Saint-Yves-de-Vérité - article ; n°1 ; vol.25, pg 20-46

P. Hémon

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Annales de Bretagne - Année 1909 - Volume 25 - Numéro 1 - Pages 20-46
27 pages

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• Publié par: ANNALES_DE_BRETAGNE
• Publié le: 01 janvier 1909
• Nombre de lectures: 43
• Langue: Français
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Extrait

P. Hémon
Saint-Yves-de-Vérité
In: Annales de Bretagne. Tome 25, numéro 1, 1909. pp. 20-46.
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Hémon P. Saint-Yves-de-Vérité. In: Annales de Bretagne. Tome 25, numéro 1, 1909. pp. 20-46.
doi : 10.3406/abpo.1909.1320
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1909_num_25_1_1320P. HÉJ10N
SAÏNT-YVÉS-DE-VÊRITÉ
M. Emile Souvestre écrivait, . en 1836, clans Les derniers
Bretons :
« Le Celte, avant sa conversion, avait un autel. élevé à la Haine...
Il songea à conserver son culte... et l'on vit s'élever des chapelles
sous l'étrange invocation de Notre-Dame-de-la-Haine...
Une chapelle dédiée à Notre-Dame de la Haine existe toujours près
de Tréguier, et le peuple n'a pas cessé de croire à la puissance des
prières qui y sont faites. Parfois encore, vers le soir, on voit des
ombres honteuses se glisser furtivement vers ce triste édifice placé
au haut d'une colline sans verdure. Les âmes fielleuses que minent
l'insoumission, la révolte, la jalousie, la soif de despotisme ou de
vengeance; vont Jà « prier pour la mort de l'objet de leur haine. »
Trois Ave, dévotement répétés, amènent irrévocablement cette mort
dans l'année (i) ».
Ce passage n'avait d'abord donné lieu à aucune critique,
quand, il y a cinquante ans, un écrivain aussi admiré pour
la lumineuse clarté de son style, que redouté pour, la brutalité
voulue de ses polémiques, M. Louis Veuiîlot, voyageant en
Bretagne, s'arrêta quelques jours à Tréguier, chez celui que,
dans Çà et là, il appelle familièrement « l'ami Gustave® ».
Nous avons réussi, sans trop de peine, à percer l'anonymat
de « l'ami Gustave », qui se nommait en réalité M. Gustave-
Louis^Jean-Marie Le Borgne de la Tour. C'était un person
nage assez connu de la région. Député, sinon officiel, du
(1) T. I, p. 263.
(2) L. Veuillot, Çà et là. Paris, Gaume et Dupré, 2 vol. in-12, 1859 (Voir
au t. II, livre XIV, Contes et paysages bretons, p. 339)> AINT-YTES-DE- VÉRITÉ. 21 S
moins agréable, il y représentait la 4e circonscription des
Côtes-du-Nord (Lannion), avec assez d'indépendance pour
être le collaborateur de M. L. Veuillot h'YUnivvrs, une
feuille qui allait bientôt être supprimée par la censure impér
iale. Quelqu'un a dit plaisamment, et aussi un peu mé
chamment, à propos de ce député breton : -
« Quand il se levait pour perler, — ce qui lui arrivait trop souvent,
— la majorité s'égrenait peu à peu du côté de la buvette. Il était
surnommé La Tour, prends-garde ! Il rééditait les lamentations de
Jérérnie sur une tonalité de faux-bourdon (U../ »
Or, à Tréguier, M. de la Tour fut non seulement l'hôte,
mais aussi le guide de son rédacteur en chef, et il ne nous
paraît pas qu'il l'ait toujours supérieurement documenté, si
l'on en juge par les passages de Çà et là, relatifs au pays
qu'ils visitèrent ensemble.
M. L. Veuillot écrit par exemple (*> :
« J'ai prié qu'on m'indiquât dans les environs de Tréguier la eha-
pelle de Notre-Dame~de-la-Haine, où, d'après le sieur Emile Sou-
vestre, les bons catholiques vont brûler des cierges pour obtenir la
mort des ennemis dont ils veulent se défaire et des parents dont ils
sont pressés d'hériter. Elle n'est point connue. Le sieur Souvestre,
qui a découvert cette chapelle, n'en a point fixé la latitude, et les
Trécorrois la cherchent encore. Le sieur Souvestre a emporté son
secret dans le paradis de Calvin. »
Hé ! non ! « Le sieur Emile Souvestre » n'a emporté aucun
secret ! Il a seulement fait une petite confusion. Ce n'est pas
à une Notre-Dame, c'est à saint Yves que la chapelle de la
Haine était dédiée.
