Les stratégies de la folie : Nietzsche, Wagner et Dostoïevski René ...
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Les stratégies de la folie : Nietzsche, Wagner et Dostoïevski René ...

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Extrait

L
E SURHOMME DANS LE SOUTERRAIN
Les stratégies de la folie : Nietzsche, Wagner et Dostoïevski
René GIRARD
(...) La plupart des intellectuels prétendent bien entendu ne rivaliser avec personne; tout au
plus se soucient-ils d'exceller dans leurs domaines respectifs. L'esprit de concurrence ne
concerne que les autres. Tous pourtant ont conscience que l'obstacle le plus insignifiant en
apparence peut engendrer une terrible amertume. Le monde intellectuel étant dépourvu de
hiérarchie et donc privé de critères objectifs, chacun y est fatalement soumis au jugement
indirect de ses pairs, le nombre de personnes sujettes aux affections paranoïaques y est
considérable.
Ce monde est né au milieu du XVIIIe siècle - un peu avant la Révolution française. Les
intellectuels commencent alors à jouir d’un certain prestige et, en conséquence, leur opinion
a compté davantage pour les autres intellectuels que celle des mécènes aristocratiques. D'où
l'apparition, sur la scène de l'esprit, de troubles mentaux d'une espèce nouvelle que l'on ne
saurait minimiser. Car les oeuvres les plus importantes en portent la trace, celles de Rousseau
en France, de Hölderlin en Allemagne ou encore de Nietzsche.
Ni les sociologues, ni les psychanalystes de la littérature ne vont au coeur du problème. Les
premiers ne s'intéressent, comme à l'accoutumée, qu'au rapport de forces entre bourgeois et
aristocrates, question qui concerne, bien entendu, la transformation des relations dans le
milieu intellectuel, mais d'assez loin. Car les pressions exercées par la société, pour être
réelles, sont filtrées et le plus souvent déformées par le micro-environnement du monde
intellectuel. C'est ce monde qui devrait être l'objet d'étude le plus immédiat : non comme
ensemble de données statistiques mais comme réseau de relations mouvantes et complexes
gouvernées, au moins en partie, par le désir médiatisé. Dans ce micro-univers, les relations
les plus importantes ne s'établissent pas entre supérieurs et inférieurs mais entre égaux -
quand bien même elles sont rarement vécues comme relations « d’égal à égal ». D'où la
violence, plus ou moins secrète, de ces relations qui ne peut pas ne pas avoir de
retentissement dans la création intellectuelle. Il reste que ce problème n'est jamais envisagé,
encore moins traité. L’idée de
sublimation
sur quoi la plupart des psychanalystes fondent
encore leur théorie de la création littéraire est un exemple, et non des moindres, de la
représentation trompeuse que les intellectuels peuvent se faire de leur propre univers.
Aujourd'hui, l’effondrement des dernières hiérarchies rend la présence du rival métaphysique
de plus en plus obsédante. C'est pourquoi une science comme la psychanalyse peut apparaître
indispensable, en tant qu'ultime manoeuvre de repli contre la révélation du processus
mimétique. La psychanalyse nous confronte à l’évidence, certes, mais tout en s'arrangeant
pour en détourner notre attention et la fixer sur les scandales spécieux d'un désir « parricide »
et d'un désir « incestueux ».
Freud est bien la dernière ligne de retranchement contre la médiation. C’est pourtant lui qui
s’est avancé au plus près de la vérité, tout en accomplissant le tour de force de la maintenir à
distance. On peut expliquer ce statut intermédiaire de la doctrine freudienne, son double rôle
de précurseur immédiat du processus mimétique et d'ultime résistance à sa totale
compréhension, en replaçant la conception freudienne de la « loi » dans le contexte du passage
d'
Aurore
cité plus haut. On se souvient que dans ce texte, la loi est « mise à mort » par le fou
lui-même et son « cadavre » tenu pour responsable de tous les maux. Accusation fausse, bien
entendu, mais qui peut se justifier. Car la loi est réellement responsable dans la mesure où elle
n'est plus là pour empêcher que l'inévitable, à savoir le processus mimétique, se produise. La
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