La notion bergsonienne du Temps - article ; n°75 ; vol.19, pg 337-378
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Revue néo-scolastique de philosophie - Année 1912 - Volume 19 - Numéro 75 - Pages 337-378
42 pages

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Publié le 01 janvier 1912
Nombre de lectures 46
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

A. Farges
La notion bergsonienne du Temps
In: Revue néo-scolastique de philosophie. 19° année, N°75, 1912. pp. 337-378.
Citer ce document / Cite this document :
Farges A. La notion bergsonienne du Temps. In: Revue néo-scolastique de philosophie. 19° année, N°75, 1912. pp. 337-378.
doi : 10.3406/phlou.1912.2025
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-555X_1912_num_19_75_2025XIII.
LA NOTION BERGSONIENNE
DU TEMPS.
La nouvelle notion du Temps imaginée par M. Bergson
est de la plus haute importance, puisqu'il en a fait le
centre et le pivot de tout son nouveau système philo
sophique.
Au premier abord, il semble bien subtil et même para
doxal de vouloir fonder une philosophie tout entière, une
explication totale des choses sur la notion du Temps. A la
réflexion toutefois, et au souvenir de la merveilleuse syn
thèse péripatéticienne entièrement élevée sur la notion du
Mouvement, notion si voisine de celle du Temps,
on est plutôt tenté de faire crédit à l'auteur, non sans
quelque défiance, il est vrai, car si le Mouvement est un
phénomène patent qui tombe sous les sens, il n'en est pas
de même du Temps, le plus obscur et le plus mystérieux
peut-être de tous les phénomènes de la nature. Ce contraste
avait déjà été remarqué par les anciens lorsqu'ils disaient :
« Motus sensibus ipsis patet, non autem tempus » . Aussi
pouvons-nous craindre très légitimement que le sophisme
ne trouve plus facilement à s'embusquer derrière ces ombres
profondes, et qu'au lieu de bâtir sur le roc, comme Aris-
tote, M. Bergson ne puisse édifier que sur le sable mouvant
des conjectures.
Quoi qu'il en soit, essayons d'expliquer aussi clairement
l 338 A. FAROES
que possible sa pensée toujours subtile et nuageuse, d'en
montrer les côtés spécieux et d'en préciser les points
faibles. Pour cela commençons par faire connaître le
résultat final de sa longue et laborieuse étude sur la notion
du Temps.
Le Temps étant l'antithèse de l'Espace, il est bon de
rapprocher ces deux notions pour en éclairer le sens par
leur contraste.
Or, dans le système de M. Bergson, l'Espace est défini
par quantité et homogénéité, et partant par mensurabilité.
C'est le propre de la matière. Toute quantité, soit discrète
comme le nombre, soit continue, comme les grandeurs, est
de l'espace. « L'espace, dit-il, doit se définir l'homo
gène... inversement tout milieu homogène et indéfini sera
de l'espace » 1).
Au contraire, le Temps est défini par qualité pure et
hétérogénéité pure, exclusive de toute quantité, de toute
homogénéité, et partant de toute mensurabilité. C'est le
propre de l'esprit. Ainsi le Temps vrai n'a ni parties vi
rtuellement multiples, ni quantité par où il soit mesurable ;
ni homogénéité qui permette de comparer une durée à
une autre durée et de les dire égales ou inégales.
« La durée pure, écrit M. Bergson, n'est qu'une succes
sion de changements qualitatifs qui se fondent, qui se
pénètrent, sans contours précis, sans aucune tendance à
s'extérioriser les uns par rapport aux autres, sans aucune
parenté avec le nombre. Ce serait l'hétérogénéité pure » 2).
Cette notion est sans doute à l'opposé de toutes les con
ceptions agnostiques ou idéalistes, Kantistes ou Leib-
nitziennes. Mais elle n'est pas moins éloignée de toutes les
définitions connues des écoles réalistes, qui sont unanimes
à faire du Temps une quantité, notamment de la célèbre
définition Aristotélicienne, déclarant que le Temps est
*) Bergson, Essai sur les données, p. 74 (2* édit.).
*) Ibid., p. 78. LA NOTION BERGSONIENNE DU TEMPS 339
« le nombre ou la mesure du mouvement, selon V avant et
T après ». 'AptOfjio; xivifaeco; xaxà xo irpoxepov xal uuxepov *).
