Parler et se taire - article ; n°1 ; vol.45, pg 67-80
15 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Parler et se taire - article ; n°1 ; vol.45, pg 67-80

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
15 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1990 - Volume 45 - Numéro 1 - Pages 67-80
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 11
Langue Français

Extrait

Gisela Breitling
Anne-Sophie Astrup
Parler et se taire
In: Les Cahiers du GRIF, N. 45, 1990. Savoir et différence des sexes. pp. 67-80.
Citer ce document / Cite this document :
Breitling Gisela, Astrup Anne-Sophie. Parler et se taire. In: Les Cahiers du GRIF, N. 45, 1990. Savoir et différence des sexes.
pp. 67-80.
doi : 10.3406/grif.1990.1846
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1990_num_45_1_1846Parler et se taire
Gisela Breitling
L'homme vit et meurt de ce qu'il voit
Mais il ne voit que ce qu' il pense.
Paul Verlaine
Au début des années 70, avec la naissance du nouveau
mouvement des femmes, les femmes manifestèrent un nouvel
intérêt pour les oeuvres et l'expression artistique des femmes.
En même temps, les artistes tentèrent de donner une visibilité
formelle à la nouvelle conscience féministe. Ainsi naquit un
art qui voulait de manière explicite être compris comme un art
féministe, un art dont les traits stylistiques sont, depuis une
dizaine d'années, presque exclusivement associés aux fem
mes» .
Le spectre des moyens d'expression de cet art reste rel
ativement étroit, en tout cas, pour ce qui est publié, reproduit et
commenté par le public «femme». La peinture, par exemple,
est en majeure partie mise à l'écart, exceptée celle des «néo-
fauvistes». Il est clair que la peinture apparaît comme «mascul
ine» et qu'on ne tolère que celle du passé. On lui préfère
d'autres techniques comme l'art objectai, les performances,
les collages photos et l'utilisation de matériaux volontair
ement «anticlassiques». ,
C 'est cette limitation à des méthodes et à des matériaux qui
m'intéresse car tout se passe comme si une internationale
féministe était à l'uvre, une sorte de«cômité central de la
culture» qui proclamerait, à certains moments, les directives
de l'art féministe. D'où vient ce consensus ? Qui formule ce
programme esthétique ? En quoi consiste cette fascination ?
Quelle image de «la» femme véhicule-t-il ? 67 En cherchant des réponses à cette interrogation, je pressent
is qu'il s'agissait ici d'un problème de langage, de parole et de
mutisme, d'un discours sur l'art qui tente de briser un interdit
séculaire : celui de prendre la parole. Ce problème de langage
recèle une double tragédie : l'absence de tradition féminine et
une histoire des femmes passée sous silence. Les femmes
refuseraient-elles les méthodes de travail traditionnelles pour
faire d'une tradition qui leur fut refusée - une insertion dans
l'histoire - un contre-programme esthétique ?
L'analyse du féminin dans le langage permet de déchiffrer
la manière dont s'imbriquent féminin et refus dans notre con
science. On peut en même temps se demander pourquoi les
femmes qui ont accès aujourd'hui, du moins formellement,
aux institutions et au milieu de l'art, ne se contentent pas de le
pratiquer pour lui-même, sans chercher à savoir s'il est perçu
comme féminin, que ce soit par les hommes ou par les femmes;
pourquoi, en somme, elles attachent tant d'importance à la
féminité, à ce qui passe pour féminin.
J'essayerai ici, en partant de la place du féminin dans le
langage, d'établir le rapport entre le langage et l'art, et i
nversement, entre l'art et le langage. Lorsque les femmes
partent à la recherche de la «femme cachée», elles découvrent
l'exterritorialité du féminin dans le spectre de l'auto-représen-
tation «humaine». Elles ne trouvent qu'images et mises en
scènes, chimères de l'imagination masculine. ¦
I Nous nous faisons toutes sortes de représentations de
main, et la première d'entre elles est le reflet, l'image de notre
apparence. Cette apparence est sans cesse présente, ne serait-
ce que dans sa représentation par les médias. Bien que nous
