Rencontre de Beyrouth, 1988 - article ; n°1 ; vol.43, pg 81-95
16 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
16 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1990 - Volume 43 - Numéro 1 - Pages 81-95
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mona Takieddine-Amiouny
Jeanie Makdissi
Joseph Moughaïzel
Laure Moughaïzel
Raja Nehmé
Fouad Amiouny
Ilham Kallab-Bissat
Nazik Saba Yared
Nada Nasr
Sami Nasr
Evelyne Accad
Françoise Collin
Rencontre de Beyrouth, 1988
In: Les Cahiers du GRIF, N. 43-44, 1990. Liban. pp. 81-95.
Citer ce document / Cite this document :
Takieddine-Amiouny Mona, Makdissi Jeanie, Moughaïzel Joseph, Moughaïzel Laure, Nehmé Raja, Amiouny Fouad, Kallab-
Bissat Ilham, Saba Yared Nazik, Nasr Nada, Nasr Sami, Accad Evelyne, Collin Françoise. Rencontre de Beyrouth, 1988. In: Les
Cahiers du GRIF, N. 43-44, 1990. Liban. pp. 81-95.
doi : 10.3406/grif.1990.1826
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1990_num_43_1_1826,
Rencontre de Beyrouth (1988)
Cette rencontre a été réalisée à l'initiative de Mona Amiouny-Takieddine
Jeanie Makdissi : Durant l'invasion israélienne, il n'était plus question que
de survie, et ce sont les femmes qui assuraient le mécanisme de la survie :
trouver à manger, etc. L'adaptation à la guerre, c'était les femmes qui l'assu
maient. Quand la guerre sera terminée, je ne sais pas ce que les femmes vont
demander : ce pourrait être le début d'un mouvement très important. Il y a
beaucoup de choses qui se sont passées dans les familles à cause de la guerre
(divorces et autres). On voit des femmes, par exemple chez nous à l'Univers
ité, qui sont beaucoup plus courageuses que les hommes, dans leurs relations
avec les miliciens. Regardez par exemple Nazik ou moi ou une autre, on criera
à un milicien : « Retirez-vous d'ici ! » Elles n'ont pas peur, car il y a la ques
tion de l'honneur. Elles ont acquis un pouvoir par la guerre.
Joseph Moughaïzel : Je ne crois pas que ce que vous dites soit le signe d'un
changement profond. Même avant la guerre, une femme pouvait gifler un
homme, pour lui dire qu'elle en avait marre. Ça a toujours été comme ça. n ne
faut pas déduire de cette autorité apparente, un changement de murs pu de
valeurs relationnelles.
Laure Moughaïzel : Quand on dit que les femmes ont eu plus de courage, je
ne pense pas que ce soit vrai, parce que nous savions d'avance que nos rela
tions avec le milicien d'en face allaient être faciles, souvent quand nous avons
été enlevés, ils disaient à la femme de continuer son chemin. C'est arrivé deux
fois avec Joseph et moi, nous avons été enlevés deux fois, et les deux fois, ils
m'ont dit de continuer. Alors bien sûr que je n'ai pas continué, et je les ai
insultés, mais ce n'était pas parce que j'étais plus courageuse qu'eux. Et je
pense qu'en général, en ce qui concerne les enlèvements et les actes de guerre,
les femmes ont été épargnées. Maintenant, en ce qui concerne le pourquoi,
c'est autre chose. Mais je crains de voir se répéter la guerre d'Algérie à
laquelle les femmes ont courageusement participé avec les hommes ; je ne 81 crois pas qu'elles aient été gâtées après par la Constitution qui est venue éta
blir l'Algérie libre et indépendante.
Mona Takieddine-Amiouny : Je voudrais ajouter quelque chose : ma grand-
mère a élevé ses enfants dans un moment de crise quand mon grand-père, au
lieu d'être condamné à mort par les Turcs a été exilé. Donc dans les moments
de crise, peut-être que traditionnellement les femmes prennent les choses en
main. Je ne sais pas si c'est nouveau. Mais moi aussi dans cette guerre je me
sentais protégée du fait que je suis femme et de mon âge. Je ne voulais même
pas que Fouad et mon fils sortent Et je le faisais moi, car je me sentais proté
gée à cause des attitudes traditionnelles.
Raja Nehmé : Pour moi il y a eu des pas en avant et des régressions. On ne
peut pas comparer le Liban avec l'Algérie. Une fois j'étais au Ministère de
l'Éducation et il y avait des jeunes femmes voilées, avec le tchador, mais elles
se comportaient comme si elles portaient le jean et pas le tchador. Elles se
libéraient à travers ce tchador. Ma mère était voilée dans le temps. Elle parlait
à voix basse. Mais les voyant, ces jeunes filles là, pleines de courage, riant, je
me suis dit : le voile, c'est une force. Je vis avec des femmes voilées. Elles
sont beaucoup plus libres que moi. Elles sont dans le pouvoir. Elles sont dans
les partis. Elles travaillent, comme nous dans le temps, quand nous étions dans
le travail collectif et les partis...
Françoise Collin : Et vous êtes sûre qu'elles ne sont pas simplement manipul
ées par les partis ?
Raja : Il y a toujours une partie qui est manipulée, des hommes aussi dans ce
sens. Mais individuellement, non, pas du tout, croyez-moi.
Françoise : Parce que j'ai été frappée à la conférence des femmes de Nairobi
par un groupe d'Iraniennes voilées, toutes en noir. Et c'est vrai qu'elles
avaient un peu de ce que vous dites, une espèce de liberté, de rires. Mais
n'empêche qu'à la conférence, elles étaient encadrées par des hommes et que
pour toutes les positions qu'elles devaient prendre, elles les consultaient Et je
me suis posé la question que vous évoquez ici.
Raja : Je ne dis pas qu'il y a un progrès mais pas non plus une régression.
C'est une autre forme... Ce voile, ce n'est pas le même voile que ma mère port
ait. Elle, elle était à l'intérieur, ces femmes-là ne sont pas à l'intérieur. Main-
82 tenant ce qui a changé, on ne peut pas le savoir encore. Jeanie : Je crois qu'il y a quelque chose qui a changé. J'avais une élève qui
est allée à une manifestation sur la rue Hamra, et j'ai entendu que son ami lui
a dit que si elle voulait aller avec lui elle devait se voiler (« tithajab »). Elle
lui a dit : « Je veux participer et je porterai donc le voile. » C'était pour elle
une façon de participer politiquement. Alors, le tchador c'est quelque chose
de très compliqué.
Il ham Kallab : C'est quelque chose de très compliqué, car moi aussi j'ai des
étudiantes à l'université qui se voilent, et je sens cette inadéquation entre le
corps et la parole. Mais je sens une certaine liberté venue de leur apparte
nance, parce qu'elles sont les plus fortes, elles ont leurs lettres de créance.
Mona : Mais s'il s'agissait ici d'autre chose que de manifestations, s'il s'agis
sait de tomber amoureuse ou de mariage, ou de faire des choix existentiels,
qu'est-ce qu'elles choisiraient ? C'est une chose de défiler dans la rue, c'en est
une autre de choisir son compagnon, de ne pas se marier, etc.
Laure : Parmi ces femmes dont tu parles, Ilham, il y a une sélection. Ce sont
déjà des étudiantes qui sont à l'Université, donc cette liberté du corps et de la
parole n'est pas attribuable seulement au voile. J'aimerais ajouter que moi,
toute féministe que je suis, je ne peux pas perdre de vue qu'une régression
humaine, sur le plan des valeurs, ne peut être qu'une régression pour les
femmes. Et je pense que toute régression humaine est une régression des
femmes aussi. J'aimerais toujours me rappeler et rappeler au monde cette
chose indissociable de l'humain et du féminin, et que la condition des femmes
est intégrée dans la dimension de l'humain. Et je dirais que ça ne m'intéresser
ait pas, toute féministe que je sois, un petit pas en avant des femmes sur les
débris de la démocratie en général, de la liberté.
Ilham : Moi je voudrais aussi ajouter que cette liberté n'apporte rien à la
condition de la femme, parce que la femme est déjà considérée comme un
objet sexuel, elle est cachée au lieu d'être visible mais c'est pour montrer que
là il y a quelque chose qui est « muharram » (défendu, qu'on ne doit pas tou
cher). J'ai une étudiante qui fait architecture, mais elle est toujours voilée, elle
dessine, elle écrit avec des gants noirs. Elle ne reste jamais à côté de ses
copains, les garçons qui sont dans la classe. Ce sont des contradictions
incroyables. Si le jour où ces femmes quittent le voile, elles continuent de gar
der confiance en elles, ce sera un progrès dans la liberté.
83 Jeanie : J'étais en Amérique pendant la guerre du Viêt-nam. Il y avait une
crise. Les hommes sont partis à la guerre, ils ont laissé les femmes et les
enfants de

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents