Propos I de André-Georges Haudricourt - article ; n°16 ; vol.8, pg 9-21
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Description

Médiévales - Année 1989 - Volume 8 - Numéro 16 - Pages 9-21
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 10
Langue Français

Extrait

Monsieur François Jacquesson
Propos I de André-Georges Haudricourt
In: Médiévales, N°16-17, 1989. pp. 9-21.
Citer ce document / Cite this document :
Jacquesson François. Propos I de André-Georges Haudricourt. In: Médiévales, N°16-17, 1989. pp. 9-21.
doi : 10.3406/medi.1989.1130
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1989_num_8_16_1130PROPOS I DE A.-G. HAUDRICOURT
recueillis par F. JACQUESSON
Comment les sons changent
II y a une chose qui m'amuse, c'est l'histoire de /y/1. A l'épo
que romaine, il n'y avait pas de /y/. Les langues européennes ancien
nes n'avaient pas de /y/, sauf probablement certains dialectes grecs ;
c'est pourquoi les malheureux Latins ont été obligés d'inventer le « i
grec » : ils ne pouvaient pas prononcer /y/. Les Espagnols et certains
Italiens prononcent encore /iu/, et les Russes aussi, alors que dans
les langues germaniques le /y/ est apparu à date historique, au Moyen
Age, et visible dans l'écriture ; tandis qu'en France, on ne s'est aperçu
de rien : le /u/ latin est passé à /y/ en s 'écrivant de la même façon.
On ne voit pas immédiatement à quelle date il apparaît.
Il y a eu cette idée, les Français étant un peu vexés de parler
une langue à moitié italienne, que le /y/ était d'origine celtique ; le
nord-ouest de l'Italie a un /y/ : à Turin, à Milan, ce sont des /y/,
cela correspondrait aux anciens Celtes qui occupaient la Gaule et le
nord de l'Italie. Malheureusement il ne semble pas que les langues
celtiques attestées aient eu des /y/, tout au moins, rien ne le prouve.
Quand un /u/ devient /y/, il peut ensuite devenir /i/, mais ce n'est
pas la seule façon dont un /u/ devient /i/, la preuve en est qu'en
slave, en russe, l'ancien /u/ est devenu / /, qui est le contraire du
/y/ puisque les lèvres sont retirées et la langue en arrière. Dans l'écri
ture, ce qui est amusant, c'est que ce sont les Scandinaves qui se sont
aperçus que le y avait dû valoir /y/ et l'emploient en Suède et en
Norvège pour le /y/. Ça n'intéresse pas les historiens, sauf pour la
chronologie. Parce que les phonologues se sont aperçus que le chan
gement de /u/ en /y/ pouvait provenir simplement de l'augmentat
ion des voyelles. A l'arrière, il y a moins de place qu'à l'avant de
la bouche pour distinguer les voyelles : à ce moment-là, le /u/ s'avance
1. A prononcer comme le français U. 10
vers le /y/. Du reste, en anglais actuel, le /u/ est plus avancé que
le /u/ français. Par conséquent l'influence celtique n'est pas du tout
probable. Dans les langues romanes, en gallo-roman, le /u/ est passé
à /y/ très tardivement ; les langues celtiques avaient disparu depuis
longtemps quand ça s'est produit.
Les gens ont une fausse idée des choses, c'est ça le problème.
Puisque l'écriture ne change pas — et ils ne voient que ce qui se passe
dans l'écriture, qui n'est qu'un reflet — ils supposent que rien ne
change. Quand il s'agit d'un phénomène nouveau, on est obligé en
effet d'en tenir compte dans l'écriture ; mais dans les évolutions plus
phonétiques, dans lesquelles il n'y a pas un moment où le /u/ est
devenu /y/...
— Vous êtes partisan de la réforme de l'écriture ?
— Tout dépend de la prononciation qu'on veut. A Nantes, on
ne parle pas le même français qu'à Paris ou à Lyon. Qu'est-ce qu'on
va noter ? Les mots terminés en -et se prononcent /e/ dans l'ouest
et /e/ dans l'est. Si l'on veut distinguer /e/ et /e/ dans l'orthogra
phe, qu'est-ce qu'on va faire ? Il faut faire une prononciation artifi
cielle qui soit acceptée par tout le monde pour faire une écriture cor
respondante, autrement les discussions dureront infiniment. Moi qui
distingue /e/ et /e/, je suis confondu quand les gens de Normandie
les confondent. Chez la génération actuelle, soit par réaction contre
leurs parents, soit autrement, il y a eu une simplification du système
phonologique des voyelles considérable.
Déplacements des gens et changements des sons
— Vous pensez que c'est récent ?
— L'exemple, c'est la prononciation de Jacqueline Thomas. Elle
est originaire de l'est de Paris. Dans l'est de Paris, il y a une pro
nonciation parisienne populaire dans laquelle on distingue trois pho
nèmes : le -ai est prononcé différemment de aïs qui est /e/, et de /e/.
C'est ce qui vous explique les anciennes règles grammaticales de ne
pas confondre le futur avec le conditionnel. Ça marchait quand il y
avait les trois phonèmes, mais comme la majorité des Français n'en
distingue que deux, ils s'embrouillent. Moi, je prononce « les quais
de la Seine » avec un /e/, et je dis « il est gai » ; mais « les Portu
gais /e/ sont toujours gais /e/ » ça ne marche pas ! Le ai dans les
mots les plus fréquents je le prononce /e/ et dans les mots rares je
le prononce /e/, parce que je n'ai que deux phonèmes. Au XVIe siè
cle nous avons des descriptions de prononciation, qui montrent que
le -ai se prononçait /ei/ : il y avait /e/, /ei/, /e/. A Paris les bour
geois vont trois mois à la campagne, ils ont une prononciation en part
ie provinciale, qui s'estompe à Paris, tandis que les gens qui n'allaient
pas en vacances avaient conservé la vraie de Paris. 11
— Les gens qui ne bougent pas sont plus traditionalistes que les
migrants, en fait de prononciation ?
— Forcément, puisqu'ils n'ont pas de contact. L'exemple le plus
typique, c'est les Basques. Où habitent les Basques ? Dans les régions
de basse montagne dans lesquelles ils peuvent nourrir les animaux toute
l'année sur place. Mais dans les Hautes-Pyrénées, ils vont en monta
gne seulement l'été, et en hiver ils vont en plaine. Dans les hautes
montagnes, vous avez un dialecte analogue à celui de la plaine, alors
que dans les montagnes basses vous allez conserver une langue qui
n'est même pas indo-européenne. Ce n'est pas la topographie qui expli
que, c'est le rapport avec la végétation et les animaux. Dans les Alpes
par exemple, les parlers du côté français, franco-provençal ou pro
vençal, avancent jusqu'aux Piémontais. Toutes les vallées italiennes
de l'est parlent comme les vallées françaises, parce que les vallées mont
agneuses sont suffisamment larges pour que la migration n'ait jamais
dépassé les montagnes. Tandis que dans les Pyrénées ce n'était pas
le cas.
Évolution des gens et des sons
— Ces faits de conservatisme sont généralisables ?
— Ça dépend des populations avec lesquelles on a à communiq
uer. Il y a une très grande différence entre ce qui se passe en Océa-
nie par exemple, et ce qui se passe en Asie Centrale. Mais pour les
changements d'une génération à l'autre, c'est plutôt en France qu'est
l'exemple. J'ai vécu sans condisciple si l'on peut dire, puisque j'ai
fait mes études par correspondance, et j'ai été étonné que les jeunes
bourgeois des villes parlaient argot pour épater leurs parents. Là, c'est
intra-social.
— Un problème historique, de classes sociales, ou psychologique ?
— En Océanie, vous n'avez pas de classes sociales. Le soi-disant
grand chef pioche les ignames comme le soi-disant esclave, qui n'est
pas un esclave : il n'a pas de nom, pas de terre, la situation juridi
que est différente mais la situation pratique est la même. Or, dans
ces sociétés-là, les jeunes n'avaient pas le droit de parler. Dès que
le vieux meurt, le jeune qui a écouté religieusement tous les vieux,
se met à parler et à raconter ; par conséquent il n'y a pas de perte.
On dit : tous les vieux sont morts et on ne sait plus rien. Mais entre
l'affabulation consciente et la réalité, il y a toujours un écart extraor
dinaire. En France les jeunes sont de gauche et, quand ils vieillissent,
deviennent réactionnaires, etc. Dans toutes les sociétés les relations
entre jeunes et vieux sont beaucoup plus mouvantes qu'on ne se rend
compte, parce qu'on voit en instantané, on ne voit pas l'évolution.
— Mais vous, vous voyez l'évolution, grâce à votre grand âge ?
— Ce n'est pas tellement à cause de mon âge ! c'est à cause dé 12
mon anti-sociabilité. Je ne me suis jamais senti dans le coup ; alors,

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