nous reconnaissions en elle en y retrouvant ce qui nous est
naturel, notre corporalité, cette apparence n'est pas notre
«nature». Ce sont plutôt les idées forgées dans le passé et se
déversant dans le présent qui modèlent notre idée de l' humain.
L'art informe ces idées, bien plus que nous ne l'imaginons.
Même lorsque nous ne sommes pas experts en la matière et que
68 nous ignorons tout de son histoire, nous sommes soumis à sa ,
de produire notre image et ceci de la même manière capacité
que nous nous soumettons aux lois, l'ignorance que nous
pouvons en avoir ne nous dispensant pas de les respecter.
«La vérité est exigible de l'être humain» écrit Ingeborg
Bachmann. L'exigence de vérité, quand il s'agit de la parole ou
du mutisme des femmes est très dure pour elles car la con
science accrue de leur oppression leur fait vivre une douleur
croissante. Une femme qui délaisse la maison paternelle qu'est
l'idéologie patriarcale s'expose au «vent glacial de la liberté»
: nul espace protecteur pour la recueillir, et contrairement à
Faust, ni Dieu ni Diable pour l'accompagner dans sa quête. La
vérité sur leur silence, sur leur parole évincée, est une exigence
douloureuse, tout comme pour les hommes d'ailleurs, puisque
leur vérité proclamée partout et de tous temps, si elle ne
concerne que la moitié de l'humanité n'est qu'à demi vraie.
/
Le mutisme des femmes ne provient pas seulement de
l'injonction millénaire au silence, de la surdité à l'égard de ce
qu'elles dirent et disent C'est le langage lui-même qui n'ad
met la féminité que comme cas particulier, qui l'ignore ou la
confond avec un masculin pensé comme neutre.
La langue est plus qu'un moyen de communication, elle est
ausi le medium qui conserve notre image, notre identité. Notre
parole modèle notre histoire, et l' histoire ne nous communique
que ce qui se laisse dire par l'outil qu'est le langage. Le
langage est un système analogue à celui des normes et des
valeurs, il reproduit ces normes et du même coup les rétablit
Tout comme le langage, l'histoire rend les femmes invis
ibles. L'universalité prônée par les institutions chargées de
transmettre et de conserver le savoir n'est pas plus neutre que
le langage qui nous permet d'assimiler l'histoire de notre
culture. «Le procédé historiographique qui consiste à ne per-'
cevoir que la moitié de l'humanité, en la posant non comme
masculine mais comme neutre, ne conduit pas à une universali
té incomplète mais à une universalité fallacieuse.*7 Ce n'est
pas seulement en tant que catégorie de l'historiographie que 1& 69 - parce qu'il se donne pour universel - exclut les masculin
femmes du langage et de ce qu'il veut dire. En tant
qu'«universel», il rend paradoxalement cette exclusion à la
fois efficace et invisible, l'articulation d'une pensée dépassant
les catégories de sexe devenant, pour les femmes, impossible.
Le discours féminin est incapable de dépasser sa particularité
de sexe, sa limitation. Le discours féminin n'inclut jamais le
masculin.
«Le langage n'est pas neutre. Elaboré durant des siècles, il
reflète nos attitudes, nos partis pris fondamentaux (...) La
langue est l'outil qui permet de produire le réel, la réalité du
patriarcat.»3 Donner un nom, nommer : c'est grâce à cette
compétence qu'il est possible de définir qui on est, ce qui est.
Dans la culture masculine, les hommes définissent les femmes,
ceci se trouvant symbolisé dans l'usage qui veut qu'en se
mariant une femme prenne le nom de son mari et abandonne le
sien. Cette coutume a d'autres conséquences : elle dit l'inca
pacité des femmes de transmettre un héritage puisque seule la
généalogie masculine permet de définir une filiation. Faute
d'être dite dans le langage, la contribution féminine à la
génération disparaît. L'idée qu'une femme est incapable de
transmettre, qu 'elle est tout juste bonne à être un réceptacle, un
sol nourricier pour une vie nouvelle, s'est propagée à d'autres
sphères et, notamment, celle du travail. Là aussi, la femme
n'est qu'une reproductrice, la production ét

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents