbrent la naissance et la mort de divers sages et héros,
dont beaucoup ont le privilège de compter plusieurs lieux de nais
sance et de jouir de plusieurs nationalités. Thomas Heywood dit
ainsi : « Sept villes se disputèrent Homère mort, qui, vivant, n'avait
aucun toit où s'abriter. »
Le millième anniversaire de la naissance d'Avicenne (selon le
calendrier musulman) a été célébré par les Arabes, par les Persans et
par les Turcs, chacun de ces peuples le revendiquant pour compat
riote. Son lieu de naissance, près de Boukhara, lui valut même d'être
annexé à titre posthume au nombre des héros de la culture de
* Premier chapitre de History Remembered, Recovered, Invented, Princeton University
Pre«s.
161 Bernard Lewis
l'Union soviétique par l'attribution rétrospective de la citoyenneté de
la République fédérale socialiste soviétique d'Ouzbékistan.
Les commémorations qui trouvent leur fondement dans l'histoire
ancienne, où les souvenirs sont imprécis et les dates incertaines, sont
moins fréquentes. Deux d'entre elles, cependant, ont récemment
constitué des événements de première importance dans leur pays res
pectif. L'une fut la commémoration de la défense héroïque et de la
chute de Masada lors de la révolte des Juifs contre les Romains en
66 après J.-C. L'autre fut la célébration en Iran, sous l'égide du Shah
lui-même, du deux mille cinq centième anniversaire de la fondation
de l'État et de la monarchie perses par Cyrus le Grand.
Ces deux commémorations présentent de nombreux traits
communs. Toutes deux sont principalement politiques et militaires,
et non pas religieuses comme les commémorations antérieures qui
trouvent leur fondement dans l'antiquité. Toutes deux bénéficièrent
largement du patronage de l'Etat. La commémoration de Cyrus le
Grand résulta directement de l'initiative du Shah. Si l'État d'Israël
ne prit pas l'initiative de la commémoration de Masada, il la reprit à
son compte et en fit l'objet d"un quasi-culte national, qui se manif
esta par la réinhumation solennelle, dans un cimetière militaire,
avec tous les honneurs, des ossements trouvés dans les ruines de
Masada, et par l'adoption, par les troupes parachutistes israéliennes,
de la prestation d'un serment sur les ruines de Masada ainsi formulé :
« Masada ne doit pas tomber de nouveau '. » Ces deux commémorat
ions furent au centre de grandes festivités nationales. Bien que l'une
célèbre une victoire et la fondation d'un État et l'autre une défaite et
la destructionM'un État, toutes deux partagent le même thème du
dévouement et de l'héroïsme entendus dans un sens national.
Ces deux objets de commémoration - Masada et Cyrus le Grand -
présentent aussi une autre caractéristique commune : tous deux
oubliés et inconnus de leur propre peuple, ils furent retrouvés à part
ir de sources étrangères. Les traditions juives, rabbiniques et autres,
ignorent tout de Masada : ce nom n'est pas mentionné dans l'abon
dante littérature rabbinique, et même son orthographe en hébreu
reste conjecturale. La seule source d'information sur la mort
héroïque des défenseurs de Masada est la chronique de Flavius
Josèphe, Juif renégat qui écrivit en grec et dont l'œuvre ne fait pas
partie de l'héritage culturel traditionnel des Juifs 2. Il existe une
célèbre adaptation en hébreu de Flavius Josèphe due à un Juif italien,
probablement du Xe siècle, qui est largement connue chez les Juifs. Il
en subsiste de nombreux exemplaires, et elle fut souvent réimprimée
et même traduite en judéo-arabe, en judéo-espagnol, et plus d'une
162 Masada et Cyrus le Grand
fois en yiddish. Les passages concernant Masada semblent toutefois
avoir eu peu d'écho ' .
De façon encore plus remarquable, les Persans n'ont conservé
aucun souvenir de leur père fondateur Cyrus le Grand, pas même son
nom. Ce qu'on savait de cet immense souverain provenait entièr
ement de sources étrangères, en l'occurrence juives et grecques, et jus
qu'à tout récemment les Persans ne lisaient ni la Bible ni les histo
riens grecs, et ils avaient même de ceux-ci une connaissance moindre
que celle que les Juifs avaient de Flavius Josèphe 4.
Des similitudes existent aussi dans la manière dont ont été retrou
vés ces deux chapitres perdus du passé, les mêmes facteurs inter
venant dans les deux cas. L'archéologie joua un rôle évident : pour
Cyrus le Grand, la découverte et le déchiffrement d'un sceau cylin
drique de Ninive, conservé au British Museum, qui est le seul docu
ment d'époque provenant de Cyrus le Grand lui-même, et, plus
important, les ruines imposantes de Persépolis, capitale impériale des
anciens monarques perses de la dynastie fondée par Cyrus le Grand ;
dans le cas de Masada, les fouilles du site ainsi que la double réussite
du professeur Yigael Yadin qui parvint à la fois à retrouver et à vul
gariser ce nouveau chapitre de l'histoire juive 5.
Est encore assez semblable dans les deux cas le processus par
lequel ces éléments nouveaux ont pénétré dans la conscience popul
aire de laquelle ils avaient complètement disparu. Du côté juif, ce
processus commença grâce aux études juives - la fameuse Jûdische
Wissenschaft des Juifs allemands, qui puisa largement aux sources
grecques et romaines, ignorées des connaissances traditionnelles
juives - qui s'efforcèrent de faire la lumière sur la période jusqu'alors
obscure de la lutte des Juifs contre Rome. Ces connaissances nouv
elles furent largement répandues sous forme de romans romant
iques, pour la plupart écrits par des rabbins allemands à leurs
moments de loisir, mais aussi traduits en hébreu, traduction dans
laquelle ils eurent un retentissement considérable chez les Juifs let
trés d'Europe orientale 6.
Bien que ces romanciers traitassent de plusieurs sujets de l'époque
romaine, ils ne semblent pas avoir été intéressés par le sort de
Masada. Les historiens eux-mêmes se bornent à un bref exposé fondé
sur Flavius Josèphe. Les voyageurs et archéologues chrétiens qui
commencèrent au cours du XIXe siècle à visiter et à décrire le site de
Masada ne trouvèrent pas d'homologues ni d'interlocuteurs chez les
habitants et voyageurs juifs, et ils n'eurent aucune influence sur les
études juives '.
L'étape probablement la plus marquante dans la restitution d

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