Rousseau, Sorel et la Révolution française - article ; n°1 ; vol.3, pg 5-15
12 pages
Français

Rousseau, Sorel et la Révolution française - article ; n°1 ; vol.3, pg 5-15

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
12 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Cahiers Georges Sorel - Année 1985 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 5-15
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 12
Langue Français

Extrait

Jacques Julliard
Rousseau, Sorel et la Révolution française
In: Cahiers Georges Sorel, N°3, 1985. pp. 5-15.
Citer ce document / Cite this document :
Julliard Jacques. Rousseau, Sorel et la Révolution française. In: Cahiers Georges Sorel, N°3, 1985. pp. 5-15.
doi : 10.3406/mcm.1985.899
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_0755-8287_1985_num_3_1_899ETUDES
Rousseau, Sorel
et la Révolution française
JACQUES JULLIARD
Rousseau et Marx : il n'est pas, depuis le XIXe siècle,
d'œuvre un peu importante qui puisse échapper à la confrontation
avec les deux grands juges de paix de la pensée politique,
plantés comme des colonnes jumelles au seuil de notre modern
ité. Sorel ne fait pas exception. Toute sa vie, il s'est interrogé
sur Marx, et plus encore sur le statut du marxisme,
dans l'ordre de la pensée comme dans celui de l'action. Le
livre de Shlomo Sand1, les actes du colloque Sorel (1982)
qui viennent d'être publiés 2, ainsi que plusieurs articles déjà
parus dans les présents Cahiers 3 ont renouvelé la question, en
démontrant la place originale de Sorel dans une marxographie
française plutôt pauvre et dépourvue d'imagination.
Mais Rousseau ? Certes, il n'est pas omniprésent chez Sorel
à la manière de Marx ; il y figure plutôt à l'état de traces ; mais
de traces continues qui, plutôt qu'à la longueur des citations,
se doivent mesurer à l'importance que revêt chez l'auteur des
1. L'Illusion du politique, Georges Sorel et le débat intel
lectuel 1900, Paris, La Découverte, 1985.
2. Georges Sorel en son temps, sous la direction de Jacques
Julliard et Shlomo Sand, Paris, Le Seuil, 1985.
3. Maximilien Rtibel : « Georges Sorel et l'achèvement de
l'œuvre de Marx », Cahiers n° 1, 1983, pp. 9-36 ;
Yves Guchet : « Georges Sorel marxiste ? », Cahiers n° 2, 1984,
pp. 37-56. la question des rapports entre la lutte des classes Réflexions,
et la démocratie.
Mais d'abord, quelle idée d'ensemble Sorel avait-il de
Rousseau? Nous le savons grâce à un long compte rendu
(vingt-cinq pages) qu'il publie en 1907 dans le Mouvement
socialiste du Jean-Jacques Rousseau de Jules Lemaître, qui
vient de paraître4. Sorel juge sévèrement la sévérité de
Lemaître à l'égard de Jean-Jacques. Elle est, pour lui, la
marque d'un petit esprit, mondain, coquet, dépourvu de courage
et d'originalité ; « singe de Renan », il réduit Rousseau à sa
psychologie, ce qui est l'expédient ordinaire des « auteurs
embarrassés, dépourvus d'idées mais désireux de paraître pro
fonds » 6. Or Rousseau est un « génie », Sorel le répète à deux
reprises ; il est celui « qui a le plus fortement marqué de son
empreinte notre littérature depuis Corneille » 6 ; donc génie
littéraire avant tout, qui a introduit dans nos lettres une sensi
bilité nouvelle, qui sera ultérieurement qualifiée de « romant
ique » : « Avec Rousseau, nous assistons à la naissance de la
littérature tendre des romantiques 7. » Non qu'il soit responsable
de sa double postérité, littéraire et politique. Entre lui et ses
« prétendus disciples » romantiques, il y a « la ruine des
anciennes institutions, la perte des illusions qu'avaient formées
les gens éclairés, l'expérience de l'extrême fragilité de la nouvelle
société » 8. La littérature nostalgique et, à bien des égards, réac
tionnaire de 1830, a pour excuse l'expérience de la révolution.
Jules Lemaître a donc bien tort d'identifier, à l'exemple de
Charles Maurras, romantisme et révolution : ils sont aux ant
ipodes, constate justement Sorel, qui note que le rôle spécifique
de Rousseau fut de rompre avec la tradition du xvnr siècle,
c'est-à-dire en somme avec le rationalisme encyclopédiste.