Et ce n'est pas seulement la pensée philosophique que
contredit la nouvelle notion, ce sont encore les données de
la science expérimentale et du simple bon sens. La fiction
d'un temps simple, impossible à mesurer, apparaît en effet,
du premier coup, comme un défi au sens commun. Quant
à la science qui parvient à mesurer le temps et même à le
prédire par des calculs d'une précision si merveilleuse, elle
lui donne chaque jour le plus éclatant démenti.
Que telle soit bien pourtant la pensée de M. Bergson,
on n'en saurait douter. Pour lui, le temps vrai ne se
mesure point ; celui de la science et du sens commun n'est
qu'une illusion et une chimère, comme il le répète à satiété,
sous toutes les formes, dans tout le cours de ses ouvrages,
notamment dans les cinquante pages (57 à 107) du deuxième
chapitre de son Essai sur les données immédiates de la con
science, entièrement consacrées à combattre cette illusion.
En lisant tous les longs et subtils développements donnés
par l'auteur à cette thèse, il est impossible à un philosophe
quelque peu au courant des notions de Métaphysique géné
rale et d'Ontologie, de ne pas être frappé du nombre et de
la gravité des confusions d'idées qu'on y rencontre. Les
notions classiques les plus fondamentales ont été plus ou
moins vidées de leur sens naturel, mutilées, chavirées
comme à plaisir, au point d'étourdir et de saisir comme de
vertige un lecteur inexpérimenté. Si l'on nous permettait
l'expression à la mode, nous dirions sans vouloir sus
pecter en rien les intentions de l'auteur que c'est là
comme un vrai « sabotage » de l'Ontologie. On croirait
même à un « sabotage » réglé, méthodique, car ces con-
*) Arist., Phys., 1. IV, c. 11, §§ 5 et 12. Cette définition regarde sur
tout le temps qui mesure. Quant au temps qui est mesuré, il n'est autre
que le mouvement en tant qu'il tombe sous la mesure de l'avant et de
l'après. C'est la même distinction que pour le nombre nombrant et le
nombre nombre, xà iripiôjjiïjjjiivov, ta opiOjnrjTov (Phys., 1. IV, c. 14, § 3). 340 A. FAROES
fusions d'idées, qui semblent se succéder en désordre,
conservent entre elles un ordre stratégique très étudié et
très savant* Nous les comparerions volontiers à cette série
de tranchées profondes et obscures où l'assiégeant se croit
en sûreté, à l'abri des traits de l'ennemi, et qui le con
duisent sous terre, très méthodiquement, jusqu'aux pieds
de la place assiégée, dont il veut faire l'assaut. Ici la place
assiégée s'appelle la notion traditionnelle du Temps.
Or voici la série de ces confusions dans leur stratégie
savante. Ne pouvant les relever toutes, pour ne pas trop
fatiguer ou embrouiller nos lecteurs, contentons-nous d'i
ndiquer les principales.
1° Confusion de la quantité avec la qualité ; 2° de Y unité
avec le nombre ; 3° du nombre avec Y espace ; 4° de Y espace
avec Yhomogène ; 5° du temps avec le mouvement ; 6° enfin
erreur capitale confusion du temps avec Y hétérogène.
Plusieurs de ces confusions étaient trop évidentes pour
ne pas causer l'étonnement et comme le scandale des philo
sophes quelque peu familiers avec les notions d'Ontologie.
Aussi, malgré le prestige de la chaire officielle du haut de
laquelle elles tombaient dans le public, ont-elles déjà
soulevé les critiques et les protestations éparses d'un bon
nombre de professeurs, nullement suspects d'attaches scolas-
tiques, voire même de la part de certains collègues en Sor-
bonne, comme le regretté M. Huvelin, dans sa brillante
thèse de doctorat sur les Eléments principaux de la repré
sentation, où la notion Bergsonienne du Temps est vigou
reusement, quoique très incomplètement, réfutée.
Mais ces critiques partielles, éparses çà et là dans les
thèses et les revues contemporaines, sont loin d'avoir tout
dit, ce nous semble, ni même le principal, à notre sens.
Encore moins ont-elles montré, dans une vue d'ensemble,
la synthèse et le lien de toutes ces erreurs partielles de la
Philosophie nouvelle. Il y a donc encore pla

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