Un appel psychédélique et solennel pour dépasser le conflit Capitalisme / Communisme (sauver l’Humanité) A propos du film de Stanley Kubrick « 2001, l'odyssée de l'espace » Générique 1 : [2001 : A space Odyssey] 1968 -Réalisation et production : Stanley Kubrick Scénario : Stanley Kubrick et Arthur C Clarke. Nouvelle : La Sentinelle d'Arthur C Clarke. 139 minutes. Avec Keir Dulléa (David Bowman) Gary Lockwood (Frank Poole) William Sylvester (Docteur Floyd). Incontestable succès public, le film a rapporté environ quarante millions de dollars au plan mondial (il aura coûté dix millions de dollars). "Ce qui est en jeu, ce n'est pas la direction du pays, c'est notre droit à la direction morale de la planète" Robert Kennedy élection présidentielle de 1968. "L'Amérique est un pays neuf. Confiants dans les Lumières du siècle qui s'achève, beaucoup espèrent que l'Américain sera un "homme nouveau". Hector Saint John de Crèvecoeur (immigré français) Lettres d'un fermier américain 1791. "Give me your poor, your huddled masses, yearning to breathe free ("Laissez venir à moi vos cohortes de pauvres, vos multitudes qui rêvent de respirer la liberté "). Ces vers de la poétesse Emma Lazarus sont inscrits sur le socle de la statue de la Liberté New York. « Le maintien de l’Union doit être le principal objet des voeux de tout patriote américain (...) Respectez la bonne foi et la Justice avec toutes les nations. Cultivez la Paix et l’Harmonie avec tous ». Georges Washington discours d’adieu septembre 1796. INTRODUCTION « En 1968, l'année du printemps de Prague, des évènements de Mai à Paris, de la guerre du VietNam et des Black Panthers, « 2001 » occulte complètement les conflits et les luttes. Le film n'évoque à aucun moment un quelconque système social ou politique ». Schroder, Nicolas Les plus grands films du 20° siècle 2005 Stanley Kubrick reste aujourd'hui un cinéaste majeur, mais "2001" est considéré par quelques uns comme une bande d’actualités d’un intérêt au demeurant limité 2 , par d’autres comme une "bon film" (concept qui implique par ailleurs des considérations théoriques passionnantes 3 ) qui dépasse de beaucoup le cadre strict du genre "Science-fiction", et, pour la grande majorité des critiques et des spectateurs, comme un chef-d'œuvre de première importance (Stanley Kubrick lui-même a relevé cette ambivalence : « Chaque film que j’ai fait a eu des critiques très contradictoires. L’exemple limite est 2001, qui a été presque unanimement attaqué à sa sortie, et qui, il y a un ou deux ans, a été classé par des critiques deuxième meilleur film de toute l’histoire du cinéma américain 4 »). Certes, lors d'une première vision, il est évident que le film est moins ancré dans une réalité historique que d'autres œuvres du même cinéaste. Peut -on dire toutefois, comme le fait Nicolas Schroder, que "2001 n'évoque à aucun moment un quelconque système social ou politique"?
1 2001, l’odyssée de l’espace L’avant-scène cinéma n°231/232 1979. 2 Bouyxou, Jean-Pierre La science-fiction au cinéma Union générale d’éditions 10/18 1971. 3 Jullier, Laurent Qu'est-ce qu'un bon film ? La Dispute 2002. 4 Molina, Vicente entretien avec Stanley Kubrick Les Cahiers du Cinéma n°316 janvier 1981.
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Cette affirmation paraît contestable, si l'on rappelle l'attention portée par Kubrick à l'actualité (il a été photographe de presse), et à l'évolution du monde (comme en témoigne son ami Sydney Pollack : C'était un homme étrange; il ne sortait pas de sa maison en Angleterre. Et pourtant il se tenait au courant de tout lors de conversations téléphoniques quotidiennes avec des amis du monde entier 5 ). Par ailleurs, l'affirmation de Nicolas Schroder pourrait également signifier que "2001 l'odyssée de l'espace" s'apparente à un message philosophique, religieux, et qu'il serait bien illusoire de chercher à y trouver les tensions, les espoirs et les inquiétudes du monde entre 1963 (mise en place du projet) et 1968 (présentation du film). Puisque Kubrick lui-même nous y invite (" J’ai tenté de créer une expérience visuelle qui aille au-delà des références verbales habituelles et qui pénètre directement le subconscient par son contenu émotionnel et philosophique. (...) Vous avez la liberté de spéculer à votre gré sur la signification philosophique et allégorique de ce film 6 ") proposons l'hypothèse suivante : "2001 l'odyssée de l'espace" est vraiment un film "politique", un discours sur les blocages et les évolutions de la société américaine, tant dans sa gestion intérieure que dans ses rapports avec le reste du monde. Ce discours est composé d'éléments agencés dans un ordre précis, avec un début, un milieu et une fin. Comme le précise l'historien Marc Ferro : le film est alors observé non comme une œuvre d'art, mais comme un produit, une image-objet dont les significations ne sont pas seulement cinématographiques 7 (d'une manière plus générale, on peut affirmer que la science-fiction au cinéma apparaît comme produit et représentant d'une temporalité et de ses contradictions 8 ). Puisque analyser c’est décrire la façon dont le film montre et dit 9 , nous allons dans un premier temps essayer de mettre en évidence la structure du film et son organisation (son sens explicite), puis nous tenterons de comprendre comment les spectateurs de l'époque, en fonction des tensions dans lesquelles ils vivaient à la fin des années soixante, ont pu se reconnaître, se projeter dans ce message, par-delà les frontières. Si le cinéma est une technique de l'imaginaire, il correspond aussi à une époque historique marquée par des contradictions auxquelles le film peut apporter une réponse symbolique. L'analyse qui va suivre constitue une grille de lecture possible, une proposition parmi d'autres : en effet, 2001 reste le seul film, peut-être, qui ait déjà été décrypté image par image, seconde par seconde 10 . De très nombreuses analyses ont approfondi (et avec quel talent !) des problématiques présentes elles aussi dans le film (la vie extra-terrestre / Dieu / la quête de soi / la naissance de l’outil / le langage / le corps et le regard / les machines pensantes / les individus et les institutions / la folie / le temps et l'espace / la civilisation et la cruauté / la Mort, etc.). Mais la fascination exercée par le film reste intacte (J'ai visionné et disséqué les film:s de Kubrick bien des fois; pourtant, chaque fois que je revois 2001, j'y découvre invariablement un niveau qui ne m'était pas encore apparu 11 ). Nous tenterons ici une approche socio-historique qui n'a été évoquée que très rarement. La tâche, périlleuse, impose l’humilité :s’attaquer à un film au récit complexe et/ou énigmatique comme 2001, c’est certainement en partie désirer (se) prouver qu’on peut « en venir à bout », le « réduire », avoir intellectuellement prise sur lui peut-être pour expliquer la fascination qu’il exerce 12 . Cette nécessaire mise en garde rappelée, il est temps d’aborder maintenant cet opéra de la condition 1 humaine 13 , ce secret révélé dans un mystère noir et géométrique 4 . Entamons cette analyse, en gardant à l'esprit que 2001 parle autant de l'époque qui l'a vu naître que du futur 15 . 5 Pollack, Sydney Kubrick, l'homme qui savait tout Cahiers du cinéma n°539 octobre 1999. 6 Kubrick, Stanley interview accordée à Play Boy 1968. 7 Ferro, Marc Cinéma et histoire Denoël Gonthier - 1977 8 Riche, Daniel citation extraite de Regards sur la science-fiction les cahiers de la cinémathèque n°44 - 1985 9 Jullier, Laurent L’analyse des séquences Armand Colin cinéma 2007. 10 Giuliani, Pierre Stanley Kubrick Rivages Cinéma 1990. 11 Scorsese, Martin réaction à la mort de Stanley Kubrick Cahiers du Cinéma n°534 Avril 1999. 12 Aumont, Jacques Marie, Michel L’analyse des films Nathan 1988. 13 Kubrick, les yeux grands ouverts L'express 11/03/1999. 14 Stanley Kubrick, le cinéma et rien d'autre Politis n° 539 11/03/1999. 15 Bizony, Pierre 2001, le futur selon Kubrick Cahiers du Cinéma 2000.