Il ne serait pas plus équitable de faire de la Révolution la fille
légitime du Contrat social. En dépit d'emprunts de vocabulaire
(souveraineté populaire, volonté générale), ce serait même un
contresens grossier, car le jacobinisme symbolise ce que Rous-
4. « Jean-Jacques Rousseau », Le Mouvement socialiste, juin
1907, pp. 507-532.
5. Ibid., p. 509.
6.p. 508. A la fin de l'article (p. 527) il réaffirme encore
le génie de Rousseau.
7. Ibid.
8. Ibid., p. 520. seau détestait le plus : le détournement de la volonté générale
par une poignée d'hommes organisés : parti, faction, club, c'est
tout un.
Ecrivain de génie, qui forge une nouvelle sensibilité, Rousseau
est-il pour autant un auteur original ? Non, répond intrépidement
Sorel. Emporté par son éloquence, une éloquence moins maîtri
sée que celle de Bossuet, à qui il est légitime de le comparer,
moins soumise aux exigences de la raison, Rousseau a beaucoup
emprunté aux idées de son temps ; il « cherchait à dire ce qui
lui paraissait le mieux convenir à son talent » 9. Il ne faudrait
pas, par exemple, prendre trop au sérieux ses déclamations
contre la société moderne, les sciences et les arts : ce sont
avant tout des morceaux de bravoure. De même, le Contrat
social n'est pas une œuvre originale ; elle est inspirée par des
exemples qui sont présents à l'esprit de ses contemporains, celui
des communes du Moyen Age ou les « pactes d'établissement >
des premières colonies puritaines aux Etats-Unis.
Alors qui était donc Jean-Jacques Rousseau? A coup sûr,
il n'a rien à voir avec le fou qu'avait dessiné Brunetière. Ses
incohérences, ses bizarreries, sa manie de persécution s'expl
iquent aisément par la maladie génito-urinaire et la « demi-
impuissance » dont il souffrait : d'où ce curieux mélange :
« timidité, absence de volonté, soumission servile aux
impulsions de l'entourage que traversaient des révoltes
souvent provoquées par des chimères ; goût pour la soli
tude, misanthropie, terreur des complots, qui s'alliaient
avec un vif désir de s'imposer au monde par son génie;
dissimulation, sensibilité ridicule et examen cynique de la
conscience qui formaient un contraste étrange avec les
sentiments les plus nobles ».
Pour un agnostique de la psychologie, voilà un tableau plutôt
foisonnant... Il est vrai que l'explication, nous l'avons vu, est
physiologique. A quoi, il faut ajouter l'influence fâcheuse de
Thérèse 10, et les origines sociales. Rousseau n'est pas un par-
9. Ibid., p. 518.
10. C'est par opposition à Thérèse et en pensant à sa propre
compagne que Sorel écrit la phrase fameuse : « Heureux l'homme
qui a rencontré la femme dévouée, énergique et fière de son
amour, qui lui rendra toujours présente sa jeunesse, qui empê- comme les Encyclopédistes, c'est un « ouvrier déclassé > venu,
qui se commet avec l'aristocratie et qui écrit pour elle. Cet
argument prend une tonalité profondément proudhonienne sous
la plume de Sorel, qui conclut : « nous mettons le prolétariat
en garde contre une admiration trop naïve des modes qui
viennent d'en haut > n.
Voilà donc pour l'homme Rousseau, et pour l'écrivain. Le
jugement de Sorel est, comme on le voit, un mélange d'admirat
ion pour un génie littéraire, de sévérité pour un caractère par
trop contradictoire et de défiance pour une sensibilité jugée
maladive. Mais le philosophe ? Sur lui, le jugement est beaucoup
moins équilibré et le bilan franchement négatif.
Le Contrai social ? Ce livre, est-il dit dans les Illusions du
progrès, est un « chef-d'œuvre d'exposition et d'obscurité » 12.
Pour l'essentiel, c'est la doctrine de Locke, alimentée par l'asso-
ciationnisme des compagnons et des petits-bourgeois des villes,
des sectes protestantes « qui cherchaient à former des petits
Etats dans l'Etat » et des sociétés par action à but lucratif.
Alors que les Physiocrates substituaient le système fiscal à
l'aliénation des personnes contenue dans la féodalité, Rousseau
faisait au contraire revivre cette dernière en fondant le contrat
sur « l'aliénation de chaque associé avec to

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents