Médias et démocratie : le su, le cru, le dit et le tu - article ; n°1 ; vol.106, pg 4-21
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Communication et langages - Année 1995 - Volume 106 - Numéro 1 - Pages 4-21
Jean-Noël Jeanneney, historien, ancien Secrétaire d'État à la Communication a été invité par le CFJ (Centre de formation des journalistes) à prononcer la leçon inaugurale de l'année universitaire devant de futurs journalistes. La séance solennelle s'est tenue le 30 octobre 1 995 dans l'amphithéâtre Jacques Chapsal de l'Institut d'études politiques de Paris, où enseigne M. Jeanneney. Selon une tradition désormais solidement établie, Communication et Langages reproduit chaque année le texte de cette leçon. Cette publication témoigne des liens très anciens établis entre le CFJ et les Éditions RETZ. Après les textes de François-Régis Hutin, de Jacques Rigaud, et de Henri Amouroux, voici les réflexions de Jean-Noël Jeanneney sur « Médias et Démocratie ». Une leçon de déontologie professionnelle.
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Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Noël Jeanneney
Médias et démocratie : le su, le cru, le dit et le tu
In: Communication et langages. N°106, 4ème trimestre 1995. pp. 4-21.
Résumé
Jean-Noël Jeanneney, historien, ancien Secrétaire d'État à la Communication a été invité par le CFJ (Centre de formation des
journalistes) à prononcer la leçon inaugurale de l'année universitaire devant de futurs journalistes. La séance solennelle s'est
tenue le 30 octobre 1 995 dans l'amphithéâtre Jacques Chapsal de l'Institut d'études politiques de Paris, où enseigne M.
Jeanneney. Selon une tradition désormais solidement établie, Communication et Langages reproduit chaque année le texte de
cette leçon. Cette publication témoigne des liens très anciens établis entre le CFJ et les Éditions RETZ. Après les textes de
François-Régis Hutin, de Jacques Rigaud, et de Henri Amouroux, voici les réflexions de Jean-Noël Jeanneney sur « Médias et
Démocratie ». Une leçon de déontologie professionnelle.
Citer ce document / Cite this document :
Jeanneney Jean-Noël. Médias et démocratie : le su, le cru, le dit et le tu. In: Communication et langages. N°106, 4ème trimestre
1995. pp. 4-21.
doi : 10.3406/colan.1995.2625
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1995_num_106_1_2625Médias et démocratie :
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d'études politiques de Paris, où enseigne
M. Jeanneney. Selon une tradition désor-
sion marquée par l'immédiateté, où chaque émotion, souvent,
chasse la précédente, qu'il est important et utile de regarder
aussi les choses sur le long terme. Et je vais pour commencer
chercher l'appui tutélaire de deux figures d'hommes d'action qui
furent aussi de grands journalistes. Georges Clemenceau et
Jean Jaurès. Entre autres dialogues qui ont parsemé leur car
rière, ils ont eu en effet une controverse, une confrontation, voici
tout juste cent ans, qui mérite d'être exhumée.
Voici tout juste cent ans, c'est-à-dire en décembre 1894. À cette
date, Lugné-Poe, au théâtre de l'Atelier, présente, avec un vif
I succès dans les cercles intellectuels et politiques, une pièce à
thèse d'Ibsen, Un ennemi du peuple, qui provoque bien des
débats. Son thème nous conduit tout droit au centre de ce que
peut être notre préoccupation déontologique et morale, au S Q)
moment où vous entrez dans cette belle école.
En Norvège, le docteur Thomas Stockmann, médecin des eaux
dans une cité thermale, qui avait remarqué avec chagrin que
i beaucoup de ses malades repartaient plus malades qu'à leur arri- Médias et démocratie : Je su, le cru, le dit et le tu 5
vée, enquête et découvre que les eaux sont empoisonnées par
les déchets d'une tannerie voisine. Nous sommes en plein drame
politico-écologique (comme on ne disait pas encore à l'époque).
Tout heureux, il annonce sa découverte à ses amis qui commenc
ent par le féliciter. Et d'abord à son condisciple Hovstad, direc
teur du principal quotidien de la ville, Le Journal du peuple, qui
s'écrie que c'est admirable et lui offre ses colonnes. Stockmann
écrit son article et se rend dans les locaux du journal pour en cor
riger les épreuves. Mais là, tout à coup, tout bascule. On lui
annonce soudain qu'on ne publiera pas son texte. Est intervenu
en effet le préfet, qui se trouve être le frère de Stockmann et qui a
expliqué au directeur du journal quelques éléments assez
simples. D'abord, que la compagnie des eaux ne pourra pas faire
les frais des aménagements nécessaires à la purification des
sources ; d'autre part, que ce sera aux contribuables de payer,
que ceux-ci seront très mécontents et que, par conséquent, ils
seront amenés à la première occasion à renverser la municipalité
; que de surcroît, les patients potentiels vont renoncer à prendre
les eaux dans cette ville, dénoncée par ses rivales comme un
foyer d'infection ; que les propriétaires des immeubles seront ru
inés puisqu'ils ne pourront plus les louer. Il se trouve que le prési
dent du syndicat des est, d'autre part, justement,
l'imprimeur du Journal du peuple. . .
Tout est en place, comme vous voyez, pour que M. Hovstad, en
dépit de son enthousiasme premier, prenne une décision négat
ive. Donc, l'opinion de la ville est montée par Le Journal du
peuple contre le docteur à qui on attribue des motifs infâmes.
Celui-ci participe à une réunion publique où il est hué, quasiment
lapidé. Ses habits sont déchirés. Il rentre chez lui en disant : « II
ne faut jamais mettre son meilleur pantalon quand on va
défendre la vérité et la liberté. » Et il finit dans la noblesse d'une
solitude absolue, ses fenêtres, ses carreaux brisés par les
pierres de la foule en délire.
On voit là se combiner pour écraser, au moins provisoirement, la
vérité qui s'apprête à surgir du puits, les deux forces ordinaires
dans ces cas : la politique et les affaires. Le pouvoir gouverne
mental s'affirmant, contre ia circulation des nouvelles vraies,
comme le défenseur de l'intérêt général qui peut être servi par
certains silences, et d'autre part, le pouvoir de l'argent qui agit
subrepticement, représenté par le journal des propriétaires. La
pièce pivote autour de ce changement d'attitude du Journal du
peuple, de la presse. 6 Déontologie
UNE CONTROVERSE CLEMENCEAU-JAURÈS
Le Tout-Paris ne parle que de cela pendant quelques semaines.
C'est l'époque où le théâtre joue un rôle essentiel pour faire
s'affirmer des conflits de doctrine et avancer aussi la réflexion
civique. Parmi tous ceux qui s'expriment, on trouve au premier
rang deux grands hommes, Georges Clemenceau et Jean
Jaurès : l'un, dans La Justice, et l'autre, dans La Petite
République. Naturellement, l'un et l'autre se rejoignent pour
condamner l'attitude de la presse, pour saluer le courage de
Stockmann, le docteur qui incarne le courage civique, pour
s'inquiéter des inconvénients de l'argent caché. Mais le plus
intéressant, ce sont les nuances dans leur analyse, car elles per
mettent d'aller plus loin.
Pour faire bref, je dirai que, pour Clemenceau, l'attitude du
Journal du peuple virant de bord est impardonnable, quoique
inévitable ; alors que pour Jaurès, elle est pardonnable parce
que forcément provisoire. Toute la réflexion des deux hommes,
en forme de dialogue, se concentre sur la dialectique des majori
tés et des minorités en démocratie, et sur la question de savoir
quel rôle la presse — et ceux qui ont la charge d'en user devant
les citoyens - peut y jouer. Pour Clemenceau, c'est clair. Il écrit :
« L'épisode est la glorification de l'énergie individuelle contre les
erreurs, les préjugés, les mensonges dont se fait l'opinion
moyenne des hommes. » Et il cite avec faveur de
Stockmann, qu'il a souvent rappelée par la suite, et qui lui
convenait bien : « L'homme le plus puissant du monde est celui
qui est le plus seul. »
C'est précisément ce que Jean Jaurès ne peut pas accepter.
Dans les colonnes de La Dépêche de Toulouse, il réagit en affi
rmant que Clemenceau a tort d'exagérer les vertus de la solit

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