SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT
CRIMINEL EN GRÈCE
GUSTAVE GLOTZ
PARIS - 1904
LIVRE PREMIER : Période primitive : La famille souveraine.
CHAPITRE PREMIER. - LA FAMILLE DANS LA CITÉ. — CHAPITRE II. - LA
JUSTICE DANS LA FAMILLE. — CHAPITRE III. - LA VENGEANCE DE FAMILLE À
FAMILLE. — CHAPITRE IV. - LA TRANSACTION (αΐ δ εσι ς) ET LA COMPOSITION
( ποινή). — CHAPITRE V. - LE TRAITÉ DE PAIX PRIVÉE ( φιλότης). — CHAPITRE
VI. - LA RESPONSABILITÉ DE LA FAMILLE ET L'ABANDON NOXAL. — CHAP
VII. - EXTENSION DE LA SOLIDARITÉ AUX VOISINS.
LIVRE DEUXIÈME : Période de transition : La cité contre la
famille.
CHAPITRE PREMIER. - DÉVELOPPEMENT DE LA JUSTICE SOCIALE. —
CHAPITRE II. - MESURES SOCIALES CONTRE LA RESPONSABILITÉ
COLLECTIVE. — CHAPITRE III. - CONCILIATION DE LA RESPONSABILITÉ
PERSONNELLE ET DE LA PROPRIÉTÉ FAMILIAL. — CHAPITRE IV. - LE COMBAT
JUDICIAIRE. — CHAPITRE V. - LA COJURATION. — CHAPITRE VI. - DRACON
ET LES DROITS DE LA FAMILLE. — CHAPITRE VII. - SOLON ET
L'AFFRANGHISSEMENT DE LA PROPRIÉTÉ. — CHAPITRE VIII. - SOLON ET HT DE L'INDIVIDU. — CHAPITRE IX. - SOLON ET L'ACTION
PUBLIQUE. — CHAPITRE X. - LA COMPOSITION ET L'AMENDE. — CHAPITRE
XI. - DE SOLON À CLISTHÈHES.
LIVRE TROISIÈME. — Période classique : La cité
souveraine.
CHAPITRE PREMIER. - LES IDÉES NOUVELLES. — CHAPITRE II. - MAINTIEN
DE L'ACTION PRIVÉE EN HOMICIDE. — CHAPITRE III. - LA RESPONSABILITÉ
PERSONNELLE ET LA RAISON D'ÉTAT. — RE IV. - LA PEINE DE MORT
COLLECTIVE. — CHAPITRE V. - LE BANISSEMENT COLLECTIF. — CHAPITRE
VI. - LA PRIVATION COLLECTIVE DES DROITS CIVIQUES. — CHAPITRE VII. -
LA CONFISCATION. — CHAPITRE VIII. - LES CORRECTIFS DE L'ATIMIE
HÉRÉDITAIRE ET DE LA CONFISCATION. — CHAPITRE IX. - LA RESPONSABILTÉ
COLLECTIVE DANS LA RELIGION.
CONCLUSION.
LIVRE PREMIER. — PÉRIODE PRIMITIVE - LA FAMILLE
SOUVERAINE.
CHAPITRE PREMIER. — LA FAMILLE DANS LA CITÉ.
On a beaucoup discuté sur l’origine du γέ νος hellénique. Les idées de Fustel de
Coulanges ont soulevé les contradictions les plus violentes. Nous n’interviendrons
pas dans cette polémique : elle n’est pas d’un intérêt immédiat pour les
questions qui nous doivent occuper. Il faut bien qu’on reconnaisse, d’une part,
que dans toute société primitive, quelque soit le nom dont on la désigne, les
individus sont unis entre eux par des liens de parenté naturels ou fictifs1. Il faut
bien admettre, d’autre part, que nous ne pouvons pas remonter assez haut dans
l’histoire des Hellènes pour y jamais trouver un groupe politique où la parenté de
tous, en dehors des degrés rapprochés, soit autre chose qu’une fiction théorique.
Aussi bien, dans tous les documents qui nous sont parvenus, depuis les chants
les plus anciens des poèmes homériques jusqu’aux œuvres de la période
romaine, le mot γέν ος a-t-il désigné simultanément deux choses distinctes : 1°
une communauté où des parents de plusieurs générations et de plusieurs
branches vivent souvent sous le même toit, en tout cas sur la même terre, de la
même substance, et, par extension, un groupe composé de patriciens ou
Eupatrides qui prétendent tirer leur origine d’un ancêtre commun ; 2° la petite
ramille, au sens moderne2. Si le palais de Priam abrite un grand nombre de ses
fils mariés et de ses gendres3, Hector et Pâris ont leur demeure à part4. Ni
l’épopée ni la mythologie grecques ne nous font pénétrer dans des sociétés de
régime exclusivement patriarcal.
Comme tous les grands phénomènes d’ordre social, le relâchement dans la
constitution du γέ νο ς et l’affaiblissement de l’autorité paternelle ont été l’effet
d’une évolution obscure. Cette transformation n’a pas de date précise ; elle ne se
rattache à aucun des événements qui ont fait du bruit parmi les nations ; elle n’a
pas été voulue tout d’un coup par le génie intrépide d’un philosophe ou d’un
législateur. Elle s’est accomplie dans l’intérieur de chaque maison, dans l’esprit et
le cœur de tous les hommes. Cela s’est fait avec la lenteur et l’inconscience de la
nature en travail. De génération en génération, de jour en jour, les idées et les
mœurs changèrent insensiblement les institutions. Il fallut, pour produire ce
grand résultat, qu’une multitude infinie de motifs souvent passagers et mesquins
1 Nos sauvages aïeux ne connaissaient d’autre fraternité que celle qui résulte du fait
physique de la consanguinité. Quand un homme n’était pas le parent d’un autre, il n’y
avait rien de commun entre eux... Il serait à peine exagéré de dire que les chiens qui
suivaient le camp avaient plus de part à son existence, que les membres d’une tribu
étrangère et saris lien de parenté. (Sumner Maine, Inst. prim., trad., p. 82).
2 Nous sommes donc obligés d’employer continuellement le mot γένο ς dans les deux
sens que lui a imposés l’usage hellénique. Dans les cas où il est nécessaire de distinguer,
nous opposerons au γένος large la famille restreinte.
3 Iliade, VI, 244 ss. Aiolos loge avec lui les six ménages de ses enfants (Odyssée, X, 5
ss.). Nestor fait coucher dans sa chambre son fils célibataire, et a installé dans son palais
ses fils mariés et ses gendres (Odyssée, III, 387 ss., 400 ss., 412 ss.). Si Achille se
mariait, il mènerait sa femme dans la maison de Pilée (Iliade, IX, 147).
4 Iliade, VI, 313 ss., 370-377 ss., 390, 490, 503. agit sourdement sur des millions d’individus durant un espace de plusieurs
siècles.
Pourtant, par delà l’énorme et fuyante complexité des pauses secondaires, il est
possible de discerner quelques causes générales. Un regard attentif arrive à fixer
des séries de laits qui ont exercé une influence puissante et durable. Pour
comprendre d’où procédaient le plus grand nombre de nouveautés
psychologiques et sociales, il n’est pas inutile d’examiner la situation économique
et politique de la Grèce jusqu’à la fin du VIIIe siècle.
Les nécessités de l’existence matérielle ont, de tout temps, déforma les principes
fondamentaux des sociétés. C’est ainsi que la transformation de la copropriété
familiale en propriété individuelle est à la foi un symptôme frappant et une cause
active de la révolution qui désorganisa l’antique γέν ος.
Nous ne voulons pas ici nous prononcer par des affirmations sans preuves sur le
régime primitif de la propriété foncière en Grèce : ce serait nous prononcer sur
l’origine du γένος, prendre parti dans une question que nous avons écartée à
dessein. Mais nous pouvons constater que, si jamais en Grèce la communauté a
exercé un droit de propriété collectif sur la terre et procédé à des allotissements
périodiques, ce temps était bien passé pour les sociétés que