Masses, démocratie et aristocratie dans la pensée politique en Angleterre - article ; n°1 ; vol.9, pg 99-112
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Description

Mil neuf cent - Année 1991 - Volume 9 - Numéro 1 - Pages 99-112
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 26
Langue Français

Extrait

Jeremy Jennings
Masses, démocratie et aristocratie dans la pensée politique en
Angleterre
In: Mil neuf cent, N°9, 1991. pp. 99-112.
Citer ce document / Cite this document :
Jennings Jeremy. Masses, démocratie et aristocratie dans la pensée politique en Angleterre. In: Mil neuf cent, N°9, 1991. pp.
99-112.
doi : 10.3406/mcm.1991.1040
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1991_num_9_1_1040démocratie et aristocratie Masses,
dans la pensée politique
en Angleterre
JEREMY JENNINGS
Thomas Ernest Hulme, William Hurrell Mallock et Anthony
Ludovici : trois penseurs anglais, trois conservateurs, inquiets des
problèmes posés par l'avènement de la démocratie politique, et
par l'arrivée de la classe ouvrière au centre de la scène. Leur
rhétorique anti-démocratique constitue une ultime défense de
l'élite aristocratique anglaise, jadis considérée comme pierre angul
aire de la société, désormais atteinte dans son prestige et dans
ses rôles politiques et sociaux. Si défendre l'aristocratie anglaise
était une façon de reformuler et préciser les fonctions de cette
élite, et plus généralement des élites, c'était aussi le refus de ce
qu'on appelle aujourd'hui l'ère des masses.
Il serait cependant erroné de classer ces écrivains sous l'ét
iquette de «penseurs réactionnaires». Hulme, Mallock et Ludov
ici avaient une parfaite connaissance des écrits de l'avant-garde
non seulement anglaise, mais européenne (en particulier fran
çaise) : Nietzsche, Bergson, Sorel, Robert Michels, Gobineau et
Max Nordau étaient, entre autres, leurs maîtres à penser. Il serait
plus juste dans ces conditions de les définir comme représentants
d'une « droite radicale » ou d'une nouvelle droite appartenant à
une avant-garde intellectuelle, dont les luttes se sont ancrées
hors des partis politiques, en particulier dans des groupuscules
artistiques.
Le contexte était à la peur, à l'ennui, à l'angoisse faite d'i
ncompréhension devant le comportement de la classe ouvrière, l'an
goisse devant la foule, et en particulier ces habitants des grandes
villes britanniques, ces pauvres, ces barbares, ces marginaux, tou-
99 jours émeutiers en puissance. La crise, la maladie étaient là, au
cœur même de la société, une maladie qui était le pur produit de
la vie moderne et de sa configuration spécifique, la ville. Au-delà
des illusions de stabilité, l'Angleterre paraissait au bord du
gouffre. Mais les problèmes de la foule et de la décadence physio
logique et morale n'étaient pas toujours le plus préoccupant.
D'autres phénomènes introduisaient un trouble profond dans les
esprits. Les défaites de la guerre des Boers appelaient une pre
mière explication, unanime : le déclin racial, qui cependant n'ex
pliquait pas tout. On y lisait aussi l'affaiblissement de l'Emp
ire, la dégradation de ses armées et la déchéance de l'esprit
guerrier. Cela posait, par conséquent, le problème de la défense
de l'Empire et, en particulier, de sa protection contre une All
emagne dotée d'une industrie et d'une flotte puissantes. Que quel
ques milliers de fermiers sud-africains aient été capables de s'op
poser à l'armée britannique remettait en question les capacités
du gouvernement à diriger et de l'administration à gérer. Les évé
nements de la première décennie du siècle n'ont pu qu'ancrer en
Angleterre — comme déjà en France — une analyse qui s'expri
mait en termes de corruption et de pourriture. Les scandales (dont,
pour ne donner qu'un exemple, celui du parti libéral au pouvoir
vendant des titres de noblesse) encourageaient le développement
d'une critique qui mêlait la haine de la ploutocratie, la contestation
de l'influence des nouveaux riches à celle du pouvoir occulte des
Juifs. De plus, le mouvement suffragiste et sa tactique d'action
directe, la croissance d'un mouvement syndical, moins révolu
tionnaire sans doute qu'en France mais quand même capable de
grève et, bien sûr, l'éternelle question de l'indépendance de
l'Irlande assombrissaient la vie politique de lourdes menaces.
Enfin, la grave crise constitutionnelle autour du budget dit « du
peuple» n'avait pu se résoudre qu'avec l'abolition de tout rôle
réel de la Chambre des Lords. Au-delà même du constat que
c'en était fini de l'ère des aristocrates, on trouvait jusque dans
les rangs du parti libéral, celui d'une crise du libéralisme x et du
régime parlementaire.
Cette situation appelait diverses réactions : d'un mouvement
travailliste qui se dégageait de sa position subalterne à un parti
conservateur qui adoptait la cause de l'Empire et du patriotisme
1. Voir, par exemple, J. A. Hobson, The Crisis of Liberalism,
Londres, 1909.
100 en passant par un parti libéral qui se ralliait à la social-démocratie.
D'autres réponses, moins traditionnelles, à droite comme à gau
che, se fondaient sur la réforme de l'Etat et sur le remplacement
d'une classe politique indigne. Les Fabiens revendiquaient pour
l'Angleterre le gouvernement de nouvelles élites scientifiques et
techniques. A l'autre extrémité du spectre politique, le mouve
ment pour Г «efficacité nationale» — groupement d'extrême
droite dirigé par Arnold White — soutenait contre la caste aristo
cratique, une nouvelle bourgeoisie capitaliste, attitude également
anti-démocratique. Et c'est ce qui importe ici. Face aux problè
mes économiques et politiques, à la crise constitutionnelle, à la
guerre civile en Irlande, à la défaite militaire, à une classe ouvrière
paupérisée et dangereuse, et avec à l'horizon la menace all
emande, certains — à droite comme à gauche — émirent des
doutes sur le bien-fondé de la démocratie et se déclarèrent ouver
tement pour l'avènement de nouvelles élites dirigeantes, techni
ciennes de la vie politique et sociale.
Il n'y avait pas en Angleterre, contrairement à la tradition
française, de véritable débat autour du concept de nation, des
rapports de chaque classe à la nation, ni de débat autour de
l'idée de patrie. Par exemple, et là aussi à l'opposé de la France,
le concept d'exclu de la nation n'existait pas comme catégorie
politique. Mais, d'Edmund Burke aux écrits de la fin du siècle,
l'exclusion des masses de la vie politique n'en était pas moins
considérée comme allant de soi. La «multitude cochonnière»,
selon l'expression de Burke, n'avait ni le droit, ni la capacité de
gouverner, ni même de participer à la vie politique, réservée de
droit aux lettrés, à des hommes membres d'une élite, intellec
tuelle ou aristocratique. L'opinion énoncée par Burke a été lon
guement reprise et reformulée par d'autres écrivains: par le
poète Samuel Taylor Coleridge avec sa défense de la « caste des
clercs » (clerisy) susceptible d'agir comme une Eglise nationale
intellectuelle2; par l'historien Thomas Carlyle, avec sa théorie
du héros, vecteur de progrès3; par le critique Mathew Arnold
qui dans son livre au titre significatif, Culture and Anarchy (là
était l'alternative), défendait le rôle des étrangers (il emploie le
mot alien, et non celui de foreigner), guides spirituels capables
2. S. T. Coleridge, On the Constitution of the Church and
State, Londres, 1830.
3. T. Carlyle, Heroes, Hero-Worship and the Heroic in History,
Londres, 1904.
101 de s'opposer aux autres classes, aux «barbares», aux «philis
tins», à la «populace»4; et par Lord Macauley et Walter
Bagehot qui justifiaient la constitution anglaise et la place privilé
giée donnée à la monarchie et à l'aristocratie. Toutes formulations
particulières qui renvoyaient à la même préférence accordée à la
qualité sur la méprisable quantité 5. Ces idées sont encore vigou
reusement exprimées à la fin du XIXe siècle. En 1897, William
Lecky affirme clairement, dans Democracy and Liberty 6, « la
supériorité de la minorité sur la majorité» comme «loi inexo
rable de la nature ». La démocratie est d&

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