Assemblée générale de l’Association française d’étude de la  concurrence, Paris, 10 avril 2008
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Bruno Lasserre Président du Conseil de la concurrence La non contestation des griefs en droit français de la concurrence : bilan et perspectives d’un outil pionnier Paris, Assemblée générale de l’Association française d’étude de la concurrence, 10 avril 2008 I. Introduction La non contestation des griefs a été introduite en droit français de la concurrence par la loi 1n° 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques . Cet outil, d’un genre nouveau à l’époque de sa conception (1), a aujourd’hui trouvé toute sa place dans notre droit (2), qu’il a contribué à rendre plus négocié (3). A. Un outil novateur La non contestation des griefs a fait irruption dans notre droit de manière relativement originale, et cela pour au moins trois raisons. Tout d’abord, il n’était pas possible à l’époque de tirer les enseignements d’une expérience étrangère vraiment transposable. Premièrement, le droit communautaire de la concurrence n’avait pas encore achevé sa modernisation et Bruxelles pouvait difficilement constituer un point de repère en la matière, dans la mesure où le système communautaire, encore orienté par l’obligation de notification préalable des accords, était plus éloigné du système français qu’il ne l’est aujourd’hui. Deuxièmement, l’homogénéité des politiques et des outils de la régulation de la concurrence en Europe était encore bien moindre que ce qu’elle est devenue aujourd’hui grâce au ...

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R ÉPUBLIQUE  F RANÇAISE  
 Bruno Lasserre Président du Conseil de la concurrence  La non contestation des griefs en droit français de la concurrence : bilan et perspectives d’un outil pionnier  Paris, Assemblée générale de l’Association française d’étude de la concurrence, 10 avril 2008   
  I. Introduction  La non contestation des griefs a été introduite en droit français de la concurrence par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques 1 . Cet outil, d’un genre nouveau à l’époque de sa conception (1), a aujourd’hui trouvé toute sa place dans notre droit (2), qu’il a contribué à rendre plus négocié (3).   A. Un outil novateur  La non contestation des griefs a fait irruption dans notre droit de manière relativement originale, et cela pour au moins trois raisons.  Tout d’abord, il n’était pas possible à l’époque de tirer les enseignements d’une expérience étrangère vraiment transposable. Premièrement, le droit communautaire de la concurrence n’avait pas encore achevé sa modernisation et Bruxelles pouvait difficilement constituer un point de repère en la matière, dans la mesure où le système communautaire, encore orienté par l’obligation de notification préalable des accords, était plus éloigné du système français qu’il ne l’est aujourd’hui. Deuxièmement, l’homogénéité des politiques et des outils de la régulation de la concurrence en Europe était encore bien moindre que ce qu’elle est devenue aujourd’hui grâce au réseau européen de concurrence (ci-après le « REC »). Troisièmement, l’expérience américaine était et reste caractérisée par une conception très différence du « plea bargaining » et du « plea guilty ». Schématiquement, deux conceptions très différentes de la « transaction » existent de part et d’autre de l’Atlantique : d’un côté, le « settlement » fait office d’outil de détection des pratiques anticoncurrentielles venant en second rang derrière la clémence, et permet de négocier à peu près tout, des poursuites aux infractions, en passant par certains droits de procédure et le droit de recours ; de l’autre, la « non contestation des griefs » sert à accélérer la procédure administrative, et conduit à négocier les sanctions.  Ensuite, les consultations publiques, qui permettent d’associer les « utilisateurs » à la mise en place de la norme, en recueillant leur opinion dans le cadre de sa préparation, étaient encore extrêmement rares, à Paris du moins. La conception de la non contestation des griefs n’a donc pas pu bénéficier du dialogue avec les différentes personnes appelées à participer à la mise en                                                  1 JO 16 mai 2001, p. 7776
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œuvre de cette procédure – entreprises ou associations, bien sûr, mais aussi autorités de la concurrence. Or, l’exemple des consultations publiques effectuées depuis lors par le Conseil de la concurrence 2  (ci-après le « Conseil ») montre que ce type de démarche permet, d’une part, de mieux comprendre les « incitations » 3  des différents acteurs, ce qui est absolument nécessaire si l’on veut que la procédure fonctionne de manière optimale, et, d’autre part, de recueillir des avis très utiles pour préciser les modalités techniques des outils procéduraux prévus par le code de commerce.  Enfin, et surtout, l’instauration du mécanisme de non contestation des griefs n’a pas été précédée d’une phase d’expérimentation, qui aurait permis au Conseil de « tester » diverses options et de « théoriser » la bonne approche, comme d’autres autorités nationales de concurrence le font fréquemment et comme nous l’avons fait depuis lors en matière d’engagements : l’adoption de l’ordonnance permettant au Conseil d’accepter des engagements est intervenue en novembre 2004, mais le décret ayant fixé la procédure applicable aux engagements n’a été pris qu’en décembre 2005, le délai écoulé entre ces deux textes ayant été mis à profit pour bien « caler » les modalités de ce nouvel outil avant de les graver dans le marbre.  Finalement, l’approche retenue est donc restée assez « française », en ce sens qu’elle a conduit à penser une norme nouvelle et à légiférer avant d’expérimenter, de voir ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas, et d’adapter le texte en conséquence.   B. Un outil attractif  Le temps écoulé depuis lors a été marqué par trois périodes.  La non contestation des griefs a, dans un premier temps, connu une croissance rapide, d’un point de vue tant quantitatif (2 décisions en 2003 ; deux fois plus en 2004) que qualitatif. Cette période a été marquée, notamment, par des précisions tenant à la définition de la notion de non contestation (englobant à la fois les faits, leur qualification juridique et la responsabilité des auteurs de l’infraction), à l’économie de la procédure et au mode de calcul de la réduction d’amende. Indépendamment de cette décantation des données intrinsèques de la procédure, le Conseil s’est préoccupé d’asseoir sa place dans sa boîte à outils, autrement dit de préciser les mérites et les avantages de la non contestation par rapport à d’autres procédures, telles que la procédure simplifiée et la clémence. A l’occasion, il a également pu faire jouer à la non contestation des griefs un rôle qui n’était pas tout à fait le sien, dans l’attente de la mise en place du programme de clémence 4 et de la procédure d’engagements 5 .
                                                 2  Dont les résultats sont accessibles sur des pages dédiées du site Internet du Conseil : http://www.conseil-concurrence.fr/user/standard.php?id_rub=223 et http://www.conseil-concurrence.fr/user/standard.php?id_rub=259 3 Voir sur ce point Thierry Dahan, rapporteur général du Conseil de la concurrence, « Les procédures négociées : le point de vue de l’autorité », colloque Lamy, « Vingtième anniversaire du Conseil de la concurrence : quel statut et quels moyens pour les autorités de contrôle de la concurrence ? », 15 mars 2007 4  Conseil de la concurrence, décision n° 07-D-02 du 23 janvier 2007 relative à des pratiques ayant affecté l’attribution de marchés publics et privés dans le secteur de l’élimination des déchets en Seine-Maritime 5 Conseil de la concurrence, décision n° 04-D-65 du 30 novembre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par La Poste dans le cadre de son contrat commercial
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 A cette enfance heureuse a succédé, comme bien souvent, un « âge ingrat » pendant lequel la non contestation est passée au second plan, dans l’ombre tant de sa sœur jumelle, la clémence (qui a eu le vent en poupe avec la mise à jour des lignes directrices de la Commission européenne, avec la constitution d’un groupe de travail au sein du REC, dans lequel le Conseil s’est beaucoup investi, et avec l’adoption d’un programme modèle), que de sa sœur cadette, la procédure d’engagements (qui a tout de suite trouvé ses marques). C’est pourquoi, il y a un an et demi, beaucoup ne donnaient pas cher de l’avenir de la non contestation, qui n’avait, en tout cas, donné lieu qu’à une seule décision en 2006, alors même qu’elle suscitait un intérêt intellectuel très clair chez les autorités de concurrence étrangères dépourvues d’un tel outil, telles que la NMa néerlandaise ou la Commission de la concurrence suisse, auxquelles le Conseil a rendu visite cette année-là.  Mais cette autre histoire des Trois sœurs se termine bien pour la non contestation des griefs, puisque l’année 2007, dont les évolutions notables ont déjà été retracées ailleurs 6 , témoigne d’un renversement de tendance très clair, et donc d’une troisième étape. La non contestation fait en effet l’objet d’un retour en grâce, auquel l’assemblée générale de l’AFEC d’aujourd’hui contribuera pleinement. Il n’est pas seulement question de faire un bilan de cette procédure, mais aussi d’évoquer ses perspectives, qui s’annoncent sous de bons auspices.  Ce constat n’est pas seulement quantitatif (7 décisions faisant application de la procédure de non contestation en 2007, et représentant 25 % des décisions de sanction rendues la même année), mais aussi, et peut-être surtout, qualitatif. Le Conseil est entré dans une période de réflexion plus sophistiquée, où la question n’est plus « que fait-on ? » ou « comment fonctionne ce nouvel outil ? », mais « que veut-on en faire ? » ou « comment maximiser sa value ajoutée ? ». Ce questionnement implique de réfléchir à trois éléments : 1) les objectifs assignés à la procédure ; 2) les signaux donnés aux acteurs à cet égard, et 3) les incitations mise en place pour orienter les comportements en ce sens.  Les raisons pour lesquelles la non contestation redevient un sujet d’actualité, un « sujet chaud » dont on parle dans les conférences et les colloques qui sont au droit de la concurrence du XXI ème  siècle ce que les salons étaient à la philosophie du XVIII ème  siècle, sont de plusieurs ordres. Deux d’entre elles méritent une mention particulière.  En premier lieu, le Conseil a « calé » la procédure et commence désormais à être confronté à des questions de « réglage fin ». On peut penser, par exemple, au point de savoir quels sont les cas dans lesquels il est plus opportun de s’orienter vers la non contestation des griefs : s’agit-il des affaires dans lesquelles le dossier est solide et où le Conseil négocie en position de force, c’est-à-dire celles où il est a priori contre-intuitif d’accorder des réductions d’amende, où de celles dans lesquelles le dossier est plus risqué et où la transaction permet de sécuriser un résultat « de second rang », c’est-à-dire celles dans lesquelles il est a priori contre-intuitif que l’entreprise accepte de s’asseoir à la table des négociations ? Mais d’autres questions de posent, en particulier celle des moyens d’inciter toutes les entreprises à renoncer à contester les griefs, afin de maximiser les gains procéduraux de l’autorité.  
                                                 6  Voir sur ce point Fabien Zivy, chef du service du président du Conseil de la concurrence, « La procédure de non contestation des griefs en droit français de la concurrence : chronique d’un retour en force », Revue juridique de l’économie publique, mars 2008
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Et cette source de questions nouvelles ne semble pas devoir se tarir. On voit, derrière ces interrogations, commencer à poindre des problématiques « de troisième génération », c’est-à-dire celles sur lesquelles le code de commerce semblait apporter une réponse ne souffrant pas de discussion, mais qui, à l’usage, méritent qu’on y réfléchisse à deux fois. C’est par exemple le cas de la question, déjà évoquée avec l’AFEC en octobre 2007, du moment se prêtant le mieux à la non contestation des griefs, sur laquelle je reviendrai tout à l’heure.  En second lieu, la non contestation bénéficie d’échanges croissants entre autorités de la concurrence. Une table ronde de l’OCDE y a été consacrée à l’automne 2006 7 . Un rapport, qui sera présenté à la conférence annuelle de l’ICN organisée à Kyoto (Japon) la semaine prochaine 8 , et auquel le Conseil a beaucoup contribué, montre bien l’essaimage des réflexions et des expériences en la matière, mais aussi les perspectives de comparaison, d’enrichissement mutuel et de « benchmarking » qu’ouvre cette diffusion. L’entrée en scène de la Commission européenne 9 s’inscrit parfaitement dans cette évolution.   C. Un outil négocié  Si la non contestation des griefs fait florès, c’est parce qu’elle constitue une révolution, en ce sens qu’elle fait intervenir une logique de négociation dans un droit jusqu’alors essentiellement prescriptif et unilatéral. Le fait de renoncer à contester les griefs notifiés permet aux entreprises d’obtenir une réduction du montant de l’amende à laquelle elles s’exposeraient en l’absence de non contestation. Il introduit donc une dose de négociation dans un droit qui n’en connaissait pas auparavant. Cette dose de négociation est plus limitée que celle qui caractérise d’autres corpus juridiques : elle concerne uniquement l’étendue de la sanction, là où d’autres droits permettent de discuter de l’existence même de la sanction, de l’infraction ou encore des garanties fondamentales de procédure que sont les droits de la défense ou le droit de recours. Mais elle est étend progressivement son emprise sur notre droit de la concurrence, comme en témoigne l’apparition de nouvelles procédures, par exemple celle permettant aux entreprises de proposer des engagements susceptibles de conduire le Conseil à clore la procédure avant toute notification des griefs, s’ils répondent à ses préoccupations de concurrence.  Cette évolution me semble toutefois avoir une limite naturelle. Le droit de la concurrence ne peut pas – et surtout ne doit pas– devenir un droit entièrement négocié ; cela ne serait du reste pas dans l’intérêt des entreprises elles-mêmes. C’est la dialectique de la contradiction qui fonde la richesse et la solidité de nos raisonnements et de nos analyses. En outre, une partie de l’attractivité des procédures alternatives et accessoires s’explique par les mérites propres de ces procédures, mais l’autre tient au caractère répulsif des sanctions infligées par le Conseil, et donc à sa politique de dissuasion. Enfin, certains aspects fondamentaux de notre droit, tels que les droits de la défense, sont intangibles et ne doivent donc pas, de mon point de vue, être « à la carte » dans le cadre de la procédure accusatoire, selon que l’on choisit de contester ou non les griefs notifiés par le Conseil.  
                                                 7 OCDE, comité de la concurrence, table ronde sur « la transaction en matière de cartels », octobre 2006 8 Réseau international de concurrence (ICN), groupe de travail « Cartels », rapport « Settlement in Cartel Cases », avril 2007 9 L’état actuel des projets de textes et les résultats de la consultation publique lancée par la Commission européenne au sujet de la « transaction directe » sont accessibles sur son site Internet : http://ec.europa.eu/comm/competition/cartels/legislation/settlements.html
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L’économie de la procédure et sa mise en place ayant fait l’objet d’une étude très complète dans le rapport annuel 2005 du Conseil 10 , je voudrais seulement revenir aujourd’hui sur deux points : les avancées récentes, d’une part, que l’on peut aborder à partir des enseignements tirés de la mise en pratique des autres outils négociés dont le Conseil dispose aujourd’hui (I), et les gains d’efficacité supplémentaires qui pourraient encore être effectués, que ce soit en modifiant le texte du code de commerce ou à droit constant (II).   I. Les avancées récentes  Les avancées récentes concernent à la fois les spécificités propres de la procédure (A) et ses « points de contact » avec les autres outils faisant intervenir une dose de négociation (B).   A. Les spécificités de la non contestation par rapport à la clémence et aux engagements  Deux éléments doivent retenir l’attention : le domaine de la non contestation d’abord (1), et son moment ensuite (2).   1. Le domaine de la non contestation des griefs  La non contestation des griefs, c’est sa principale spécificité, a un champ d’application très englobant : elle s’applique a priori à tout type de pratique, comme en atteste le bilan quantitatif qu’on peut en dresser depuis sa mise en pratique par le Conseil, en 2003. Elle a en effet concerné neuf ententes horizontales, trois ententes verticales et trois abus de position dominante.   a. L’exigence de coopération pousse naturellement à accepter les demandes de non contestation des griefs dans les affaires d’ententes  La Commission européenne s’est déclarée prête, dans son projet de « transaction directe », à faire ce choix « au sens strict », en concentrant la mise en œuvre de ce futur outil sur les cartels. Le Conseil, suivant en cela la voie ouverte par le législateur, l’a fait « au sens large », en n’excluant a priori aucun type d’entente du champ de la procédure : « en matière d’ ntente e horizontale, instantanée ou durable, la réduction de sanction est toujours possible », a-t-il rappelé en juin 2007 dans sa décision Linge 11 . Mais elle n’est évidemment pas exclue non plus dans les cas de restrictions verticales.  Après un temps d’incertitude, la procédure a ainsi été appliquée à des ententes injustifiables, comme dans la décision Câbles 12  de juillet 2007, qui concernait un appel d’offres dans le secteur des câbles de haute tension, et dans la décision Linge , où un grief d’entente horizontale visant à répartir les clients et à harmoniser les prix a par exemple été retenu à l’encontre des entreprises mises en cause. Elle a également été appliquée à un cas d’entente                                                  10 Rapport annuel 2005 du Conseil de la concurrence (pp. 135 à 143 et 173 à 174) 11 Conseil de la concurrence, décision n° 07-D-21 du 26 juin 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location-entretien de linge 12 Conseil de la concurrence, décision n° 07-D-26 du 26 juillet 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés de fourniture de câbles à haute tension
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ayant par ailleurs donné lieu à des demandes de clémence. La décision Déménageurs 13  de décembre 2007 constitue à ce jour le seul cas d’application combinée des deux procédures, le dénonciateur ayant été exonéré tandis que plusieurs autres entreprises mises en cause bénéficiaient d’une réduction d’amende de 10 %. Mais d’autres cas de ce type ne sont pas à exclure à l’avenir.   b. L’exigence de négociation pousse de son côté à recourir à la non contestation des griefs dans des affaires d’abus de position dominante lorsque c’est bénéfique au rétablissement de la concurrence  Contrairement au point précédent, il s’agit à ce stade d’une spécificité française. Quelles en sont les raisons ? Il faut, je crois, revenir aux incitations à transiger, qui sont cohérentes et qui poussent à cette solution du côté de l’autorité de la concurrence comme du côté des entreprises. La France dispose d’une solide pratique décisionnelle en matière d’abus de position dominante. Il existe donc des précédents solides, qui clarifient le droit applicable dans de nombreux cas de figure, qu’il s’agisse des questions de fond ou de la sanction encourue, et contribuent par conséquent à inciter les entreprises à renoncer à contester les griefs.  De son côté, le Conseil est naturellement conduit à faire usage de la non contestation en matière d’abus de position dominante à la fois parce qu’il est a priori facile de se mettre d’accord avec une seule entreprise et parce que la combinaison de l’obligation faite à l’entreprise de renoncer à contester les griefs et de l’obligation de présenter par ailleurs des engagements permet de trouver des solutions concrètes aux problèmes posés par son comportement sur le marché.   La décision France Telecom 14  fournit une illustration topique de l’intérêt de cette procédure en matière de comportements unilatéraux : l’affaire a débouché sur un ensemble d’engagements destinés à assurer une véritable « révolution culturelle » au sein de l’entreprise en cause, dont l’intérêt est triple : elle garantit tout d’abord un changement de comportement concurrentiel profond et immédiat ; elle contribue ensuite à diffuser en profondeur la « culture de la concurrence » parmi les cadres et les salariés de l’entreprise ; elle a enfin valeur d’exemple pour les tiers.   2. Le moment de la non contestation des griefs  Deux éléments, auxquels correspondent deux problématiques différentes, peuvent être distingués : celui du moment chronologique (a) et celui du moment « psychologique » de la procédure (b).  
                                                 13  Conseil de la concurrence, décision n° 07-D-48 du 18 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement national et international 14 Conseil de la concurrence, décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Telecom dans le secteur de l’accès à Internet haut débit
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 a. Le moment chronologique : la non contestation des griefs constitue la dernière stratégie alternative au contentieux  Un constat analogue à celui qui vient d’être fait au sujet du domaine de la procédure peut être fait en ce qui concerne son moment : la comparaison avec la clémence et avec les engagements fait ressortir la spécificité de la non contestation des griefs, qui intervient en quelque sorte en « bout de course », pour des raisons qui ne tiennent pas à sa moindre attractivité, mais au contraire à sa valeur ajoutée.  La clémence vise à accroître l’efficacité de la répression des pratiques anticoncurrentielles les plus graves, qui sont par essence secrètes, en permettant leur détection – on parle alors de clémence de « premier rang » – ou en consolidant le dossier constitué par le Conseil – il s’agit ici de la clémence de « second rang ». Elle est accessible d’emblée, donc avant toute perquisition. Elle se referme, en premier rang, lorsque le dossier est suffisamment robuste pour permettre à l’autorité de la concurrence de constater l’existence d’une infraction, et, en second rang, lorsqu’il est complet au point qu’il n’est plus possible de lui apporter une valeur ajoutée supplémentaire. Les engagements visent pour leur part à permettre une clôture pré-contentieuse des affaires dans lesquelles un rétablissement volontaire et rapide de la concurrence a du sens. La « fenêtre de tir » est décalée dans le temps par rapport à celle ouverte aux demandeurs de clémence. Elle se situe entre l’ouverture de l’affaire et l’envoi d’une notification des griefs.  A la différence de ces procédures, la non contestation des griefs vise à accélérer les affaires dans lesquelles des griefs sont déjà notifiés, mais dont le rapport n’est pas encore établi. Ce n’est pas parce qu’elle intervient postérieurement aux deux autres procédures qu’elle est moins intéressante. Il ne faut en effet pas appréhender les procédures alternatives ou accessoires isolément, mais comme un tout cohérent ou un « continuum » : elles constituent une panoplie non seulement du point de vue du Conseil, mais aussi pour les entreprises, qui ont le choix de leur stratégie et peuvent, par exemple, venir en clémence ou attendre et voir ce que font les autres membres du cartel, avant de transiger s’il le faut ou d’aller au contentieux.   b. Le moment « psychologique » : la non contestation des griefs est un point de rencontre entre partenaires en situation d’asymétrie d’information  Si l’on quitte la stricte logique procédurale pour appréhender le moment de la non contestation des griefs d’un point de vue plus large, on s’aperçoit qu’il peut être perçu différemment par les deux parties en présence. Du point de vue des services d’instruction du Conseil, ce moment est celui où le dossier est parvenu à un degré de solidité factuelle et juridique suffisant pour notifier des griefs. Mais cette spécificité française qu’est la séparation des fonctions d’instruction et de décision joue ici un rôle essentiel. Les entreprises ont souvent insisté sur l’aspect déstabilisateur de ce principe, qui leur convient davantage en procédure purement contentieuse qu’en procédure de non contestation des griefs ou d’engagements. Cette aspect des choses n’est cependant qu’un des deux côtés de la médaille. Les notifications de griefs françaises sont, du fait de cette séparation, moins « bouclées » que les communications de griefs de la Commission européenne en ce sens, non pas qu’elles sont moins solides, mais qu’elles sont moins définitives. Elles ne peuvent constituer le « brouillon » de la décision à venir puisque cette dernière émane d’un auteur différent, le
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collège, qui se prononce en parfaite indépendance. Il reste donc une part d’aléa non nulle, pour les entreprises comme pour les services d’instruction.  Cette situation est intéressante pour les entreprises mises en cause : les services d’instruction connaissent le dossier de l’affaire, mais l’entreprise connaît l’affaire elle-même, et le cas échéant les aspects de l’affaire qui restent encore dans l’ombre. La « fenêtre de tir » de la non contestation des griefs est donc, en quelque sorte, un moment « entre chien et loup », où il ne fait déjà plus tout à fait jour, mais où il ne fait pas encore tout à fait nuit. Dans ces conditions, on peut parfaitement concevoir que les services d’instruction du Conseil et les entreprises mises en cause aient une perception différente du dossier et trouvent tous deux leur compte à la non contestation des griefs, les premiers en « sécurisant » leurs griefs et les secondes en « sécurisant » le champ de leur incrimination.   B. Les points de contact entre la non contestation des griefs, la clémence et les engagements  Ils sont très différents en ce qui concerne la clémence (1) et les engagements (2).   1. L’importance de la réduction d’amende  Comme la clémence, la non contestation implique une coopération de l’entreprise ou des entreprises mises en cause, qu’il est légitime de récompenser.  De nombreuses questions peuvent être évoquées à ce sujet, mais la plus intéressante est peut-être celle des « signaux » que le Conseil commence à donner sur ce que les entreprises peuvent retirer de cette coopération. Le point de départ du calcul (l’amende qui serait infligée en l’absence de non contestation) reste incertain, ce qui est nécessaire dans la mesure où une part d’incertitude doit demeurer, de manière à déjouer les calculs économiques que les entreprises pourraient être tentées de faire en comparant les gains et les pertes engendrés par une pratique anticoncurrentielle, et donc en mesurant la rationalité économique de l’infraction. Mais le Conseil commence à dessiner, peut-être pas un « barème », mais une grille de lecture des contributions apportées par les entreprises à l’instruction et des conséquences pouvant y être attachées en termes de réduction d’amende envisageable.  Pour s’en tenir à une présentation simplifiée de cette grille d’interprétation, on peut considérer qu’un taux de réduction d’amende de 10 % est envisageable dans les cas de non contestation « pure » ou quasi-pure, dans lesquels les entreprises renoncent à contester la matérialité des faits, la qualification juridique et l’imputation des griefs, d’une part, et ne peuvent pas ou ne veulent pas prendre des engagements allant au delà de l’adoption d’un programme de conformité minimum (engagements de formation et/ou d’information interne), d’autre part. En pareil cas, c’est « essentiellement la contrepartie procédurale », c’est-à-dire le gain de temps et l’allègement de la charge de travail que la procédure procure au Conseil, qui se trouve récompensé, comme cela a été rappelé dans la décision Câbles .  Il est cependant concevable de s’élever au-dessus de cet ordre de grandeur, en montant jusqu’à des taux de réduction de l’ordre de 25 à 30 % dans les cas de non contestation « plus », dans lesquels les entreprises s’ingénient à concevoir des engagements allant au-delà des programmes de formation et d’information évoqués à l’instant. Le principe cardinal posé par le Conseil est toutefois que la clémence de second rang, qui peut être récompensée à
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hauteur de 50 % en fonction de la valeur ajoutée apportée par le demandeur, doit demeurer plus attractive que la non contestation des griefs dans la mesure où elle implique davantage de la part de l’entreprise et apporte davantage à l’autorité de la concurrence, comme l’a rappelé la décision Linge.   Cela étant, ce principe pourrait souffrir des exceptions : il existe en effet des cas dans lesquels les demandeurs de clémence ont tant apporté au Conseil qu’il n’est plus sérieusement concevable d’apporter une valeur ajoutée supplémentaire à l’affaire, sauf à fournir des informations permettant de retenir un grief sur un autre marché ou pour d’autres années – mais en pareille hypothèse, l’entreprise obtient en pratique une exonération totale de sanction sur ces aspects de l’infraction. Dans ce cas de figure, il ne serait pas opportun de s’interdire mécaniquement d’inciter les autres entreprises mises en cause à transiger si cela peut être intéressant, notamment en permettant l’accélération de l’affaire. La hiérarchisation retenue entre la clémence et la non contestation des griefs ne doit donc pas s’interpréter comme une règle totalement rigide.  Peut-on aller encore au-delà, comme le propose l’AFEC, en prévoyant une zone de recouvrement permettant d’accorder une réduction d’amende plus importante dans le cas d’une « bonne non-contestation » que dans celui d’une « moins bonne clémence » ? Sur le principe, cela n’est pas exclu, la question étant plutôt de savoir « quand » et « comment » le Conseil le fera que « s’il » le fera. Mais il est nécessaire, au préalable, de bien différencier les procédures et de bien clarifier les signaux donnés par la grille de lecture évoquée tout à l’heure, afin de ne pas brouiller les messages que l’on souhaite faire passer.   2. La nature des engagements  Comme les engagements, la non contestation des griefs implique une négociation avec l’entreprise ou les entreprises mises en cause sur la façon dont elles peuvent, au moins amender leur attitude, et au mieux modifier leur comportement sur le marché.   a. L’amendement du comportement : les engagements de « compliance »  Il faut prendre garde à ne pas assimiler la mise en place d’un programme de « compliance » ou de conformité au droit de la concurrence à un taux de réduction d’amende automatiquement limité à 10 %. Le Conseil veille évidemment à la cohérence des signaux qu’il envoie, et l’on sait qu’il s’intéresse de très près à la « compliance ». Une étude confiée à un cabinet indépendant, épaulé par un comité de pilotage présidé par un membre du collège du Conseil, Mme Xueref, est en cours de réalisation sur ce thème ; elle devrait conduire à la présentation d’un rapport fin juin / début juillet. Ce document devrait permettre au Conseil de continuer à investir ce domaine, comme il l’a fait tout au long de l’année 2007, mais de façon plus « théorisée », en tout cas plus éclairée.  S’il faut établir un rapport entre un taux de réduction de l’ordre de 10 % et un certain type d’engagements de « compliance », c’est donc plutôt aux engagements de formation des cadres et des salariés de l’entreprise, d’une part, et d’information, d’autre part, qu’il faut penser. Le Conseil ne dédaigne pas ces engagements, bien au contraire, pour au moins trois raisons. D’abord, ils ont une valeur pédagogique importante, en particulier dans les affaires où il n’est pas facile de s’engager à faire davantage (cartels) et dans les cas où il faut mettre en place un
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véritable changement d’habitudes au sein de l’entreprise. Ensuite, ils peuvent servir de vecteur à une véritable diffusion de la culture de la concurrence au sein de l’entreprise et « faire la différence » au quotidien, sur le terrain, s’ils sont adaptés aux données propres à l’entreprise et effectivement mis en œuvre. Enfin, ils peuvent servir à « amorcer » la négociation sur les engagements entre les entreprises et les services d’instruction, et constituer le socle sur lequel vont, finalement, se construire des engagements plus substantiels.  C’est pourquoi, pour répondre à une question posée par l’AFEC, je ne pense pas que le Conseil considère les engagements de « compliance » comme des engagements « de forme », en tout cas s’il faut entendre par là « de pure forme » ; je suis au contraire tout à fait d’accord avec l’AFEC pour récompenser à leur juste valeur des engagements substantiels de « compliance », dont on peut attendre beaucoup pour le comportement futur de l’entreprise.   b. La modification du comportement sur le marché : les engagements comportementaux  Or, on peut envisager de nombreux cas où il est possible et attractif de s’engager davantage. La décision Linge  en fournit une parfaite illustration. Elle concernait un contexte de marché relativement spécifique, mais bien d’autres secteurs présentent d’autres types de particularités se prêtant à un peu de créativité de la part des entreprises qui y opèrent. Dans cette affaire, les entreprises mises en cause ont présenté des engagements de sensibilisation et de conformité (audit, information, formation, etc.), auxquels se sont ajoutés des engagements innovants visant à mettre en place une procédure d’alerte, et des engagements comportementaux portant notamment sur la gestion des clients partagés entre les entreprises de location de linge. La valeur ajoutée de ce cumul de propositions a conduit à accorder un taux de réduction d’amende de 25 % à 30 %. On voit donc que la pratique décisionnelle du Conseil est tout à fait en phase avec la demande de l’AFEC d’accorder une belle « prime » aux entreprises qui se montrent créatives en matière de programmes de conformité !  Peut-on, la aussi, aller au-delà, en concevant des engagements structurels, comme l’envisage l’AFEC ? Compte tenu du libellé du code de commerce, qui permet au Conseil d’imposer des conditions particulières 15  aux entreprises, et du fait qu’il n’y a pas de raison, a priori, de limiter le champ des engagements volontairement proposés par les entreprises, sous réserve du principe de proportionnalité, cette évolution me paraît juridiquement possible. Mais, comme c’est le cas s’agissant des remèdes structurels à Bruxelles ou devant nombre d’autres autorités nationales de concurrence d’Europe, ce type d’engagements devrait rester rare, la préférence devant être donnée aux engagements comportementaux dans tous les cas où ils permettent de mettre fin aux infractions constatées par le Conseil et d’obtenir les évolutions souhaitées.  Tous ces résultats, toutes ces avancées, toutes ces réflexions, n’impliquent pas qu’il n’existe plus aucune marge de progression.
                                                 15  Voir sur ce point Bruno Lasserre, président du Conseil de la concurrence, « Remedies and Sanctions for Unlawful Unilateral Conduct : the Fench experience », Fordham Competition Law Institute, 34 ème conférence sur le droit et la politique internationale de concurrence, 27 et 28 septembre 2007
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  II. Les avancées envisageables  La non contestation des griefs a maintenant trouvé sa place dans la famille des outils de régulation de la concurrence, et progressivement fait l’objet d’un « affinage » destiné à la rendre plus efficace et plus attractive. Il est possible de poursuivre dans cette voie en réfléchissant à une modification des dispositions du code de commerce (1), mais, en définitive, beaucoup de choses peuvent être faites à droit constant (2).  Du point de vue du Conseil, qui est évidemment très favorable à un communiqué de procédure sur la non contestation des griefs, il faut commencer par le commencement, en stabilisant d’abord le droit avant de fournir un guide l’analyse ou de lecture – de la « guidance » – aux entreprises.   A. Les avancées législatives envisageables  La concertation intervenue avec les avocats du barreau spécialisé en matière de concurrence en 2006 / 2007 a conduit le Conseil à adopter un ensemble d’orientations et de bonnes pratiques procédurales. Ces bonnes pratiques ont été présentées aux avocats lors d’une réunion informelle organisée par le Conseil en septembre 2007. Cela fait à présent six mois qu’elles sont en place, et le premier bilan qui peut être dressé de cette mise en œuvre 16 montre qu’un certain nombre d’avancées ont déjà été réalisées. Ce constat vaut en particulier pour la non contestation des griefs, qui a fait l’objet de deux séries de réflexion, concernant l’une les pistes d’évolution législatives et l’autre les avancées possibles sans modification des textes.   1. la principale avancée législative est celle qui consisterait à découpler la non contestation des griefs proprement dite et les engagements  Pourquoi cette évolution devient-elle de plus en plus urgente ? Deux raisons, dont la première a déjà été discutée avec l’AFEC et dont la seconde est liée à l’intérêt de la Commission européenne pour la « transaction directe », apparaissent déterminantes.  En premier lieu, il existe des cas dans lesquels des engagements, même limités, ne sont pas envisageables, moins parce qu’ils seraient techniquement impossibles – ilest a priori toujours possible de s’engager à former ses salariés – que parce qu’ils ne répondraient pas aux exigence posées par le Conseil à propos de leur caractère substantiel, crédible et vérifiable. On peut, par exemple, penser au cas d’une entreprise qui serait mise en cause dans un cartel, après avoir pris des engagements dans une affaire antérieure et n’avoir pas respecté ces engagements. Le Conseil n’a stratégiquement pas de raison de s’interdire a priori de transiger en pareil cas, pour des motifs tels que l’efficacité procédurale, mais ne peut le faire compte tenu du libellé actuel du code de commerce. Cette situation place les entreprises en cause dans une situation inutilement rigide.
                                                 16 Voir sur ce point Fabien Zivy, « Bonnes pratiques procédurales du Conseil de la concurrence : premier aperçu de six mois de mise en œuvre », Concurrences , n° 2-2008
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