Quand Souvestre écrivait ces lignes, la petite chapelle de
Saint-Yves, placée à Porz-Bihan (le Petit-Port), en Trédarzec,
sur la berge du Jaudy, en face de Tréguier, pouvait être
(1) Dict. des Parlementaires. V. Tour (Le Borgne de la).
(2) Nous écrivons ici « par exemple », parce qu'il nous serait facile de
relever d'autres récits plus fantaisistes encore du même ouvrage, notam
ment Fhrstoire de Taupin, à laquelle nous ravons déjà répondu dans la
Légende de Le Roux de Chef du Bois (V. Annales de Bretagne, 18Ô8-1899). ;
22 S AINT-YVES-DE- VÉRITÉ.
vue de tous ses habitants, et pas un d'eux, (sauf le cicérone
de M. L. Veuillot), n'ignorait sans doute les pratiques monst
rueuses dont "ce sanctuaire hétérodoxe était témoin. Il est
facile de multiplier les preuves à ce sujet. Toutefois, avant
de passer en revue les ouvrages des principaux auteurs,
historiens, érudits ou poètes, qui ont parlé de cette singulière
dévotion, constatons d'abord qu'elle ne paraît pas être de
date ancienne et que nous avons quelques raisons de la croire
postérieure à la Révolution.
Sur des états de 1790 et 1791, l'édicule est appelé indiff
éremment Saint-Yves-de-Trédarzec, Saint-Yves-du-Port ou
Saint-Yves-du-Pëtit-Port.
A la date du 18 février 1792, on trouve aux Archives des
Côtes-du-Nord une délibération du: Corps municipal de Tré-
darzec, qui, répondant au district de Pontrieux, émet le vœu :
1° que quatre des chapelles de la commune, Saint-Votrum,
Saint-Nicolas, Sainte-Marguerite et Notre-Dame-de-Traou-
meur demeurent ouvertes ; 2° que les trois autres, Saint-
Lévias, la Ghapelle-du-Bois-du-Garpont et Saint-Yvvs-du-
Petit-Pbrt restent fermées, attendu qu'elles sont sans usage
et dépourvues de tout ornement. Le Conseil nomma cepen
dant deux commissaires, chargés de recueillir ce que les cha
pelles fermées pouvaient contenir et de veiller à ce que leurs
ouvertures fussent patefichées. Il paraît que plusieurs de ces
chapelles, Saint-Yves notamment, se trouvèrent posséder
un certain mobilier, ornements, linge, relatifs au culte, qui
furent transportés au bourg et déposés au presbytère ou à
l'église paroissiale. C'est ce qui résulte d'un inventaire du
25 floréal an II (14 mai 1794) u).
Lors du Concordat, la chapelle Saint-Yves ne figura pas
sur l'Etat général des édifices consacrés au culte, dont
l'évêque, Mgr Caffarelli, demanda la remise et la libre dispo
sition.
(1) Arch. des, Côtes-du-Nord. — Cette pièce n'est postérieure que de dix
jours au pillage de la cathédrale de Trégitier, qui fut tellement souillée et
dévastée qu'on dut installer provisoirement le culte de la Raison dans une
chapelle de la ville. saint-yvestDE-vérité. 23
En 1832, c'est-à-dire quatre ans avant que M. Souvestre eût
fait paraître Les Derniers Bretons, M. Habasque, président
du tribunal de Saint-Brieuc, écrivait dans ses Notices histo
riques du département des Côtes-du-Nord, ouvrage encouragé
par des subventions du Conseil général et de la Société
d'Agriculture, Arts et Commerce de Saint-Brieuc :
« La confiance dans la justice et l'équité de saint Yves est telle
que, encore aujourd'hui, dans plusieurs cantons des Gôtes-du-Nord,
lorsqu'un débiteur de mauvaise foi nie l'argent qu'on lui a prêté,
qu'un homme nie le dépôt qu'on lui a fait, quand quelqu'un outre à
tort le serment pour se libérer ainsi d'une somme qu'il doit, on
entend les paysans dire : « II en sera puni, et je vais porter vingt sols
à un prêtre pour qu'il dise une messe à Saint Yves de Vérité », per
suadés qu'ils sont que le débiteur de mauvaise foi, que le dépositaire
infidèle doivent mourir dans l'année où cette messe a été dite; mais
ce qui doit surprendre davantage, c'est qu'il se trouve, dit-on, des
prêtres pour célébrer cette messe. Quant à moi, j'avoue que j'ai
quelque peine à le croire d). »
Quelques années après, en 1835, M. de Fréminville, signal
ait Saint-Yves-de-V érité dans ses Antiquités de la Bretagne
(Côtes-du-Nord).
En 1845, notre doux poète, Brizeux, décrivait longuement
la chapelle